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Politique - Analyse

Briser l’isolement ou mourir

Briser l’isolement ou mourir

L’ambassadrice des États-Unis au Liban, Dorothy Shea, reçue lundi par le chef de la diplomatie libanaise Nassif Hitti. Photo Dalati et Nohra

Depuis que le pape (saint) Jean-Paul II a lancé sous son pontificat (1978-2005) le concept du « Liban-message », ce slogan a alimenté des milliers de discours politiques locaux, parfois jusqu’à l’écœurement, sans jamais pouvoir se frayer un chemin jusqu’au palais Bustros. Autant ces deux mots donnent-ils à la vocation du pays du Cèdre une ambition immense, presque démesurée, et pourtant à la hauteur du rêve de quelques Libanais, autant la diplomatie libanaise est enfermée depuis des lustres dans un carcan d’une étroitesse étouffante, où l’ahurissante pauvreté du discours le dispute à l’absence de vraies grandes aspirations. À tel point que les beaux projets visant à faire du Liban un centre de dialogue des religions et des civilisations finissent par perdre toute crédibilité, lorsqu’ils ne versent pas carrément dans le ridicule.

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Aujourd’hui, à cette misère à laquelle la politique étrangère de l’État libanais est confinée depuis des décennies, et qui a largement contribué à installer le pays dans un isolement diplomatique croissant, on vient d’ajouter l’incohérence, comme le montrent les suites gouvernementales de l’affaire du jugement rendu par le juge des référés de Tyr interdisant toute interview avec l’ambassadrice des États-Unis à Beyrouth.

Diplomatie inféodée
Pour ne pas remonter au Déluge, contentons-nous de passer rapidement en revue les trente dernières années : de 1990 à 2005, à l’ère de la tutelle de Damas, la phrase magique de la diplomatie libanaise se résumait aussi en deux mots : « concomitance des volets (libanais et syrien) ». Traduire : subordination du Liban à la doctrine assadienne (Hafez) de la « parité stratégique avec Israël ». Ce dogme était l’instrument par lequel, depuis 1974 – date des accords syro-israéliens de désengagement sur le Golan, négociés par l’intermédiaire du secrétaire d’État américain de l’époque, Henry Kissinger –, Assad père justifiait son inaction face à l’État hébreu tout en cherchant à soumettre ses petits voisins arabes au nom du combat contre Israël. Le résultat fut le suivant : succès total au Liban, gain partiel chez les Palestiniens et échec en Jordanie.On ironiserait, certes cyniquement, en relevant que la concomitance entre les deux pays est finalement au rendez-vous en cette joyeuse année 2020, mais pas vraiment là où l’attendaient les promoteurs du dogme…

En avril 2005, les troupes syriennes quittent le Liban. C’est la fin d’une époque. Avec enthousiasme, une partie des Libanais croit l’heure venue de libérer le pays de ses carcans et de se retrouver une vocation internationale. C’était compter sans le Hezbollah qui avait d’autres projets, au service d’une politique régionale visant à donner au nouvel empire perse une frontière virtuelle avec Israël, de manière à lui permettre de jouer un rôle de premier plan au Proche-Orient rien qu’en maniant la surenchère anti-israélienne.

La guerre de l’été 2006 aidant – dans la mesure où les armes du Hezbollah s’en trouvent désormais retournées de facto vers l’intérieur –, le parti de Dieu va pouvoir inculquer à la diplomatie libanaise sa conception radicale du conflit avec Israël, une conception qui mettra progressivement le pays du Cèdre au ban… du monde arabe lui-même, lequel avait depuis longtemps abandonné cette radicalité. Parallèlement, la formation de Hassan Nasrallah réussit à mettre en échec toutes les tentatives de réunir un dialogue national pour définir une stratégie défensive. Or cet échec accroît paradoxalement la vulnérabilité du Liban face à Israël, dans la mesure où le message que le pays du Cèdre envoie désormais au monde, loin d’être celui de Jean-Paul II, l’éloigne même de ses amis, arabes et internationaux. Survient alors l’insurrection, puis la guerre en Syrie, à partir de 2011. Du fait de la polarisation que ce conflit suscite au Liban, on crée pour ce dernier un nouveau dogme diplomatique frileux : la distanciation. L’idée qu’un pays structurellement faible cherche à se mettre à l’écart de l’explosif conflit voisin et, plus globalement, des axes internationaux part certes d’une bonne intention, mais elle ne peut au final qu’accentuer son isolement. Le « Liban-message », lui, aurait au contraire une posture volontariste et active qui le rendrait indispensable pour rapprocher les protagonistes et contribuer à la paix. Mais pour être en mesure de jouer un tel rôle, tout à fait conforme à sa nature et à sa conception du vivre-ensemble, le Liban doit d’abord préserver ses amitiés internationales et récuser toute radicalité. On est d’autant plus loin du compte que le Hezbollah impose une vision tout à fait particulière de la distanciation, se résumant à peu près ainsi : tout le monde prend ses distances, sauf moi…

L’affaire du juge
Retour à 2020. Contrairement à ce qu’un nombre de juristes, de politiques et de commentateurs ont dit, le juge Mohammad Mazeh n’a guère violé la Convention de Vienne sur les missions diplomatiques, que sa décision ait été ou non « inspirée » par un parti politique. Dans son jugement, il n’interdit nulle part explicitement à l’ambassadrice des États-Unis à Beyrouth de s’exprimer. Il veut simplement pénaliser l’action d’interviewer la diplomate. De ce fait, les excuses qui ont été formulées à l’égard de l’ambassadrice américaine après la publication du verdict et les remous qu’elles ont suscités au sein du gouvernement étaient totalement déplacés. C’est au peuple libanais que les pouvoirs publics auraient dû présenter des excuses, puisque dans cette affaire, c’est sa liberté d’expression garantie par la Constitution qui a été mise en cause, et pas autre chose. Mais le plus important dans l’affaire du juge ne réside pas seulement dans ses suites au niveau du pouvoir judiciaire. Il est aussi et surtout dans le fait qu’elle a jeté une lumière crue sur l’incohérence du gouvernement et de ses parrains politiques en matière diplomatique. On annonce un jour qu’on va convoquer l’ambassadrice des États-Unis pour lui signifier qu’elle ne doit plus « inciter une partie des Libanais contre une autre », et le lendemain on procède à une désescalade totale et la convocation devient une visite amicale.

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Qui peut dire quelle est actuellement la politique de la majorité parlementaire qui a formé ce gouvernement à l’égard des États-Unis ? Une telle question peut-elle rester sans réponse, aujourd’hui, au moment où le pays s’effondre littéralement ? Jusqu’à quand le consensualisme, c’est-à-dire l’absence de toute politique, puisque tout doit se terminer en partie nulle, va-t-il gouverner le Liban ? N’est-il pas en grande partie responsable de la situation actuelle ?

L’isolement diplomatique du Liban au moment où il tente de négocier un accord de sauvetage avec le Fonds monétaire international est bien plus grave que la querelle en cours autour des chiffres du gouvernement et ceux des banques. Un compromis pourra au final être trouvé sur les chiffres, mais sans amis, le Liban n’ira pas loin…

Depuis que le pape (saint) Jean-Paul II a lancé sous son pontificat (1978-2005) le concept du « Liban-message », ce slogan a alimenté des milliers de discours politiques locaux, parfois jusqu’à l’écœurement, sans jamais pouvoir se frayer un chemin jusqu’au palais Bustros. Autant ces deux mots donnent-ils à la vocation du pays du Cèdre une ambition immense, presque...

commentaires (8)

Le juge n'a pas violé la convention de Vienne, oui... Mais il a violé , en promulguant un décret, un principe essentiel, celui de juger un fait accompli. Il a le droit d'après la loi de condamner Al-Horra à une amende, si coupable d'attiser les tensions confessionnelles... Ensuite, à mon avis, cette loi est non-constitutionnelle car elle entrave la liberté d'expression individuelle, et est très subjective

Tanios Kahi

19 h 47, le 03 juillet 2020

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Commentaires (8)

  • Le juge n'a pas violé la convention de Vienne, oui... Mais il a violé , en promulguant un décret, un principe essentiel, celui de juger un fait accompli. Il a le droit d'après la loi de condamner Al-Horra à une amende, si coupable d'attiser les tensions confessionnelles... Ensuite, à mon avis, cette loi est non-constitutionnelle car elle entrave la liberté d'expression individuelle, et est très subjective

    Tanios Kahi

    19 h 47, le 03 juillet 2020

  • LA PARISIENNE: Eternelle difficulté libanaise d'"appeler un chat-un chat." EN TERMES MOINS DIPLOMATIQUES QUI NE SONT PAS LA PREOCCUPATION D'UNE ANALYSE JOURNALISTIQUE INDEPENDANTE , L'ALTERNATIVE GOUVERNEMENTALE LIBANAISE EST SIMPLE: OU TOMBER DANS LE GIRON DES "PERSANS" ET DE LEUR BRAS POLITICO-ARME, LE HEZBOLLAH ; OU AFFIRMER ET RENFORCER LES RELATIONS AVEC L'OCCIDENT ET AVEC LE MONDE ARABO-SUNNITE; C'EST L'HEURE DU CHOIX CLAIR; iL N'Y AURA PAS D'AUTRE ISSUE "ROUBLARDE."

    Saab Edith

    11 h 32, le 02 juillet 2020

  • UNE CITATION AVAIT BIEN DIT QUE, POUR VIVRE HEUREUX IL FAUT VIVRE CACHE ? BEN VOILA, NOUS SOMMES SERVIS EN CELA PAR LE LIBAN FORT, NOUVEAU,AU GRAND PEUPLE CONFORTE PAR UNE MILICE FORTE PROTEGEE PAR LES DIEUX ET PAR BAABDA. SEULS CONTRE TOUS ? LACHES PAR TOUS ? PAS GRAVE NOUS SOMMES TRES BIEN AINSI,.POUPONNES QUE NOUS SOMMES PAR QUELQUES GENS ET PARTIS AU POUVOIR, QUI A BESOIN DU RESTE DU MONDE ?

    Gaby SIOUFI

    11 h 19, le 02 juillet 2020

  • Excellente analyse ! Malheureusement face à la détermination et à l'action destabilisatrice du Parti de Dieu, il y a une société interne profondément divisée et corrompue et des actions éparses et désordonnées de la part d'un Occident cherchant à satisfaire régionalement, ses intérêts divers et stratégiques, Ces erreurs ont facilité la porosité de la scène politique libanaise, les manipulations multiples du Hezb., en faveur de l'effondrement prémédité du pays, ainsi que la réorientation du système libanais conformément à son idéologie,, retardant et bloquant de ce fait, toutes les solutions à nos divers problèmes nationaux, et à la réhabilitation du Liban Message.

    Salim Dahdah

    10 h 59, le 02 juillet 2020

  • Excellent décryptage de la situation grippée et enchevêtrée depuis des décennies et qui commence à produire son effet de destruction méthodiquement installée jour après jour pour achever notre pays et son peuple meurtris par des années de guerre d’assassinats politiques, économiques, financiers et culturels pour le voir à genoux et l’utiliser comme base avant pour régler des problèmes qui lui sont totalement étrangers. Tous les libanais devraient se poser une question: que deviendraient ils si par malheur ils perdaient leur nation ouverte au monde et à la multi culture qui a toujours fait la force de ce pays? Seraient ils tous d’accord pour vivre sous le joug d’une faction fermée et étanche au monde qui l’entoure pour fortifier sa machine de guerre aux dépens de l’éducation de leurs enfants et de leur labeur. Tout l’argent volé sert à acheter des armes pour combattre un ennemi fantôme alors que le pays manque de tout. Pas d’école publiques dignes, pas de fabriques ni sociétés pour créer des emplois et permettre aux citoyens de gagner dignement leurs salaires. Pas d’hôpitaux ni de soins pour les plus démunis, pas d’eau, pas d’électricité ni de mazout pour alimenter les générateurs qui leur polluent la santé et vident leurs poches. Les premières souches touchées par ce processus sont les gens qui descendent dans la rue pour combattre leurs frères d’en face parce qu’ils réclament à leurs places leur droits le plus absolu à vivre dignement. ET APRÈS ?

    Sissi zayyat

    09 h 58, le 02 juillet 2020

  • Les pouvoirs publics sont super loin de toute liberté d’expression garantie par la Constitution ils vivent toutes confession confondues sous le chantage d'un seul parti étranger , pour ne pas dire autre chose.

    Antoine Sabbagha

    09 h 25, le 02 juillet 2020

  • UN ARTICLE TRES INTERESSANT ET QUI DIT TOUT. RESPONSABLES DES DEBOIRES DU PAYS : LES DEUX MILICES IRANIENNES ET MALHEUREUSEMENT LEUR PARAVENT CPL.

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 41, le 02 juillet 2020

  • Excellente passation en revue des vicissitudes de la diplomatie libanaise dont j'ai fait partie durant une quarantaine d'année . Conclusion pratique : 1-La raison du plus fort est toujours la meilleure (Joumblatt dixit) 2- le malheur est que nous ne savons pas encore qui rira le dernier (Joumblatt dixit)

    Chucri Abboud

    03 h 24, le 02 juillet 2020

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