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Économie - Agriculture

Des plates-formes pour mettre les petits agriculteurs libanais à la portée des clients

Alors que les Libanais subissent une crise économique majeure, les chaînes de distribution se développent en vue de soutenir les petits agriculteurs.


Des plates-formes pour mettre les petits agriculteurs libanais à la portée des clients

Pour écouler leur production, les petits producteurs locaux disposent de plus en plus de plates-formes de relais. Photo J.R.B.

Face à l’aggravation de la crise économique, et alors que le Premier ministre Hassane Diab annonçait que le pays faisait défaut sur sa dette en devises, le ministre de l’Agriculture et de la Culture, Abbas Mortada, avait appelé en mars dernier les professionnels du secteur à cultiver autant que possible pour garantir la sécurité alimentaire du pays. Les initiatives privées allant dans le même sens étaient également encouragées.

De fait, les Libanais se débattent depuis août dernier dans une crise économique et financière sans précédent, aggravée par la crise sanitaire du Covid-19. La pénurie de liquidités, la dévaluation de facto de la livre libanaise et les restrictions bancaires ont presque annihilé la capacité d’importation des intrants essentiels à la production agricole.

Dans ce contexte, de nombreuses initiatives, plus ou moins viables, liées à la culture de la terre, sont apparues ces derniers mois : des étudiants qui, confinés dans le village de leurs parents, se mettent à y cultiver la terre ; des terres arables offertes par des communautés religieuses à des villageois ; les citadins appelés à planter sur les balcons et sur les toits des immeubles… Un peu partout dans un Liban confiné, des Libanais ont soudain eu l’envie d’un retour à la terre.

Si les agriculteurs chevronnés encouragent l’engouement pour le travail de la terre, ils insistent toutefois pour laisser l’agro-alimentaire aux professionnels et mettent en garde contre les conséquences funestes d’un investissement précipité et sans vision stratégique sur le long terme ; des conseils visant également les nouvelles plates-formes de relais, intermédiaires essentiels entre le producteur agricole et sa clientèle, qui semblent prendre de l’ampleur ces derniers temps.

En la matière, il y a les anciens, établis depuis plusieurs années au Liban, comme « New Earth », « Nature by Marc Beyrouthy », « La Récolte » ou « Healthy Basket », ou encore « Souk el-Tayyeb », un marché qui depuis le départ mise sur les petits producteurs de différentes régions du Liban, dont les produits sont également vendus dans le Dekenet de « Souk el-Tayyeb » à Mar Mikhaël. Et il y a aussi les nouveaux, comme « From The Villages », qui se sont engouffrés ces derniers mois dans le secteur, y voyant une opportunité de travail et d’investissement aux niveaux local et régional, et une manière d’aider les petits agriculteurs à livrer leurs produits, fidéliser leur clientèle et apporter un nouveau souffle à la production libanaise.

Un système déjà bien rodé

« New Earth travaille de manière très proche avec les producteurs locaux dont nous faisons la promotion. Nous participons aussi à leur développement, tout en nous assurant qu’ils répondent à notre cahier des charges bio, via des tests qualitatifs et l’obtention de certificats », explique Sabine Kassouf qui collabore, entre autres, avec la ferme organique « Shams Permaculture », cofondée par Georges Atallah.

Pour Marc Beyrouthy, dont la société s’est lancée dans la livraison à domicile dans la région du Kesrouan il y a un an, la qualité du produit doit primer d’office pour convenir à une clientèle déjà bien établie par la structure. S’instaure donc une relation de confiance avec le producteur agricole, qui respecte les normes imposées par son distributeur.

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Actuellement, ces intermédiaires répondent aux besoins immédiats des petits producteurs agricoles, amateurs et professionnels, et prennent en général un pourcentage sur le prix de vente, allant de 15 à 30 %. Le pourcentage varie en fonction des services rendus entre le producteur (qualité, étiquette, volumes) et la plate-forme (chargement, livraison, marketing, packaging, etc.). Autre option, l’intermédiaire achète le produit à l’agriculteur au prix de gros et le revend à un autre tarif.

Estimant leur nombre à une cinquantaine à ce jour, Marc Beyrouthy affirme que ces nouvelles chaînes de distribution pourraient devenir quelques centaines d’ici à deux mois, tout en prédisant une chute de 95 % d’entre elles d’ici à la fin de la période estivale. « Seules les plus sérieuses résisteront aux difficultés du secteur, c’est-à-dire pas plus de 5 ou 10 », avance-t-il.

Parmi ces difficultés mettant en péril la durabilité de ce système, la production déloyale en termes de tarifs et la contrebande depuis la Syrie, mais aussi la déception des petits producteurs agricoles amateurs qui, en faisant leurs comptes finaux, réaliseront « l’ingratitude » de ce secteur, comme le souligne Marc Beyrouthy.

Visant surtout le Grand Beyrouth, Jounieh et la région du Metn, ces plates-formes se sont aussi développées dans les régions reculées mais à moindre succès. « La clientèle plus à même de débourser pour ces services demeure celle des villes plus riches se trouvant sur la côte et n’ayant pas accès à des terres arables », note Marc Beyrouthy.

Cependant, avec la hausse des prix suite à la dégringolade de la valeur de la livre libanaise et la crise de l’importation qui en résulte, les fermes et plates-formes organiques pourraient bien élargir leur clientèle. En effet, les prix des produits organiques, qui ne requièrent pas ou peu d’importations de pesticides, sont restés stables et rivalisent désormais avec leurs pendants conventionnels, explique à L’Orient-Le Jour Rami Hélou, le gérant de « Healthy Basket ».

Crise des importations

« Suite au contrôle informel des capitaux, les agriculteurs doivent payer en espèces, en dollars et au mois leurs fournisseurs agricoles, tandis que ces derniers vendaient auparavant à crédit et à l’année. Les coûts étant devenus exorbitants, ils ne sont plus capables d’importer », souligne Maurice Saadé, représentant de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) au Liban.

Si le tableau n’est pas réjouissant, la majorité des acteurs du secteur de l’agro-alimentaire écarte encore aujourd’hui la perspective d’une crise alimentaire au Liban, une option pourtant évoquée par Hassane Diab dans une tribune publiée par le Washington Post le 20 mai dernier. « La seule menace serait l’excès de production de fruits et légumes que les agriculteurs ne pourraient plus écouler, s’ils n’ont plus les moyens de les faire livrer », estime Georges Atallah, qui propose notamment ses produits sur les étals du marché « Badaro Urban Farmers ».

Également contacté par L’Orient-Le Jour, Antoine Hoyek, président de l’Association des agriculteurs, propose pour sa part que le gouvernement réponde à leur propre appel à prioriser l’agriculture par des mesures concrètes comportant un véritable budget à allouer au ministère de l’Agriculture et la mise en place d’un environnement national propice au développement du secteur de l’agro-alimentaire.

Pour aider ce dernier, la Banque du Liban a publié le 27 mai la circulaire intermédiaire n° 557, autorisant les importateurs et les producteurs libanais de produits alimentaires à obtenir, via leurs banques et auprès de la BDL, des dollars au taux de 3 200 livres libanaises pour un dollar permettant l’importation des intrants essentiels listés par le ministère de l’Économie et du Commerce, comprenant notamment graines, semences et engrais. Une solution toutefois temporaire, sa validité étant d’un an. Mais pour Maurice Saadé, « la dévaluation de facto de la livre pourrait être bénéfique au secteur sur le long terme en le rendant plus compétitif ». Le représentant de la FAO au Liban appelle en outre les « business angels » à investir dans les structures agricoles professionnelles pour y aider les acteurs à produire et à sécuriser une alimentation saine pour les Libanais.

Cet appel à l’investissement, la plate-forme « From The Villages », basée à Deir Mimas au Liban-Sud, le lance aussi. Contactés par L’Orient-Le Jour, les fondateurs, Ziad Hourani, Hani Touma et Toufic Jarawan, expliquent s’être engagés en mai dernier dans ce projet solidaire, employant une quinzaine de jeunes bénévoles et collaborant avec une vingtaine de petits producteurs agricoles. En minimisant le packaging et en promouvant la réutilisation des contenants, le système de livraison mis en place répond aux besoins des agriculteurs locaux pour la vente en quantité de leurs produits et offre un espoir de revenus à des jeunes touchés par un chômage persistant et à des familles en difficulté suite à la crise économique. Il cherche également à étendre sa collaboration avec d’autres start-up de livraison et producteurs régionaux.

Face à l’aggravation de la crise économique, et alors que le Premier ministre Hassane Diab annonçait que le pays faisait défaut sur sa dette en devises, le ministre de l’Agriculture et de la Culture, Abbas Mortada, avait appelé en mars dernier les professionnels du secteur à cultiver autant que possible pour garantir la sécurité alimentaire du pays. Les initiatives privées allant...

commentaires (2)

Si c'est le meme Marc Beyrouthy que le Marc Beyrouthy de la rubrique "fauna et flora du Liban", j'espere qu'on recoit de nouveau des articles interessantes sur les plantes comestibles du Liban. Ce que je me demande par exemple c'est si la bourrache (Borago officinalis) qu'on mange en Espagne, est aussi disponible au Liban.

Stes David

20 h 28, le 15 juin 2020

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Commentaires (2)

  • Si c'est le meme Marc Beyrouthy que le Marc Beyrouthy de la rubrique "fauna et flora du Liban", j'espere qu'on recoit de nouveau des articles interessantes sur les plantes comestibles du Liban. Ce que je me demande par exemple c'est si la bourrache (Borago officinalis) qu'on mange en Espagne, est aussi disponible au Liban.

    Stes David

    20 h 28, le 15 juin 2020

  • parfait! récupérer des terres arables pour nourrir les plus pauvres ou ceux qui n'ont pas la chance d'avoir un jardin ,c'est l'urgence alimentaire au Liban ;J.P

    Petmezakis Jacqueline

    09 h 04, le 15 juin 2020

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