Critiques littéraires

Le buveur de braises

Le buveur de braises

Le Derviche des mots d’Ahmed Ben Dhiab, L’Harmattan, 2020, 72 p.

La poétique d’Ahmed Ben Dhiab procède simultanément des deux faces du monde. L’une, secrète comme « le feu tapi dans la pierre », occulte, ombrageuse, énigmatique, « le parfum d’une rose là où il n’y a pas de rose ». L’autre, révélée comme « les dents de lait du soleil », nostalgique du pays d’origine, la Tunisie, « dans ce bleu qui me traverse/me revient la saveur/ du miel des dattes/de l’orange et la menthe » et de l’enfance solaire, « fragrance du basilic/ au seuil de la porte étonnée/ de l’enfance/ de Tewfic/ mon frère/ qui sourit/ à une absence/ connue de lui seul ».

Le tour de force de la poésie de Dhiab est de ne pas opposer ces deux mondes, du dedans et du dehors, de l’ineffable et du profane, de l’ombre et de la lumière. En ceci, le poète opère en véritable derviche qui danse parmi les astres des mots. Il entre en transe, une paume tournée vers la terre, l’autre vers le ciel. « J’entends la terre en moi/ me traverser et fleurir/ dans l’intime/ J’entends la terre/ célébrer la farine du rêve/ qui inonde le cosmos. »

La mystique musulmane, le soufisme, ne tournent point le dos au bleu natal. Le poète ne recule pas à évoquer les enfants de Sabra et Chatila à quelques encablures des « signes mystiques où le derviche des mots/ tète la foudre ». Il n’hésite pas à inviter le lecteur à « psalmodier/ la sourate al-Kahf/ pour veiller l’âme/ des Sept Dormants » et quelques textes plus loin, s’infliger « la puanteur de la mort/ des cadavres enchevêtrés où s’écrit le cri ». Et ce, dans une langue moderne à l’apport surréaliste fertile « la goutte d’eau/ peuplée d’ancêtres. (…) partager la poésie/ avec la vache bleue/ qui soupçonne son ombre », une langue aux images audacieuses dont les arcanes d’el-Attar, d’el-Rumi ou d’al-Hallaj s’accommodent finalement bien. Un peu à l’image de l’homme lui-même qui cumule des modes d’expressions diverses. Ahmad Dhiab est également peintre, musicien, chanteur et réalisateur de films.

Ahmed Ben Dhiab vit en exil. Nous le savons par le grand nombre de mots arabes qui peuplent ses poèmes comme des absences. Comme un orientaliste amoureux du monde musulman, il égrène telles les lettres d’un alphabet incantatoire huwa huwa les ghazal, khamriyya, muwashahat et maqâm. Antar ben Chaddad, Majnoun Layla e Zarka el-Yamana. Nahawand et Isfahan. Il s’enivre aux accents d’un monde évanoui.

« Bouche muette. Baiser inachevé. Locuteur absent. Écrire sans écrire. Chanter l’éloquence muette. Lieu sans lieu. » Sans maison, nomade errant en ce monde défaillant, c’est par la poésie que l’homme habite son corps. Tenaillé par « une soif sans fin », le poète « buveur de braises » comble les lacunes de son corps, les mailles de son être et « la souffrance de l’univers » par la sourate des amants.

Le Derviche des mots d’Ahmed Ben Dhiab, L’Harmattan, 2020, 72 p.La poétique d’Ahmed Ben Dhiab procède simultanément des deux faces du monde. L’une, secrète comme « le feu tapi dans la pierre », occulte, ombrageuse, énigmatique, « le parfum d’une rose là où il n’y a pas de rose ». L’autre, révélée comme « les dents de lait du soleil », nostalgique du pays...

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