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Nos Lecteurs ont la Parole

Anesthésie d’une nuit

Sursis époustouflant et émouvant à la fois, le concert de Baalbeck dimanche soir.

Le temps d’un soir, le temps d’un court mais majestueux moment.

Mais la musique n’a-t-elle pas toujours offert des œuvres éternelles, parfois même fondatrices, sinon instigatrices de changements ?

Considérons ce moment musical à lui seul intemporel comme certains morceaux de ces grands noms qui ont foulé notre magnifique temple de Baalbeck.

Considérerons ce moment musical comme bien plus qu’un divertissement et ramenons-le à son troublant pouvoir, celui de faire résonner littéralement les rêves, les espoirs et les émotions, sur fond doux de cachemires, entremêlés à des genres et des rythmes différents, dans une mise en scène sobre et enveloppante à la fois qu’est le ciel bleu de notre Liban. Violent contraste avec la réalité de ce qui se passe en dehors du temple.

Le temps s’est suspendu le temps d’une courte soirée, comme pour contrer ce macabre état des lieux du pays du Cèdre qui nous laisse muets.

Muets certes, mais pas complètement. Comme si le temps de rebondir et de récupérer nos moyens et nos voix, le temps de rassembler nos forces et nos stratégies, mais surtout celui de digérer nos émotions, passait nécessairement par ce moment acoustique libérateur.

La musique cristallise et dimanche soir ce fut un pur moment de résilience et de force, avec un mélange dynamique de styles musicaux variés, à l’image du Liban. Celui que l’on aime dans ses différences et ses richesses. Moment de courage et d’espoir qui séduit véritablement. Énergie et harmonie sont au rendez-vous.

Je suis tentée, très tentée par ce pur moment de grandeur et de beauté, d’y croire à nouveau, de retomber sous le charme, de retomber en amour, éperdument, malgré ses tromperies, ses infidélités, ses erreurs, ses vicissitudes et ses démons éternels.

Pire, comme bercée dans un instant hypnotique, je suis tentée d’oublier.

Comme si je devenais amnésique et que j’oubliais, mais sans leur pardonner, à tous les dirigeants et à ce gouvernement fantôme et inerte la faillite du pays et sa dégénérescence, cet appauvrissement vertigineux, moral éthique et économique à la fois.

Comme si, ensorcelée, je faisais subitement le deuil de tous les traumatismes de mon pays et ceux de ses citoyens honnêtes, les « vrais », ceux qui refusent toute allégeance, toute complicité, ceux qui osent dénoncer pour pouvoir réformer, ceux qui souffrent de la corruption, de ce glissement vers un État policier, de l’absence d’éthique et de solidarité humaine, de ce marasme économique, des escroqueries politiques, de la politisation de la justice et des fausses accusations, sur fond de corruption, de dictature de pensée et de pollution de tous genres.

J’oubliais presque mais Led Zep m’emmène un peu plus loin dans le temps, comme si je pouvais presque leur pardonner nos exils pour celles et ceux qui ont eu l’honneur de pouvoir quitter de leur propre chef, avant d’être solennellement conviés à le faire... Et comment à distance et des décennies plus tard, leur pardonner d’avoir continué à phagocyter le système dans ses infrastructures et son peuple, aujourd’hui affamé sinon appauvri, affaibli et menacé dans sa santé et son éducation ? Pourquoi écouter encore les accusations des uns et des autres ?

Derrière nos écrans, nous sommes des millions à travers le monde, le cœur qui bat d’émotions, de manière viscérale, comme un battement de tambour ou une prière qui nous redonnent la foi.

Le public est certainement plus que jamais présent à ce festival annuel, le cœur bien gros, à l’écoute de son désespoir, sa tristesse, son incompréhension, sa colère ou sa rage.

Ce soir, cette lueur d’espoir injectée depuis ce magnifique temple en ruine, à travers la force de ce collectif, nous permettra sans doute le temps d’une soirée de penser autrement nos blessures sans pour autant les panser.

Peut-être le temps d’une nuit seulement, cette belle énergie musicale pourra-t-elle anesthésier le peuple de ses souffrances de ne pas être entendu, de ne pas être écouté, de ne pas être respecté, de ne pas être soutenu. Peut-être que le temps d’une nuit seulement, cette petite heure musicale lui permettra de fermer l’œil ce soir avec un peu plus d’espoir.

Mais ne vous leurrez surtout pas, demain au lendemain du concert, pour tout participant (actif ou passif) à cette agonie, rien n’aura changé et le prix du pain et des bougies aura encore augmenté et le courant électrique encore coupé... mais, plus grave, seront toujours absents la volonté de réformer, l’intérêt collectif, l’intégrité, la morale, la conscience et la solidarité dans un Liban meurtri agonisant et abandonné.

La parenthèse musicale de dimanche soir nous aura permis de nous évader très brièvement avant de nous réveiller pour commencer à construire ce grand projet de réformes qui nous appartient et dont nous sommes responsables, en toute loyauté, vis-à-vis de notre pays, de nos jeunes générations et de l’histoire. On prendra le temps qu’il faudra et on réussira, sans trahir, humilier ou abandonner ces jeunes générations.

Oui, les blessures du peuple n’ont pu être engourdies que le temps de la nuit, il est temps, pour tous, de se réveiller...


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Sursis époustouflant et émouvant à la fois, le concert de Baalbeck dimanche soir.Le temps d’un soir, le temps d’un court mais majestueux moment.Mais la musique n’a-t-elle pas toujours offert des œuvres éternelles, parfois même fondatrices, sinon instigatrices de changements ? Considérons ce moment musical à lui seul intemporel comme certains morceaux de ces grands noms qui ont...

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