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Culture - Entretien

Pour Salim al-Lawzi, la mer est le cimetière des rêves des migrants

Son nouvel opus « Zabad ahmar » (« Écume rouge – éditions Hachette Antoine – 279 pages) est en librairie. Entretien avec un écrivain engagé autour de l’émigration, sujet d’une triste et brûlante actualité.

Pour Salim al-Lawzi, la mer est le cimetière des rêves des migrants

Pour Salim al-Lawzi, « la mer a ce pouvoir terrible d’absorber et d’avaler dans son gigantesque ventre mouvant quantité de gens en les faisant taire à jamais… ». Photo DR

Il vient de signer, à 34 ans, son troisième roman. Salim al-Lawzé, homonyme et très proche parent du journaliste martyr, torturé et sauvagement assassiné en 1980, confie d’emblée : « Porter le même nom que mon oncle a été une clé et un sésame pour ma carrière. » Son Zabad ahmar (Écume rouge – éditions Hachette Antoine – 279 pages) navigue entre la ville de Tripoli, d’où les Phéniciens ont sillonné les mers, et Washington, mégalopole tentaculaire aux enfants venus des quatre coins du monde. Un roman de l’émigration par voie maritime, jeté au public et aux lecteurs arabophones comme une bouteille à la mer, comme une bouée de sauvage... Fils de Tripoli où il a fait ses études primaires et secondaires pour entreprendre par la suite une licence en sciences administratives ainsi que des études de finances et de banking à l’Université libanaise, Salim al-Lawzi coiffe très vite plusieurs casquettes et mène une vie active aux multiples ouvertures professionnelles. Il collabore successivement au Nahar ech-Chabab, au Safir, à al-Akhbar et occupe la fonction de « webmaster » à la Fondation Samir Kassir. À la télévision, il peaufine sa touche d’homme d’information à al-Jadeed (New TV) et vit actuellement à Washington, attaché aux activités des réseaux sociaux de la chaîne al-Hurra.

Une bouille sympathique, les yeux rieurs, une calvitie galopante compensée par une barbe fournie de pâtre grec, tatouage et bracelets aux poignets, ce jeune homme, déjà père d’un garçon prénommé Daniel, croque la vie à belles dents et noircit en toute allégresse les pages de ses romans où drame et espoir de vivre cohabitent à grands fracas.

Dans une discussion à bâtons rompus autour de son roman, Salim al-Lawzé évoque tour à tour ce qui l’inspire, la genèse d’une œuvre, l’écriture en général, l’émigration, ses déboires et ses espoirs, à travers une Méditerranée à la fois passerelle et zone de séparation. La mer, royaume de Poséidon, est au creux de ces pages houleuses en quête de quiétude et de sérénité...

Pourquoi écrivez-vous ?

Pour le plaisir. Par passion pour le don reçu de porter une plume et de transcrire sur papier mes idées, mes émotions, la part invisible de mes aspirations et les images qui me hantent. Bref, pour véhiculer tout ce qui m’habite et que j’extériorise par l’écriture. Bien plus qu’une catharsis, une véritable évasion vers un univers que je souhaite rendre perceptible, tangible. Mes deux premiers romans, Zaba’eh moulawwanah (Offrandes colorées) et Khalf el-atmeh (Par-delà la pénombre), bien accueillis par les lecteurs, sont mon partage d’écriture avec le public… Car je conçois l’écriture comme une communion avec l’autre, mais aussi comme partage…

Y a-t-il un message dans « Zabad ahmar » ? Lequel ?

C’est un roman choral. C’est une histoire sur les migrants qui choisissent la voie maritime. C’est un sujet douloureux dénonçant l’injustice, le manque d’argent, l’humiliation ressentie dans le pays d’origine comme à l’extérieur. Car il ne suffit pas de quitter une terre pour que les tracas s’arrêtent. Quant au message, cela reste de la perception du lecteur qui doit le décrypter. L’émigration n’est pas forcément un moment de beauté, mais relève plutôt du cauchemar. Mes seize personnages ont choisi, pour une dignité de vie perdue, la fuite, l’éloignement, la mer… D’où le titre d’Écume rouge car les crêtes des vagues sont éclaboussées de sang !

Est-ce une quête d’un paradis qu’on aimerait retrouver ?

Peut-être. Mais comme j’aime la mer et que ma ville natale est un port en Méditerranée sur les côtes d’Orient, j’ai déversé tout mon lyrisme et tous mes fantasmes pour décrire cette immensité d’eau…Avec ce stock d’évasion, d’horizons nouveaux, de besoin de se reconstruire en croyant à un monde et des lendemains meilleurs. Je conserve bien entendu des souvenirs de mes lectures, surtout quand je pense au livre Le Vieil Homme et la mer d’Ernest Hemingway. C’est fascinant comme la mer détient des secrets : elle a ce terrible pouvoir d’absorber et d’avaler dans son gigantesque ventre mouvant quantité de gens en les faisant taire à jamais…

Vous qui êtes féru des ouvrages d’Élias Khoury et de Jabbour Doueyhi, comment définissez-vous votre style ?

J’écris des phrases sans sophistications, courtes, nerveuses. Mais j’accorde beaucoup de sens du détail avec une prééminence à la force, l’importance, l’évocation et la beauté des images… Il y aurait des rapprochements parfois avec Franz Kafka dans les états de tristesse qui habitent mes personnages et mes pages…

Avez-vous déjà un nouveau projet d’écriture ? Si oui, s’inspire-t-il de votre vie aux États-Unis ?

Oui, un quatrième roman en préparation. En Amérique, j’ai découvert l’importance du traducteur et, surtout, celle du facteur. Pour la traduction, il y a Saleh Almani, un Palestinien né en Syrie, qui a traduit les œuvres de José Saramago, Gabriel Garcia Marquez, José Luis Borgès. Une merveilleuse fenêtre pour les arabophones sur la culture hispanophone… Mais il y a aussi pour moi la présence du facteur malgré le courrier électronique qui a rompu le charme du contact humain direct. Le facteur, comme le traducteur, change le cours d’une œuvre, d’un destin, du destinataire d’un courrier… Surtout quand il traficote en ouvrant ce courrier et lui injecte un influx personnel. Et détourne le message envoyé ou reçu. Dans les deux sens, aussi bien du mal que du bien ! Le roman sur lequel je travaille est justement celui d’un facteur en Russie, qui se mêle de la vie des autres. Je n’en dirais pas plus.

Comment vivez-vous votre éloignement du Liban ?

À la fois triste et heureux. Triste car le Liban s’écroule, et heureux car j’ai d’autres sources d’intérêt ici…

Il vient de signer, à 34 ans, son troisième roman. Salim al-Lawzé, homonyme et très proche parent du journaliste martyr, torturé et sauvagement assassiné en 1980, confie d’emblée : « Porter le même nom que mon oncle a été une clé et un sésame pour ma carrière. » Son Zabad ahmar (Écume rouge – éditions Hachette Antoine – 279 pages) navigue entre la ville de...

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