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Nos Lecteurs ont la Parole

Le démon de midi est une épreuve à surmonter

Un homme de quarante-huit ans, homme d’affaires, père de deux enfants (un garçon de quatorze ans et une fille de dix ans), ne rentre plus au domicile conjugal qu’une fois par semaine. Sa contribution financière à la famille diminue de cinquante pour cent. Il prétend ne plus avoir les moyens de subvenir aux besoins de sa famille. Sa femme aisée compense ce manque par sa contribution personnelle.

En conséquence, il commence par perdre l’estime de ses enfants, et l’affection de son épouse s’en trouve un peu perturbée, et la considération de ses proches s’en trouve affectée.

À côté de cet homme accusé de désertion du logis conjugal, il y aura un autre accusé irrévocable, le vrai coupable absolu : le « démon de midi ». Si nous essayons de comprendre pour démonter les ressorts de cette crise du retour d’âge qui vient de foudroyer un homme dans la cinquantaine, il faudra beaucoup de sens et de la compréhension.

Rien ne permettait de s’imaginer un tel comportement de la part de ce père de famille dont l’entourage disait : « C’est un homme absolument remarquable, un homme d’honneur! » Les voisins disaient de lui : « Un homme très bien élevé. » Ses collaborateurs disaient de lui : « La vie de cet homme force le respect. » La dignité de sa vie privée était reconnue de tous. Travailleur averti et entraîneur d’hommes, on venait lui confier la formation des jeunes recrues.

Son épouse était une sainte. C’était une femme d’intérieur compétente, une mère attentive et une femme dévouée. Tous deux formaient ce qu’on appelle un couple modèle. Parmi son personnel, une secrétaire exécutive brune d’une dizaine d’années plus jeune attirait ses regards et sa bienveillance. Un soir, il l’invite à prendre un repas avec lui. Et, peu à peu aussi, entre lui et cette fille à peine jolie, quelque chose naît, quelque chose s’ébauche. Une idylle se crée. Cette jeune fille n’avait jamais pu s’entendre avec ses parents, sévères avec elle et de mentalité rétrograde. Il s’étonne aussi de constater qu’elle est si proche de lui. Il a l’impression que jamais encore une femme ne lui a parlé aussi intimement. Bientôt, une liaison commencera et ils seront l’un à l’autre.

Or cette union va constituer pour cet homme frisant la cinquantaine une véritable révélation. Il n’avait jamais reproché à sa propre femme une quelconque froideur. Pourtant, on dirait qu’il a tout oublié, que cette nouvelle venue est la première, la seule femme de sa vie. Tel est le fait nouveau, imprévisible, et qu’il est impossible de comprendre si l’on ne tient pas compte de son âge.

Il redécouvre sa jeunesse car il a quarante-huit ans. C’est l’âge des bilans. Et des regrets. Pourquoi ? D’abord, pour des raisons physiologiques. À partir de ce moment on constate chez l’homme une baisse de la production de l’hormone mâle, la testorérone. Ce phénomène parallèle à celui de la ménopause chez la femme, a des conséquences entièrement différentes. Aucune manifestation organique. La baisse est régulière, progressive, et rien ne permet de la deviner. Mais c’est l’état d’esprit qui change. Car la testorérone est l’hormone de l’agressivité. Elle donne à l’homme son dynamisme, sa combativité, et elle lui permet de conquérir sa place dans le monde. Lorsqu’elle commence à diminuer, aux approches de la cinquantaine, on se met à voir les choses différemment. On n’a pas envie de se battre. La tâche accomplie, les obstacles surmontés, on se repose enfin, et l’on regarde en arrière pour mesurer le chemin parcouru.

Brusquement, le ressort se détend. L’homme se sent curieusement détaché. Et dans les yeux de cette femme qui l’aime sincèrement, à ses côtés, il redécouvre l’insouciance, le plaisir, la tendresse. La jeunesse en un mot, sa propre jeunesse.

Aucun homme à cet âge ne peut rester insensible à une illusion et à un pareil appel. Parce qu’ils ont tous peur. Ils perçoivent confusément le changement qui s’effectue en eux et, d’instinct, ils y voient une menace à leur virilité. C’est d’ailleurs faux. La puissance. Mais aucun raisonnement ne tient entre cette sorte de panique qui les saisit. Ils ont besoin d’être rassurés, concrètement, de se donner à eux-mêmes continuellement la preuve qu’ils sont encore des hommes plein de virilité.

Et lorsqu’ils la trouvent dans un nouvel amour, inespéré, c’est une passion totale, définitive. C’est cela le « démon de midi ». Démon d’autant plus redoutable qu’il s’attaque à un homme comme ce père de famille que rien n’a préparé à ce genre de crise. Il lui souffle à l’oreille : « Tu t’es laissé dévorer par la vie, ses devoirs et ses servitudes. Tu as sacrifié la seule chose qui compte : l’amour ! » Le père de famille sait qu’il est tard, que les années désormais lui sont comptées. Il croit qu’il a découvert le bonheur. Alors, il veut le garder jalousement.

Va-t-il donc recommencer sa vie ? Ce serait la conclusion logique de l’aventure si, dès le départ, elle s’était déroulée dans des conditions normales. Du jour où cette liaison a commencé, il n’a plus jamais approché sa femme. Et comme il est également loyal, il la met au courant de sa liaison et lui annonce son intention de se séparer.

Mais son épouse, aussi loyale que lui, refuse. Elle invoque cette religion et ce sacrement de mariage qui les ont unis et leur ont fait partager l’amour pur et béni, dans un foyer chaud, auprès de ces enfants qui sont le fruit de leur amour et d’une union bénie de Dieu.

Le père de famille, au fond, n’envisage pas sérieusement de recommencer sa vie ailleurs, dans des conditions difficiles. Il se contente d’en rêver. Il lui faudrait renoncer à trop de choses qu’il a durement conquises, auxquelles il tient. Contrairement à un jeune homme qui n’a pas de scrupules parce que pour lui tout est dans l’avenir. Et c’est toute la différence qui fait que l’espèce de seconde jeunesse du « démon de midi » n’est pas une vraie jeunesse. C’est une illusion.

C’est cela, le « démon de midi » : non pas un renouveau, comme le croit l’homme qui en est victime, mais l’exaspération de toutes les nostalgies, la quête désespérée d’une impossible plénitude. La seule solution viable pour lui était de demander pardon à son épouse et de retourner calmement au foyer conjugal. C’est ce qu’il fit tout en expliquant à sa maîtresse l’impasse dans laquelle il se trouvait, ce qu’elle finit par accepter avec grande amertume et tristesse et non sans de grosses larmes versées.


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Un homme de quarante-huit ans, homme d’affaires, père de deux enfants (un garçon de quatorze ans et une fille de dix ans), ne rentre plus au domicile conjugal qu’une fois par semaine. Sa contribution financière à la famille diminue de cinquante pour cent. Il prétend ne plus avoir les moyens de subvenir aux besoins de sa famille. Sa femme aisée compense ce manque par sa contribution...

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