Le président libanais, Michel Aoun, qui a présidé lundi une réunion du Conseil supérieur de défense au palais de Baabda, a dit craindre "de dangereuses répercussions" aux violentes émeutes qui se sont produites ces derniers jours à Beyrouth et à Tripoli, dans le contexte de manifestations anti-pouvoir déclenchées par une forte dépréciation de la livre libanaise à l'ombre de la grave crise économique qui ébranle le pays.
"Les actes de vandalisme qui ont eu lieu dernièrement et qui ont revêtu, dans certains cas, un caractère confessionnel et communautaire, sont devenus inacceptables, tout comme les attaques systématiques contre les forces de sécurité et les forces armées. Cela présage de dangereuses répercussions", a mis en garde le président Aoun, lors de la réunion à laquelle ont pris part le Premier ministre, Hassane Diab, ainsi que les ministres concernés et les chefs des services de sécurité et hauts gradés de l'armée. Le chef de l'Etat a en outre insisté sur "la nécessité de prévoir des opérations préventives pour arrêter les instigateurs et les planificateurs de ces actes de vandalisme, afin de limiter de tels actes et de les empêcher de se reproduire".
A la fin de la réunion, le Conseil supérieur de la défense a décidé de "renforcer la coopération entre les services sécuritaires pour éviter les actes de vandalisme et se montrer intraitables avec les fauteurs de troubles", a affirmé le général Mahmoud el-Asmar, secrétaire général du Conseil en question. Il a toutefois rappelé que les décisions du Conseil supérieur de défense restent secrètes en vertu de la loi.
Dans ce contexte, l'armée menait des perquisitions à Tripoli, à la recherche des fauteurs de troubles de ces derniers jours. Le ministre de l'Intérieur, Mohammad Fahmi, a pour sa part imposé un couvre-feu aux motos, entre 17h et 6h, dans le centre-ville de Beyrouth.
"Anormal"
Le pays connaissait lundi un calme relatif après plusieurs jours de manifestations tendues. Dimanche soir, un rassemblement s'est tenu dans le calme dans le centre de la capitale Beyrouth, tandis que plusieurs dizaines de manifestants ont rallié une place centrale de Tripoli (nord), deuxième ville du pays. De jeudi soir à samedi soir, plusieurs manifestations et blocages de routes ont eu lieu à travers le pays, notamment à Beyrouth et Tripoli, où les forces de sécurité ont parfois eu recours à des tirs de gaz lacrymogènes voire des balles en caoutchouc, contre des manifestants qui ont lancé des pierres et saccagé banques et commerces. Plusieurs dizaines de blessés ont été rapportés. Ces rassemblements ont été déclenchés par une forte dépréciation de la livre libanaise qui a atteint jeudi le seuil historique des 5.000 livres pour un dollar, les médias évoquant même les 6.000 livres. Indexée sur le dollar depuis 1997 au taux fixe de 1.507 livres pour un dollar, la monnaie nationale a dévissé la semaine dernière sur la marché parallèle, frôlant les 6.000 livres. Les autorités ont annoncé l'injection de dollars sur le marché pour faire baisser le taux de change et enrayer l'envolée des prix. Vendredi le taux avait baissé et, lundi, le dollar s'échangeait à 4.200 livres, selon un changeur de Beyrouth contacté par l'AFP.
"Ce qui se passe dans le pays est anormal. Il est clair qu'il y a une décision, quelque part, sur le plan interne ou externe, ou peut-être les deux à la fois, afin de miner la paix civile et menacer la stabilité sécuritaire. Ce qui se passe comporte de nombreux messages dangereux. Il est inacceptable que les responsables de cette action ne soient pas identifiés", a pour sa part martelé Hassane Diab lors de la réunion du Conseil supérieur de défense. "Des voyous dans la rue qui détruisent le pays et ses institutions, alors que l'Etat observe cela ? Pourquoi ? Il ne s'agit pas de manifestations contre la faim et la situation économique. Il s'agit d'une opération de sabotage planifiée. Il faut qu'il y ait une décision ferme pour faire face à cette situation qui s'aggrave. Il faut arrêter ceux qui incitent, ceux qui financent et ceux qui dirigent" ces émeutiers, a insisté le Premier ministre.
Plus tôt dans la matinée, Hassane Diab avait présidé au Grand Sérail une réunion sécuritaire et financière axée sur la dépréciation de la livre. Après avoir qualifié les actes de vandalisme de "catastrophe", il a affirmé que "les voyous sont là pour détruire, et leur place est en prison, un point c'est tout !". Il a ainsi demandé aux services de sécurité et la justice d'enquêter et de traduire en justice les fauteurs de troubles.
La crise économique sans précédent du Liban a été un des catalyseurs du soulèvement inédit déclenché en octobre pour dénoncer une classe politique quasi-inchangée depuis des décennies, accusée de corruption et d'incompétence. Le gouvernement a mis sur pied un plan de réformes pour tenter de relancer l'économie, et entamé des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) pour obtenir des aides permettant au pays de se relever. Les autorités prévoient une inflation de plus de 50% pour 2020, dans un pays où 45% de la population vit déjà sous le seuil de la pauvreté et plus de 35% de la population active est au chômage.
Illustrant les tensions, des manifestants se sont opposés samedi à Tripoli au passage de camions qu'ils soupçonnent de contrebande vers la Syrie voisine. Il s'agit toutefois d'un convoi d'aides alimentaires affrété par l'ONU et le Comité international de la Croix-Rouge. Les 39 camions sont toujours au Liban.
commentaires (8)
L'homme "fort" ne doit rien craindre.
Esber
08 h 00, le 16 juin 2020