L’art naïf désigne la manière d’aborder la peinture par les « peintres naïfs », dont l’une des principales caractéristiques plastiques consiste en un style pictural figuratif ne respectant pas – volontairement ou non – les règles de la perspective sur les dimensions, l’intensité de la couleur et la précision du dessin.
Commencer par la définition de l’art naïf n’a rien d’étrange. Je me permets de raconter une petite anecdote. Chaque matin, j’arrive au bureau et mes collègues me demandent si je vais bien, et la réponse fuse du tac au tac : Super. Et vous ? Et je leur enlève, du coup, leur air maussade et ils s’en vont d’un grand rire. La journée peut commencer. Ils sont dégrisés.
Relions les deux idées. J’arrive à mon lieu de coexistence supposée pacifique journalier. Je regarde leurs mines purement figuratives sans un trait, sans une ride et carrément plâtrées comme des momies prêtes à l’embaumement avant de se laisser choir dans les ténèbres précoces d’une caverne (il n’y a malheureusement pas de pyramides au Liban, il faut faire avec ce qu’on a) et qui ont une perspective noire d’un univers dont ils sont, pour la plupart, souvent – étonnamment – jeunes, parfois blasés. Et j’arrive avec ma mine qui n’est pas mieux, aux premiers abords, et je change la perspective avec un mot, un superlatif incongru dont la présence n’a aucune place dans une pièce pourtant très claire, mais noircie par la monotonie d’une routine destructrice. Je dis donc ce qu’il ne faut pas dire et la mouvance se fige me regardant, éberlué, l’espace de quelques secondes avant d’éclater de rire. La conclusion est la suivante : qu’y a-t-il dans ce monde ? Soyons heureux.
Il est temps, vu que le confinement est terminé et que l’inconscience des Libanais s’est renforcée avec une absence quasi totale de masques dans les rues, de changer la couleur de nos vies, de leur donner un nouveau style pictural en les redessinant plus simplement avec beaucoup de couleurs et des contours nets. Le plus difficile est derrière nous.
Nous avons été naïfs de croire beaucoup de choses ces dernières années ou, du moins, avions fait semblant de croire, vu que ça nous confortait de rester dans l’inaction comme la très très grande majorité.
Nous avons été naïfs de croire à un nouvel eldorado et à une vie meilleure.
Nous le sommes encore toujours un peu. L’espoir fait naître les plus folles envies. Il est temps de rebâtir un univers qui ne sera pas le nôtre, malheureusement, mais celui de nos enfants ou, même, de la génération d’après. Il faut du temps pour tout. La guerre de Cent Ans en France a connu des bouleversements inimaginables avant d’aboutir à quelque chose de viable. Puis vint l’abolition des privilèges quelques années après la Révolution française. Plus proche de nous, aux Émirats, il y a eu un prince qui a réussi à réunir sept factions sous son égide et en faire un État prospère. Cela a pris sans doute une cinquantaine d’années, mais le résultat est là. Même histoire pour l’Arabie saoudite. Et des exemples, il y en a à la pelle pour qui sait lire l’histoire.
Pourquoi avoir choisi ceux-là précisément ? Car en France ce sont des volontés populaires qui ont voulu changer le régime tripartite noblesse-clergé-tiers-état, et dans les pays arabes, il a fallu la volonté forte d’un homme qui a une vision du futur dans le cadre d’une certaine union, loin des idées tribales, sectaires ou claniques.
C’est à nous de dépasser tout cela. Ceux qui sont arrivés à un niveau de responsabilité précis chercheront, sous des couverts d’aide sociale et de faces angéliques et innocentes, à le garder. Donc, ici, la voix est au peuple. Élections anticipées ou pas, ce n’est pas un bulletin dans une urne qui changera quoi que ce soit s’il n’y a pas une réelle volonté populaire de changer la couleur et la perspective pour le pays. Pour cela, il faut des lignes claires et bien définies. C’est ce qui nous manque.
Il y en a qui ont proclamé la fin de la révolution d’octobre. Étrange! Il y a 102 ans (octobre-novembre 1917), éclatait en Russie, en octobre et novembre aussi et à peu près aux mêmes dates, la révolution bolchevique qui a abouti à la fin de l’empire et au triste sort de Nicolas II et de sa famille. Certes, c’était une révolution qui a abouti à quelque chose de novateur pour l’époque avec une prise de conscience collective, sous l’impulsion d’un leader bien-pensant qui a cherché le bien des pauvres gens, réussissant à les fédérer et à mettre un point final à la dictature tsariste.
Voilà ce qui manque ici ! C’est aussi simple que ça. Notre révolution à nous manque d’un leader assez charismatique et diplomate pour unir tout le peuple avec un plan équitable et non des idées jetées ou des slogans perçus comme une finalité. Certains se sont même avancés à dire « nous sommes tous des leaders, chacun dans sa zone ». Un changement radical ne marche pas quand nous sommes « tous » leaders. Sinon, nous tomberons de nouveau dans un système clanique où le clientélisme reprendra son espace. Il faut une personne ou deux tout au plus pour réunir un peuple autour d’un plan strict auquel tous se tiendront au-delà des considérations personnelles, partisanes ou confessionnelles. À ce moment, et juste à ce moment, le slogan « kellon yaane kellon » pourra être appliqué.
Ne nous leurrons pas ! Nous avons été trop naïfs et continuons à réagir avec un peu d’infantilisme. Je ne remets en cause les bonnes intentions de personne. Mais les initiateurs ou les instigateurs de ce qu’on appelle la « thaoura » doivent fédérer toutes les factions, sinon ils courent à une perte de leurs idéaux sous couvert de crise économique précoce qui va durer encore quelques années. Si Beyrouth accepte certaines allégations et pas Saïda ou Tripoli ou Tyr ou Aley, quel intérêt a une telle révolution ? Tout n’est pas de brandir des slogans et des drapeaux libanais. Il s’agit de savoir comment les mettre en application.
Pour le moment, nous continuons dans un système de naïveté où certains se complaisent en croyant à la fatalité. Non ! Il n’y a pas de destin tout tracé. Un pays tel que le nôtre a le droit de tout refaire, mais il faut du temps. Beaucoup de temps. Il ne faut pas se laisser bercer dans notre candeur. Tout ne se fera pas en un claquement de doigts. Pour le moment, ceux qui gèrent font de leur mieux. On ne peut pas leur en vouloir si certains dossiers épineux restent dans une impasse. Ce n’est pas un fait exprès ! C’est un concours de circonstances malheureux qui va s’arranger. Au final, il va y avoir des angles qui vont s’arrondir. Pas aujourd’hui, ni demain ! Mais il nous faudra beaucoup de patience, et cette qualité n’est pas notre fort. Il ne faut pas oublier que nous sortons d’un système qui a mené à une agonie financière et à un taux de change déplorable. On n’efface pas en un tour de main trente années de malversations.
Par contre, il faut continuer à rêver et à espérer, et surtout à ne pas quitter le Liban. C’est notre terre ! Ce sont nos racines, et les dénigrer ne mènerait à rien ! Continuez donc à espérer car tout va s’arranger. Comment? Je ne le sais pas. Nul n’a la solution. Mais il suffit d’y croire. Simplement y croire, et l’avenir nous donnera raison.
Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.
commentaires (1)
les tenants de la thawra ont ils la meme vision du liban de demain, mis a part leurs cris unifies contre la corruption,pour le recouvrement des sous voles,pour un liban ay systeme laic ? etc.... je ne vois pas cette chose arriver de si tot.
Gaby SIOUFI
16 h 55, le 24 juin 2020