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Culture - Cinéma

Raya Farhat ou comment sublimer la douleur par la création

« Heart Attack » est un court-métrage réalisé dans la douleur et dans l’urgence. Une art-thérapie que la jeune artiste a entreprise pour un vibrant hommage à sa mère, décédée durant la période de confinement loin de sa fille.

Raya Farhat ou comment sublimer la douleur par la création

Immortaliser une mère à qui l’on n’a pas pu dire adieu. Photo DR

Après un brillant cursus à l’Alba puis à la Libera Accademia di Belle Arte (LABA) de Florence, Raya Farhat travaille comme directrice artistique sur différentes plateformes de diffusion. En octobre 2020, c’est la révolution dans le pays du Cèdre, suivie du chaos, du tumulte. Pour l’artiste, c’est le désespoir. Les magazines (Aishti Magazine et L’Officiel Levant) et les marques avec lesquels elle travaillait depuis dix ans fermaient leurs portes. Très attachée à sa famille, ses amis et son pays, elle décide pourtant de partir s’installer à Paris et poursuivre son métier de directrice artistique. « Depuis l’enfance, j’ai toujours voulu évoluer dans les univers de la mode, de l’art et de la culture. J’ai par la suite eu une prédilection pour le glam gothic, le mystère qui révèle la beauté et la sensualité. J’ai fait mienne cette conception shakespearienne que “la douleur est le poison de la beauté”. »


Sonner la cloche comme un cri de douleur. Photo DR


Un travail de deuil

Ainsi, lorsqu’elle quitte Beyrouth pour Paris, son objectif premier est de collaborer avec plusieurs magazines centrés sur la mode et l’art en général. « On venait de me proposer un poste de direction artistique pour le magazine Crash, qui traite de mode et d’art contemporain. » D’autres opportunités s’offraient à Raya Farhat qui était encouragée par sa mère à poursuivre dans cette voie. Rien ne laissait prévoir les événements qui allaient se succéder : pandémie, confinement à Paris, désolation et terreur. Un lockdown total, avec fermeture des aéroports et de toutes les voies de communication. L’artiste libanaise se soumet à toutes les règles contraignantes de la situation tout en continuant à travailler chez elle pour le magasine Crash. Elle ne se doutait pas que le vrai cataclysme dans sa vie était à venir. Sa mère, âgée de 69 ans, meurt brutalement d’une crise cardiaque, la laissant désemparée. Impossibilité de rentrer au Liban, mais aussi impossibilité de faire les adieux à une maman adorée et d’assister à son enterrement. Tout cela lui semble absurde, incompréhensible, voire inconcevable. « Ceux qu’on n’enterre pas errent éternellement sans jamais trouver de repos », hurlait Antigone, à propos de son frère assassiné. « C’était moi qui avais besoin de crier en silence et de faire entendre ma tristesse infinie. Au lieu de sombrer dans le trou noir de la dépression, je décidai de transmettre l’expérience de la douleur par un film que j’allais réaliser pour honorer sa mémoire. »

Jeu de miroir

Après cet exil forcé où rien n’a plus de goût, loin de sa terre natale, retrouver ses amis dans un projet commun a été un souffle de vie pour l’artiste. Grâce à ceux et celles qui l’ont encouragée, le film a pu voir le jour. Heart Attack a été coréalisé avec Malek Hosni et produit par Carma Andraos. En effet, une fois le confinement levé, Raya Farhat retourne dans son village natal de Aïn Kfaa et refait le chemin du deuil. « J’ai foulé le pont que mon père a construit et qui représente le passage vers une autre vie et suis revenue dans cette église et le cimetière familial, où quelques amis, membres de la famille, ont prié pour elle le jour de l’enterrement. J’ai voulu sonner la cloche, alors que c’était interdit. » Filmer la sépulture de sa mère, c’était rendre réelle cette disparition, qui était devenue abstraite puisque vécue à distance. « Ce n’est que par cet acte de création que j’ai pu la ressusciter et montrer au monde quel être unique elle était. » Un court-métrage de quelques minutes au rythme lent pour souligner la tristesse infinie. Le masque que porte Raya Farhat représente la suffocation, l’isolement, l’étouffement. Dans ce film, l’esprit de la mère de l’artiste l’habite totalement : même robe, même montre au poignet, même bague. Même l’allure est similaire, comme un jeu de miroir : « un besoin de l’immortaliser ». Les mots n’étant pas nécessaires dans ce court-métrage, seul un requiem pouvait tenir lieu de dialogue. Il s’agit de Lacrimosa de Zbigniew Preisner. De plus, la mise en scène est « volontairement théâtrale, précise l’artiste, car elle m’a permis de renforcer le trait le plus important du caractère de mère : le sublime ». Faire intervenir plusieurs disciplines artistiques de l’art, comme l’opéra, la mode, l’esthétique… est également un choix conscient de la réalisatrice pour réunir toutes les facettes de la personnalité de sa mère.

Sélectionné au festival Asvoff (A Shaded View on Fashion Film) créé par Diane Pernet, avec une section créée en 2020 « Home Lockdown Movie », le film a été diffusé sur le réseau FNL Network pendant plusieurs mois. Récemment, après la messe commémorative, c’est sur fond de la voix de Matteo Khodr, qui a interprété Lascia Chi’o Pianga de Haendel, que le court-métrage a été projeté. En septembre, et à partir du vote du public et d’un jury composé d’experts, les noms des lauréats de ce festival seront annoncés. « Quel que soit le résultat, ce qui importe, c’est que le film a représenté pour moi un chemin de lumière pour passer un premier cap, celui de l’absence de ma mère Andrée, conclut Raya Farhat. Il est certes une thérapie et une nouvelle façon de réaliser de futurs projets artistiques… »

Qui auraient certainement plu à sa chère maman disparue.

Après un brillant cursus à l’Alba puis à la Libera Accademia di Belle Arte (LABA) de Florence, Raya Farhat travaille comme directrice artistique sur différentes plateformes de diffusion. En octobre 2020, c’est la révolution dans le pays du Cèdre, suivie du chaos, du tumulte. Pour l’artiste, c’est le désespoir. Les magazines (Aishti Magazine et L’Officiel Levant) et les marques...

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