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The legal agenda - Juin 2020

Le rapporteur public, un acteur-clé du procès administratif

Le rapporteur public, un acteur-clé du procès administratif

Chargé de donner publiquement une consultation juridique, de l’intérieur de la juridiction dont il est membre mais en toute indépendance, le rapporteur public est un personnage original du contentieux administratif, trop souvent assimilé, à tort, à un ministère public.

Parmi d’autres mesures phares telles que, notamment, l’institution de procédures de référés, la création de tribunaux administratifs territoriaux et l’attribution d’un pouvoir d’injonction au juge administratif, le projet de loi porté par le Legal Agenda entend consacrer et moderniser la fonction du rapporteur public qui succède à l’institution du commissaire du gouvernement née en France au XIXe siècle1 et déjà présente dans le paysage juridique libanais. Chargé de donner un avis juridique indépendant sur chaque affaire, il prononce ses conclusions publiquement sans toutefois participer au délibéré. Il s’adresse en même temps à trois publics : la formation de jugement, les parties et la société.

Un avis juridique indépendant

Tout d’abord, le projet de loi propose de suivre les traces du législateur français en retenant l’appellation de rapporteur public, plus conforme à la réalité de sa mission que celle, désuète et peu intelligible, de commissaire du gouvernement.

Ensuite, ce saut terminologique s’accompagne d’une consécration explicite de la fonction du rapporteur public dans une définition générale qui fait écho à l’article L. 7 du code français de justice administrative, lui-même inspiré de l’arrêt Gervaise du Conseil d’État français de 1957. Un article du projet dispose ainsi qu’« un membre de la juridiction, chargé des fonctions de rapporteur public, expose publiquement et en toute indépendance son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu’elles appellent ». L’indépendance du rapporteur public signifie tout simplement qu’il est « maître de ses conclusions » (Jean L’Huillier).

À la différence du rapporteur, membre de la formation de jugement qui instruit l’affaire, rédige un projet de décision et participe au délibéré, le rapporteur public n’est pas doté de pouvoirs d’instruction, ne rédige pas un projet de jugement mais des conclusions et ne participe pas au délibéré. Toutefois, comme le rapporteur, il procède à une étude exhaustive et minutieuse du dossier et doit se prononcer sur l’ensemble des conclusions et des moyens de la requête au regard des pièces du dossier. Le résultat de son travail prend la forme de conclusions motivées proposant à la formation de jugement une solution au litige.

Sans doute les mots d’un sociologue, Bruno Latour, permettent-ils de saisir, mieux qu’une définition juridique, la réalité de la fonction du rapporteur public devant le Conseil d’Etat. « C’est comme, si on lui avait confié un contrôle-qualité de forme particulière en lui demandant, en pleine indépendance, de refaire l’ensemble du chemin déjà parcouru par les requérants, avocats, juges de première instance, rapporteur et réviseur, et d’aller refaire ensuite tout le chemin – deux fois centenaire – du droit administratif pour voir si tout cela se tient et se relie. Par lui le droit se dresse contre le droit.»[1]

Enfin, probablement animés par le souci de ne pas alourdir la procédure contentieuse devant les nouveaux tribunaux administratifs installés, les auteurs du projet n’ont pas souhaité étendre dans un premier temps l’intervention du rapporteur public aux tribunaux administratifs de droit commun. Même si elle a pour effet de priver les juridictions territoriales de la plus-value du rapporteur public, cette restriction est cohérente avec le recentrage, opéré par le projet, de la compétence du Conseil d’État dans l’examen en premier et dernier ressort des seules affaires les plus importantes et dans ses fonctions de juge d’appel et de cassation.

Une fonction exercée publiquement

Indépendant, le rapporteur public n’est pas isolé pour autant. Il travaille sous le regard de la formation de jugement, des parties et, plus largement, du citoyen. L’institution d’une véritable audience publique, avant la mise en délibéré, que consacre le projet de loi, permet le plein déploiement de la fonction du rapporteur public. La réforme proposée entend ainsi dynamiser l’intervention du rapporteur public avant, pendant et après l’audience.

Avant l’audience, le rapporteur public, formellement rattaché à une chambre, est un maillon de la collégialité et confronte, en amont, son opinion avec celle de ses collègues de la formation de jugement. En outre, de façon beaucoup plus originale, le statut actuel du Conseil d’État libanais (article 88 du décret du 14 juin 1975) soumet au contradictoire le rapport du rapporteur ainsi que les conclusions du commissaire du gouvernement. Cette procédure est fort éloignée de la tradition juridique française, qui soustrait au regard des parties le travail, purement interne, du rapporteur et qui n’a instauré une certaine forme de contradictoire pour les conclusions du rapporteur public (communication du sens des conclusions préalablement à l’audience, possibilité pour les parties de présenter des observations orales après le prononcé des conclusions et d’adresser une note en délibéré) que sous la contrainte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme des années 2000. Les auteurs du projet de réforme souhaitent conserver cette spécificité de la procédure contentieuse administrative libanaise et en renforcer l’effectivité en facilitant la transmission aux parties du rapport et du projet de conclusions.

À l’audience publique, ensuite, celle-ci ayant lieu avant la mise en délibéré, le projet de réforme s’inspire cette fois du droit français3 en prévoyant la lecture des conclusions du rapporteur public, « moment essentiel de l’audience » (Jean Rivero), qui prend la parole en premier, avant les parties qui ont ainsi la possibilité de réagir oralement à ce qui a été dit et proposé à la formation de jugement, puis le cas échéant d’adresser ensuite une note en délibéré.

Après l’audience, enfin, le projet de loi précise que le rapporteur public ne participe pas au délibéré. Plus originale et novatrice est la disposition du projet prévoyant la publication systématique en ligne des conclusions prononcées par le rapporteur public, dans une version rendue anonyme, qui sont ainsi mises à la disposition du citoyen.

La réforme proposée par le Legal Agenda poursuit l’objectif de renforcer l’effet utile de l’institution du rapporteur public, au service de la qualité de la justice administrative, tout en préservant les spécificités de la tradition juridique libanaise. Assurément, elle permettrait une meilleure connaissance du travail et de l’œuvre des rapporteurs publics, « jurisconsultes dans toute la force du terme » (Louis Rolland), animés par le même « esprit de justice » que celui que Léon Duguit reconnaissait à ceux du Conseil d’État français.

Magistrat administratif



[1] B. Latour La Fabrique du droit, une ethnographie du Conseil d’État, La découverte 2004, p. 229.

Chargé de donner publiquement une consultation juridique, de l’intérieur de la juridiction dont il est membre mais en toute indépendance, le rapporteur public est un personnage original du contentieux administratif, trop souvent assimilé, à tort, à un ministère public. Parmi d’autres mesures phares telles que, notamment, l’institution de procédures de référés, la création de...

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