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Économie - Transparence

Gel d’actifs : pourquoi la Suisse a refusé les demandes du Liban

« Les deux requêtes n’ont pas abouti parce qu’elles étaient incomplètes », selon l’avocat fiscaliste Karim Daher.

Des manifestants posent avec une pancarte devant l’ambassade de Suisse à Beyrouth, le 3 mars 2020. Photo ANI

Outre la relance de la mobilisation contre la classe politique, l’actualité de la semaine dernière a été marquée par la décision des autorités helvètes de ne pas donner suite à la demande émanant de la société civile et visant à faire geler, à titre conservatoire, « tous les actifs » de « politiciens et hommes d’affaires libanais ainsi que leurs proches et associés » enregistrés sur son territoire, « qui seraient impliqués éventuellement dans le gaspillage et le vol (détournement) des actifs (fonds) publics conformément à (la définition de) l’article 4 de la loi sur les valeurs patrimoniales (LVP) en Suisse. La Confédération helvétique a répondu dans un courrier daté du 12 mars, dont le contenu a été relayé par certains sites d’information (notamment Businessnews.com.lb) et que L’Orient-Le Jour a pu consulter, en indiquant que les quatre conditions légales n’étaient pas toutes réunies pour une saisine d’office ou action unilatérale (en cas d’échec ou d’impossibilité de recourir à la procédure d’entraide judiciaire). La requête avait été envoyée le 24 février dernier, soit un peu plus d’un mois après la prise de fonctions du gouvernement de Hassane Diab, par le parti politique Beyrouth Madinati, l’Association libano-suisse pour la protection des droits de l’homme, le Mouvement des citoyens libanais du monde et les ONG Impact Lebanon et Meghterbin Mejtemiin (Expatriés rassemblés).

Commission spéciale d’investigation

Les auteurs ont mis en exergue l’importance du recouvrement des fonds détournés à un moment où le pays traverse la plus grave crise économique et financière de ces trente dernières années. Une situation matérialisée par une explosion de la dette publique qui s’élève à 92,2 milliards de dollars à fin février – sur laquelle le gouvernement a fait en partie défaut en mars dernier –, le déficit structurel de balance des paiements (flux de biens, de services et de capitaux entre le pays et le reste du monde) et la crise de liquidités dont les effets ont commencé à se manifester en août dernier. La requête rappelle également le climat d’instabilité sociale et institutionnelle qui règne dans le pays depuis le 17 octobre 2019, date à laquelle a démarré le vaste mouvement de contestation populaire contre la classe politique – mouvement qui a donc redémarré samedi. Enfin, les auteurs motivent leur démarche en invoquant des « signes évidents de corruption » de la part de la classe dirigeante en citant notamment un communiqué du président de la commission de contrôle des banques, le juge Samir Hammoud, qui a indiqué qu’environ 2,2 milliards de dollars avaient été transférés du Liban vers des banques suisses entre le 17 octobre 2019 et le 14 janvier 2020.

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Pour rappel, le président du Parlement Nabih Berry avait assuré peu ou prou au même moment à travers le député Ali Bazzi que « cinq directeurs de banque avaient transféré leurs fonds personnels à l’étranger » pour un montant cumulé s’élevant à « 2,3 milliards de dollars », sans pour autant fournir plus d’éléments. Les auteurs rappellent enfin que Samir Hammoud avait souligné que les dispositions relatives au secret bancaire au Liban ne l’autorisaient pas dans le cadre de son enquête à identifier les titulaires des comptes sur lesquels il pouvait être amené à enquêter et avait renvoyé la balle à la Commission spéciale d’investigation (CSI) relevant de la Banque du Liban, qui dispose notamment du pouvoir exclusif de lever le secret bancaire sur certains comptes qu’elle juge suspects, dans des enquêtes liées à des opérations de blanchiment d’argent, au financement des organisations terroristes, à l’évasion fiscale, à la corruption, à l’abus de pouvoir ou à l’escroquerie. Enfin, le mécanisme invoqué pour justifier la demande est celui prévu par la loi fédérale suisse sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d’origine illicite de personnes politiquement exposées à l’étranger. Fondé sur l’article 54 de la Constitution helvète, le texte « règle le blocage, la confiscation et la restitution de valeurs patrimoniales de personnes politiquement exposées à l’étranger ou de leurs proches lorsqu’il y a lieu de supposer que ces valeurs ont été acquises par des actes de corruption ou de gestion déloyale ou par d’autres crimes ». Les auteurs ont notamment cité l’article 4 de la loi qui organise le « blocage en vue de la confiscation (des fonds) en cas d’échec de l’entraide judiciaire » – une procédure pouvait être ouverte par le Conseil fédéral suisse – et l’article 15 qui définit les conditions d’illicéité pouvant viser les personnes politiquement exposées et autres personnes assimilées. Ils justifient enfin leur requête en invoquant la nécessité d’appuyer toutes les procédures que le Club des juges au Liban – une association indépendante de magistrats – avait alors demandées à la CSI, notamment celle de geler les fonds de « tous les officiels et personnes associées » en invoquant l’existence d’un très important faisceau de présomptions de corruption. La base légale était la loi n° 44 du 24/11/2015 relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Le but de la démarche étant de faire geler les actifs le temps que les investigations nécessaires pouvant éventuellement déboucher sur des poursuites que ce soit au Liban ou en Suisse soient lancées côté suisse.

Requêtes incomplètes

Les autorités helvètes ont finalement refusé la requête en estimant que les quatre conditions préalables n’étaient pas cumulativement réunies. Selon le courrier de réponse, il faut en effet qu’il y ait un changement de gouvernement effectif – ou de pouvoir – dans le pays des demandeurs, que le degré de corruption dans ce dernier soit élevé, qu’il apparaisse de façon très flagrante que les biens visés par la requête ont été acquis de façon illicite et enfin que le gel des avoirs demandé soit également dans l’intérêt de la Suisse. « Or même si cela n’a pas été clairement explicité dans leur réponse, les autorités suisses semblent avoir considéré que seule la deuxième condition – celle relative au degré de corruption – était pleinement remplie » constate l’avocat fiscaliste et président de l’Association libanaise pour les droits et l’information des contribuables (Aldic), Karim Daher. Il estime que la demande aurait dû être mieux pourvue pour avoir une chance d’être approuvée et surtout qu’elle soit établie sur des éléments concrets et des indications précises (concernant aussi bien les personnes suspectées, que les biens mal acquis concernés ou les transactions effectuées) ; conditions qui au demeurant ne peuvent être obtenues qu’avec l’instruction de dossiers ou une prospection (traçabilité) poussée. Toute autre démarche est naturellement vouée à l’échec aussi bien en Suisse que dans les autres pays membres de la Convention des Nations unies pour la lutte contre la corruption (UNCAC). Le fiscaliste déplore d’autant plus cette situation qu’il s’agit du second refus suisse à une requête libanaise visant des actifs suspects qui seraient hébergés sur son territoire. « Il y a une demande d’entraide judiciaire envoyée par les autorités libanaises en janvier pour pouvoir prospecter concernant les fameux transferts de fonds effectués entre le 17 octobre 2019 et janvier 2020 pour voir s’il y avait des personnes politiquement exposées qui avaient transféré leur argent », souligne-t-il. La demande avait été adressée en janvier par le ministre de la Justice d’alors Albert Serhane, par le biais du ministère des Affaires étrangères. Seulement voilà : la demande des autorités libanaises était là aussi incomplète et n’a logiquement pas abouti. « Les autorités suisses avaient répondu qu’ils avaient besoin d’informations supplémentaires dans la mesure où il s’agit d’une demande d’entraide internationale sur le plan pénal. Et il n’y a plus eu de suite donnée côté libanais », déplore Me Daher. « En définitive, les deux requêtes n’ont pas abouti parce qu’elles étaient incomplètes. Aucune aide ou assistance étrangère ne peut être assurée en matière de gel ou de confiscation des biens mal acquis sans un travail local préalable et sérieux de collecte d’informations et d’identification de cas. C’est d’autant plus dommageable que le gouvernement compte sur le rapatriement d’une partie des fonds détournés pour dégager une partie de la voilure nécessaire pour restructurer le secteur financier et c’est d’ailleurs dans cette perspective qu’il a adopté le 12 mai un certain nombre de mesures inédites qui visent à prospecter et à identifier les délits et crimes de corruption, mais comme le dit le dicton libanais : “La leçon est dans l’exécution” », conclut-il.


Outre la relance de la mobilisation contre la classe politique, l’actualité de la semaine dernière a été marquée par la décision des autorités helvètes de ne pas donner suite à la demande émanant de la société civile et visant à faire geler, à titre conservatoire, « tous les actifs » de « politiciens et hommes d’affaires libanais ainsi que leurs proches et...

commentaires (4)

Pourquoi chercher midi à quatorze heures ? Les noms des personnes qui ont détourné les sommes sont bien connues de tous ici au Liban, et il suffit de voir leurs richesses et biens récents. Ces personnes qui ont transféré en Suisse ces fonds acquis frauduleusement ont certainement étudié à fond les lois de ce pays, et connaissent aussi parfaitement l'incompétance libanaise en tout ce qui relève de formalités légales. Nous avons des lois, des juges, des tribunaux, et même des prisons...alors...???...on les utilise seulement pour les petits délinquants insignifiants qui, eux, ne sont pas à l'origine de la crise que connait le Liban...??? Irène Saïd

Irene Said

12 h 16, le 08 juin 2020

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Commentaires (4)

  • Pourquoi chercher midi à quatorze heures ? Les noms des personnes qui ont détourné les sommes sont bien connues de tous ici au Liban, et il suffit de voir leurs richesses et biens récents. Ces personnes qui ont transféré en Suisse ces fonds acquis frauduleusement ont certainement étudié à fond les lois de ce pays, et connaissent aussi parfaitement l'incompétance libanaise en tout ce qui relève de formalités légales. Nous avons des lois, des juges, des tribunaux, et même des prisons...alors...???...on les utilise seulement pour les petits délinquants insignifiants qui, eux, ne sont pas à l'origine de la crise que connait le Liban...??? Irène Saïd

    Irene Said

    12 h 16, le 08 juin 2020

  • Dans le maquis des législations nationales et internationales c'est le plus avisé qui les exploite et qui gagne. Les milliardaires sont par définition les plus aptes à gagner la partie, surtout si leurs fortunes sont illicites.

    DAMMOUS Hanna

    11 h 24, le 08 juin 2020

  • LES ALIBABAS VONT L,ECHAPPER BELLE . IL FAUT LES NOMMER ET NOMMER LEURS DELITS. SINON PEINE PERDUE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 32, le 08 juin 2020

  • il nous faut un Ritz libanais pour les choses bougent

    Jack Gardner

    09 h 07, le 08 juin 2020

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