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Culture - Exposition

« Quand une icône maronite renouvelle l’histoire de l’art du Levant »

Alors que le Petit Palais rouvre ses portes le 16 juin, les visiteurs vont pouvoir découvrir l’icône de la Dormition du patriarcat maronite, une œuvre exceptionnelle à plusieurs égards, restaurée par les ateliers du musée. Conservatrice de la collection byzantine, Raphaëlle Ziadé a dirigé ce projet et en partage quelques découvertes avec « L’Orient-Le Jour ».

« Quand une icône maronite renouvelle l’histoire de l’art du Levant »

L’icône de la Dormition de la Vierge, redécouverte dans la salle des archives du patriarcat maronite à Bkerké (Liban), est exposée actuellement au Petit Palais, à Paris. Photo DR

Pendant deux ans, le musée du Petit Palais a mené la restauration d’une grande icône de la Dormition de la Vierge, qui avait été prêtée en 2017 à l’exposition « Chrétiens d’Orient, 2 000 ans d’histoire », dont Raphaëlle Ziadé était la commissaire scientifique, à l’Institut du monde arabe. « Je ne voulais pas laisser repartir cette œuvre sans proposer une restauration. Le patriarche m’a accordé sa confiance et j’ai pu bâtir un projet de restauration. L’icône avait un problème structurel, ses quatre panneaux de bois étaient bloqués, ce qui exerçait une trop grande contrainte sur la peinture à long terme. Sa conservation dans le temps ne semblait pas non plus garantie, à cause de l’humidité et des restaurations successives qui avaient favorisé sa fragilité. Le Petit Palais a accepté que la restauration soit réalisée dans ses murs et j’ai agrégé des partenaires, car il s’agit d’une entreprise très coûteuse. L’Œuvre d’Orient et l’ambassadeur Gilbert Chagoury ont généreusement assuré le fonds de cette réalisation », relate la spécialiste qui a su repérer l’importance d’une icône qui était à Dimane dans les années 2000, puis à Bkerké, dans une chapelle. « On ne connaissait pas son importance et elle n’avait jamais été étudiée. C’est l’avantage des expositions d’apporter un éclairage nouveau sur certaines œuvres et de déclencher des restaurations, en renouvelant les études menées », ajoute celle qui a coordonné avec succès les travaux de deux ébénistes et de deux restauratrices notamment, pour proposer une nouvelle vie à une œuvre d’art unique en son genre.

Raphaëlle Ziadé. Photo Ferrante Ferranti


Une œuvre byzantine orientale dans un milieu syriaque

Exposée temporairement avec la plus importante collection d’icônes de France, sur fond de chants grégoriens, l’icône de la Dormition s’impose par sa taille, 1m80, et propose une richesse narrative et symbolique que Raphaëlle Ziadé commente avec précision. « La Vierge morte est au centre : son lit mortuaire est encadré par saint Pierre et saint Paul, et les autres apôtres. On ressent une forme d’agitation autour de la Vierge, ce qui montre leur affliction. Le Christ est majestueux, d’une taille plus importante, et il est inscrit dans une mandorle, en forme d’ogive bleue, signe de son énergie divine, dans laquelle s’inscrivent des anges en grisaille, qui font référence au monde céleste. Il reçoit l’âme de sa mère sous la forme d’un bébé emmailloté, c’est le symbole de l’âme de Marie, qui fait référence à un thème antérieur au christianisme, qui vient des dieux psychopompes. Dans le polythéisme, ils sont considérés comme les conducteurs des âmes. En bas à droite, les donateurs et mandataires de l’œuvre sont représentés : un évêque qui porte une mitre latine, avec une barbe blanche, et un jeune moine, également prêtre, qui porte une chasuble ecclésiastique. Ils font un geste de prière vers la Vierge. » Comme dans d’autres représentations de cette même thématique, jusqu’au XVIIIe siècle, on retrouve Gabriel, qui tranche les mains d’un habitant de Jérusalem, Jéphronias, qui avait voulu profaner la dépouille mortelle de la Vierge ; il est représenté en dessous du lit mortuaire. À gauche et à droite, de part et d’autre de la scène, est représentée la ville de Jérusalem.

Selon celle qui enseigne également à l’École du Louvre, l’inscription en syriaque nous dit que l’un des personnages mandataires se nomme Fra Antoun. « Cela nous indique que c’est un franciscain, nous sommes en train de faire des recherches, pour déterminer plus clairement de qui il s’agit. Le Liban faisait partie de la province de Terre sainte, et les franciscains étaient les gardiens des lieux saints. Le couvent franciscain de Beyrouth était très actif et il recrutait des frères parmi les maronites libanais. Les deux donateurs ont souhaité se faire représenter en commandant l’icône, l’inscription demande la prière de la Vierge et des apôtres pour leur âme. On peut dès lors penser que cette grande icône a joué le rôle de tableau d’hôtel pour une chapelle funéraire », déduit l’historienne, qui souligne la spécificité chromatique de l’œuvre. « On remarque des tonalités très chaudes, des ocres, des orangés, des rouges, des couleurs assez restreintes, subtiles et de la feuille d’or dans les auréoles de la Vierge et du Christ. Le style est clairement celui de la Méditerranée orientale, caractérisé par le contour des traits et des plis, et une importance accordée au regard. Celui du Christ est magnifique, il vous fixe des yeux, vous regarde de face et les yeux des personnages sont soulignés part des traits noirs. Nous sommes face à un peintre formé à l’école byzantine, mais qui a baigné dans un milieu syriaque. »

Ce que nous apprend l’œuvre

Une des grandes mises au point de l’étude historique menée par Raphaëlle Ziadé concerne la date de réalisation de l’icône. « On la pensait de 1593 jusqu’ici ; mais en fait, elle est de 1523, ce qui nous fait presque gagner un siècle d’ancienneté. Nous avons relu l’inscription en syriaque et en garshouni, qui est l’écriture en caractère syriaque de la langue arabe, et que l’on trouve au Liban jusqu’au XIXe siècle. Plusieurs épigraphistes ont participé à cette analyse, et le dernier qui a établi ces dates est le père Joseph Moukarzel, directeur de la bibliothèque de l’Université de Kaslik. Cette date de 1523 est fondamentale, car nous sommes à une période charnière, au tout début de l’Empire ottoman, et on sort des siècles mamelouks, où la tradition artistique s’est arrêtée au Levant. Cette icône s’impose dans un siècle où il n’y a pas d’œuvres d’art connues, elle est un unicum, et elle nous permet de comprendre qu’à ce moment-là, les maronites continuent, comme à l’époque médiévale, à utiliser des images qui sont communes au fond oriental de la Méditerranée, et qui sont de tradition byzantine », explique l’historienne, qui inscrit cette œuvre picturale avant la latinisation importante de l’Église maronite, qui a lieu quelques décennies plus tard, à la fin du XVIe siècle, et qui va impliquer une occidentalisation des pratiques artistiques.

Raphaëlle Ziadé insiste sur l’unicité de cette icône. « Dans la peinture d’icônes libanaises, deux périodes se détachent, la première est médiévale, entre le XIIe et le XIIIe siècle, comme la Vierge de Kaftoun, conservée à Notre-Dame de Kaftoun. Dans l’église de Maad également, on a une fresque de la Dormition sous la forme byzantine, mais elle date du XIIIe siècle. Il faut ensuite attendre le XVIIe siècle pour retrouver des icônes au Moyen-Orient, avec l’école d’Alep et ses dérivés. Mais pour le début du XVIe siècle, nous n’avons rien, ni icônes ni peintures murales : et on voit bien qu’à cette période, la communauté maronite est encore dans la mouvance orientale. Jusqu’au XVIe siècle, il y a donc une continuité dans la représentation orientale de la Vierge. Les catholiques représentent cette thématique différemment, avec la Vierge qui échappe, bien que morte, au tombeau, en montant directement au ciel avec les anges, pour être accueillie sur un trône par le Christ. »

Selon la conservatrice, cette icône pourrait avoir été peinte dans la vallée sainte. « Nous avons découvert lors d’examens scientifiques que le support est en bois de cèdre, ce qui n’est pas courant, et cette icône a longtemps été conservée à Dimane. Peut-être qu’elle a été peinte dans la Qadisha elle-même, à une époque où le siège du patriarcat était également à Qannoubine ; nous sommes devant une œuvre produite au cœur même de la communauté maronite. »

L’inauguration de cette belle icône restaurée a eu lieu le 4 mars en présence de l’ambassadeur du Liban, du Quai d’Orsay et de nombreux scientifiques et spécialistes. De nombreux visiteurs, français et internationaux, ont pu la découvrir avant que la pandémie ne ferme les portes des musées. Dès que la situation sanitaire le permettra, l’icône de la Dormition retrouvera sa collection d’origine, celle du patriarcat maronite, et elle pourra être exposée aux Libanais et faire parler les différents courants dont elle est issue. « On y retrouve l’art byzantin qui habite la Méditerranée orientale, c’est aussi la rencontre d’un donateur et peut-être d’un peintre qui sont de langue syriaque, ainsi que de personnes rattachées à Rome, ce que l’on peut lire avec la mitre latine. Cette icône exprime en elle-même tout l’Orient, carrefour de cultures », conclut Raphaëlle Ziadé.

Pendant deux ans, le musée du Petit Palais a mené la restauration d’une grande icône de la Dormition de la Vierge, qui avait été prêtée en 2017 à l’exposition « Chrétiens d’Orient, 2 000 ans d’histoire », dont Raphaëlle Ziadé était la commissaire scientifique, à l’Institut du monde arabe. « Je ne voulais pas laisser repartir cette œuvre sans proposer...

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Je me permet de vous signaler mon article sur cette icône « maronite » : Les Liens de Qannoubine avec Venise à travers l’icône « maronite » de 1593, in Parole de l’Orient 45 (2019), 223-237, Ray Jabre Mouawad

Jabre Ray

06 h 25, le 15 juin 2020

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Commentaires (1)

  • Je me permet de vous signaler mon article sur cette icône « maronite » : Les Liens de Qannoubine avec Venise à travers l’icône « maronite » de 1593, in Parole de l’Orient 45 (2019), 223-237, Ray Jabre Mouawad

    Jabre Ray

    06 h 25, le 15 juin 2020

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