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Nos Lecteurs ont la Parole

Déconfinons le meilleur de nous-mêmes

Tout un chacun cherche la grandeur et la célébrité. Tout un chacun voudrait régner en seigneur, asseoir son hégémonie et voir proliférer le nombre de ses sujets, en l’occurrence ses followers. Et chacun voudrait profiter de chaque événement et de chaque occasion pour vivre des moments inédits de gloire. Chacun voudrait mettre en place son propre culte de la personnalité, en travaillant méticuleusement son image et en publiant un nombre considérable de photos et en ne recevant que des éloges. Et sur les réseaux sociaux, l’espoir d’une vie glorieuse est vertigineusement gratifiant et fait vivre à ce tout un chacun des moments de satisfaction et de jubilation mirobolants. Et l’emballement prend des allures d’euphorie et de béatitude avec la quantité remarquable de commentaires, de « likes » et de cœurs rouges amassés, non sans peine, car c’est à force de commenter sur les publications des autres et de leur envoyer des « likes » que l’utilisateur de certains réseaux en reçoit tout autant et tout bêtement. Et tout bêtement, ça lui fait vivre des moments d’enchantements illusoires, bizarres, voire déroutants.

Et c’est ainsi qu’à force de lire des banalités et d’entendre des paroles qui sont parfois dénuées de toute vérité et de tout intérêt, et à force de lire les commentaires des autres sur ses propres publications, et à force de lire par curiosité et par jalousie des commentaires sur les publications des autres et de commenter chaque phrase et chaque photo publiées et de commenter sur les commentaires reçus que c’est finalement une suite sans fin, une perte de temps, un cercle vicieux et une réciprocité, des plus ennuyantes, qui avoisine la réciprocité diplomatique.

De surcroît, cette réciprocité rajoute une nouvelle réalité à l’ancienne, mais dans la virtualité cette fois. Ainsi donc, à cette ancienne réalité, qui régit depuis toujours les relations humaines et qui se résume par la loi du talion « œil pour œil et dent pour dent », s’ajoute une autre réalité moins physique cette fois, mais tout aussi aigre ; elle se résume par like pour like et «comment» pour «comment». Ainsi, les branchés sur ces dits réseaux amassent des commentaires et des « likes » qui proviennent des soi-disant amis pour lesquels ils ont déjà publié des « likes » et des commentaires enrichis d’éloges et de compliments bidon sur leur page et ces derniers les leur rendent bien.

Sur d’autres réseaux, l’emballement dans les commentaires et les analyses est si ridicule que tout sort de son contexte, l’incompréhension devient totale et le débit de haine incontrôlable et l’irrationalité tout autant. Et désormais s’ajoutent à nos traditions d’humains, fréquemment en guerre les uns contre les autres, d’autres sortes de batailles qui trouvent leur champ libre dans la virtualité et qui sont la preuve par excellence d’un dérèglement intellectuel qui s’exacerbe par l’utilisation sans arrêt des réseaux sociaux. Ces batailles, qui trouvent leurs origines dans des rumeurs mensongères et dans des ressentiments outragés, donnent naissance à une fracture sociale qui migre de la virtualité à la réalité. Et toujours dans l’intolérance, n’en déplaise à Voltaire et à son célèbre traité, et toujours dans l’insouciance de l’impact de la haine exprimée et toujours dans le manque de recul, les commentateurs enfoncent encore le clou de la discorde par des propos d’une acrimonie dégoûtante limite fanatique.

La mémoire courte et la conjoncture favorable, l’homme se flatte, au nom de la liberté d’expression, de débiter des jugements hâtifs et irrationnels dénués de toute valeur humaine transcendante. Ces valeurs, chères à nos philosophes des lumières et dénichées dans la rationalité dans le but de faire sortir l’être humain des zones sombres et obscures qui ravagent son esprit et qui le ramènent tout simplement à l’animalité, ne trouvent plus leur place de nos jours et n’arrivent plus à frayer leur chemin ni dans le cœur de l’homme ni dans sa raison.

Ainsi, confronté à ses peurs et s’éternisant dans un contexte de survie face à sa condition de mortel et récemment dans un contexte de sauve-qui-peut dramatique face au Covid-19 et à la crise économique qui s’ensuit, l’homme comme à son habitude perd la raison et le mépris et la violence dans les actes comme dans les mots se déchaînent. Cette maladie d’origine virale vient lui rappeler encore une fois, qu’incontrôlés et manquants de rationalité, les jugements hâtifs, sans preuve et démesurément sans substance, sont toujours aveuglément débités. Et grâce aux réseaux, ces jugements, provenant pour la plupart d’individus écervelés, font légion et sont diffusés de façon virale et trouvent succès et résonance ; et le comble, c’est qu’ils sont adoptés et relayés sans la moindre réflexion.

Ajoutons à cela que malheureusement, l’existence humaine passe désormais par l’intermédiaire des réseaux sociaux, non seulement par le nombre d’abonnés et d’amis fictifs, mais également par le nombre de commentaires malsains et par le débit colossal de banalités et d’expressions irréfléchies, poussées par la haine et les passions tristes. Désormais, et n’en déplaise à Descartes, la locution la mieux adaptée au genre humain serait plutôt : je ne pense pas, donc je suis. Elle est vigoureusement inspirée de ces dits réseaux et du manque du libre- arbitre et de l’absence de la pensée propre, de la pensée pour soi-même, de la pensée tout court qui appartient à l’humain.

Pourquoi l’homme se réduit-il ? Pourquoi va-t-il à vau l’eau ?

Pourquoi l’homme pense-t-il qu’il est plus intelligent quand il est plus machiavélique ?

Déverser de la haine, déverser de la méchanceté, au mépris de ce qui différencie l’humain, son intellect est devenu chose courante dans la société réelle comme virtuelle et leur inutilité est flagrante. Ils ne servent qu’à rabaisser celui qui les débite et à flatter ceux qui se croient d’une intelligence supérieure, des narcissiques qui veulent vivre des moments de gloire inégalables avec des millions de followers et qui profitent des événements, même les plus tristes, pour finalement se mettre en lumière, et se contentent, en dépit de tout le marasme ambiant, d’ajouter des chiffres à leur nombre d’abonnés pour flatter leur ego et garantir une diffusion plus large de leurs idées farfelues.

Le comprenez-vous ? Si vous êtes des followers, vous êtes des chiffres.

Avec le déconfinement, nous allons nous reconnecter avec la nature dont on s’est éloigné, redécouvrir la campagne et les jardins, les parcs et les sentiers, les villages et les montagnes, leurs vallées et leurs rivières, le printemps et les autres saisons, le ciel et ses étoiles. Mais surtout, profitons-en pour nous redécouvrir nous-mêmes ! Profitons-en pour redécouvrir nos relations les uns avec les autres ! Déconfinons le meilleur de nous-mêmes, aussi bien dans la réalité que dans la virtualité.

Il y a beaucoup plus à redécouvrir à l’intérieur de nous et dans les autres que dans tout ce que les réseaux nous offrent. Il suffit de nous regarder de façon juste et avec passion, puisqu’on ne le fait jamais assez, et peut-être qu’on ne le fera jamais assez, comme l’a bien exprimé Colette à travers une négation désespérante : « Nous ne regarderons jamais assez, jamais assez juste, jamais assez passionnément. » Et tant que la vie continue, continuez à vous éclore pour finalement faire sortir le meilleur de vous, de façon intelligente et juste. Une autre citation de Colette qui pourrait marquer le point : « Je ne cesserai d’éclore que pour cesser de vivre. » Il faut le faire tant qu’il est temps.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Tout un chacun cherche la grandeur et la célébrité. Tout un chacun voudrait régner en seigneur, asseoir son hégémonie et voir proliférer le nombre de ses sujets, en l’occurrence ses followers. Et chacun voudrait profiter de chaque événement et de chaque occasion pour vivre des moments inédits de gloire. Chacun voudrait mettre en place son propre culte de la personnalité, en...

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