À l’heure où le Liban se débat péniblement pour atténuer les effets du bras de fer américano-iranien sur sa situation interne, certaines sources font état d’une autre lutte, plus discrète, qui se jouerait en coulisses et qui opposerait l’Arabie saoudite à la Turquie. Le théâtre de cette lutte serait évidemment la scène sunnite libanaise, sujette actuellement à un certain malaise et qui serait tiraillée entre plusieurs influences, notamment celles de la Turquie, de l’Arabie, des Émirats arabes unis et de l’Égypte. Si les influences des trois derniers pays ne sont pas nouvelles sur la scène sunnite, après celle de la Syrie qui a régressé depuis 2011, celle de la Turquie est relativement récente dans le paysage politique. Il en a été particulièrement question depuis l’apparition de Baha’, le frère de cheikh Saad Hariri, en particulier à Tripoli et dans le Nord, à la faveur des manifestations populaires contre la cherté de vie, et la crise économique et sociale. Plusieurs médias libanais et arabes ont aussitôt affirmé que la Turquie se tient derrière Baha’ Hariri et l’appuie dans sa volonté de jouer un rôle sur la scène politique. Plusieurs arguments sont venus étayer cette thèse. D’abord, il est certain que la Turquie bénéficie d’une grande sympathie dans certains milieux sunnites, surtout à Tripoli et dans le Nord, depuis l’époque du sultan ottoman Abdel Hamid II qui avait donné des instructions pour construire des mosquées et des monuments dans cette région. Aujourd’hui, Ankara a pris soin de financer la restauration de plusieurs monuments à travers l’Agence turque de coopération et de coordination TIKA, qui est l’équivalent turc de USAid, c’est-à-dire une organisation gouvernementale. De plus, il existe au Nord des villages peuplés de Turkmènes où le Premier ministre turc s’était rendu lors de sa visite au Liban en novembre 2010. De même, la Turquie distribue des aides alimentaires aux familles dans le besoin, en particulier dans le Nord, sachant que Tripoli est l’une des villes les plus pauvres du bassin méditerranéen.
C’est sans doute la raison pour laquelle, dans le cadre du mouvement de protestation populaire déclenché le 17 octobre 2019, il est arrivé à plusieurs reprises que des manifestants brandissent des portraits du président Recep Tayyip Erdogan et des drapeaux turcs. Toutefois, cette sympathie de certains manifestants envers Ankara n’apparaît pas comme une preuve suffisante pour déclarer que ce pays joue un rôle direct sur la scène libanaise et en particulier sunnite.
C’est dans ce contexte qu’est intervenu Nabil al-Halabi, avocat spécialisé dans les questions des droits de l’homme et membre de l’Institut libanais pour la démocratie et les droits de l’homme, qui est aussi le représentant au Liban de Baha’ Hariri. L’homme se rend souvent en Turquie, mais aussi dans plusieurs capitales arabes. De là à faire le lien entre cheikh Baha’ et Ankara, il n’y a qu’un pas que de nombreux médias ont franchi. À tous ces éléments, il faut aussi ajouter le fait que la Turquie entretient aussi de bonnes relations avec l’ancien Premier ministre et député influent de Tripoli, Nagib Mikati, ainsi qu’avec l’ancien ministre de la Justice, Achraf Rifi. Certains médias ont aussi affirmé que la Turquie financerait le groupe Herrass al-madina (Les gardiens de la cité) apparu récemment à Tripoli et soupçonné de chercher à fomenter des troubles dans la ville pour renforcer le rôle de la Turquie sur la scène sunnite au détriment de l’influence saoudienne et arabe en général.
Des scénarios ont même commencé à être élaborés sur le fait que la Turquie chercherait à encercler la Syrie à travers sa présence et celle de ses alliés de l’opposition syrienne dans le nord du pays et à travers le nord du Liban. Le ministre de l’Intérieur, Mohammad Fahmi, a d’ailleurs récemment déclaré que des parties étrangères chercheraient à créer des troubles sécuritaires au Liban, et immédiatement, les regards accusateurs se sont tournés vers la Turquie.
Toutefois, ces conclusions ne convainquent pas les milieux diplomatiques qui pensent au contraire que la Turquie n’a aucun intérêt à s’impliquer politiquement et en matière de sécurité sur la scène libanaise. Ankara sait en effet miser sur les équilibres régionaux et elle ne considère pas le Liban comme une scène qu’il faut utiliser dans les conflits qui déchirent la région. Le Premier ministre turc l’a d’ailleurs déclaré à plusieurs reprises : il faut préserver les équilibres confessionnels au Liban, et la Turquie n’y a pas un projet politique ou confessionnel spécifique. Ce qui compte pour elle, c’est donc la stabilité et la prospérité du Liban. C’est dans ce contexte qu’elle fournit des aides alimentaires aux familles dans le besoin avec l’accord du ministère de l’Intérieur. Toutes ces initiatives au Liban se font d’ailleurs dans les règles et à travers les institutions gouvernementales.
Selon des sources diplomatiques étrangères au Liban, impliquer la Turquie dans les remous que connaît actuellement la scène sunnite vise à détourner l’attention des Libanais du véritable conflit qui se joue au Liban et qui oppose l’Arabie saoudite à l’Iran. Riyad serait ainsi déterminé à combattre l’influence iranienne au Liban et elle appuierait cheikh Baha’ Hariri pour faire pression sur son frère, l’ancien Premier ministre Saad Hariri, afin qu’il se montre plus agressif à l’égard de la formation chiite. Selon une autre version, ce serait le courant du Futur lui-même qui ferait circuler des rumeurs sur un appui turc à Baha’ Hariri dans le but de provoquer une réaction de rejet à son égard et d’appui à l’égard de cheikh Saad de la part des Saoudiens, des Émiratis et des autres Arabes... D’ailleurs, dès qu’il a été question d’un rôle politique de l’aîné des Hariri au Liban, plusieurs personnalités libanaises et arabes ont réagi en se rapprochant de cheikh Saad...
Toutes ces interprétations sont plausibles, et il est difficile, dans un contexte aussi confus, d’obtenir des informations certaines. Ce qui est sûr, c’est que la scène sunnite au Liban est actuellement en crise. De même, le jour où on cessera de parler des rues libanaises en leur attribuant un caractère confessionnel n’est, hélas, pas proche.
commentaires (6)
Le plan d'islamiser le pays se concocte lentement mais sûrement par l'entremise du sultan ottoman -dictateur -frère musulman et d'autres pays du golf non moins innocents . C'est à la classe sunnite libanaise de montrer le vrai visage de la modération ou celui du radicalisme .
Hitti arlette
12 h 52, le 07 juillet 2020