Critiques littéraires Roman

Le Cuba des écrivains

Barocco bordello de Thierry Clermont, Seuil, 2020, 240 p.

En ces temps où l’on ne peut pas voyager, il est délicieux de s’embarquer pour Cuba et une odyssée littéraire avec Thierry Clermont et son Barocco bordello. Thierry Clermont, qui est aussi journaliste au Figaro, a écrit plusieurs livres dont le très beau San Michele (Seuil 2014, prix Méditerranée 2015), sur l’île cimetière de Venise. Il aime les îles, mais cette fois il en a choisi une plus grande, plus vivante, plus folle.

Le narrateur est allé pour la première fois à Cuba, en 1995, pour y rejoindre une femme, Lady Fotingo, avec laquelle il avait une histoire d’amour. Il a tout de suite été fasciné par cette « lumière qui impose sa souveraineté », comme l’écrit le grand écrivain cubain José Lezama Lima (1910-1976), auteur notamment de l’inoubliable Paradiso. Il a adoré la Havane, « cette ville qui regarde la mer avec tant d’obstination, qui l’embrasse avec tant d’inquiétude et d’espoir ».

Il y est revenu souvent. Il aime tout, la musique, la chaleur, l’alcool, les rencontres inattendues, les amours improbables, les quartiers chauds avec gangs et règlements de compte, comme San Isidro, « centre national de l’allégresse et de l’infamie » pour le romancier Leonardo Padura. Mais Thierry Clermont, car c’est bien de lui qu’il s’agit – Barocco bordello n’est pas un roman – fait aussi, dans ses multiples séjours à Cuba, un voyage littéraire à travers le temps, car il y a là, où la maison d’Ernest Hemingway est devenue un musée, la trace de nombreux écrivains. On pourra tous les retrouver et les lire grâce à l’imposante bibliographie qui fait suite au texte, à laquelle s’ajoutent une discographie et une filmographie.

Robert Desnos est venu à Cuba dès 1928, accueilli par Alejo Carpentier, alors jeune rédacteur à la revue Carteles. Paul Morand aussi, qui publie l’année suivante Hiver caraïbe et s’interroge : « Molle Havane, créole indolente, où sont tes vieux planteurs du temps d’Isabelle, en pantalon de nankin, à barbe double, auréolés de médailles d’or sur fond de palmiers, comme à l’intérieur des boîtes de cigares ? »

Si on rencontre en priorité des écrivains dans Barroco bordello, ils ne sont pas seuls. Les révolutionnaires castristes sont là aussi, et quelques mois avant de prendre le pouvoir, le 23 février 1958, à la veille du Grand prix de formule 1 de Cuba, ils enlèvent le mythique champion argentin Juan Manuel Fangio, pour vingt-quatre heures. « Durant sa détention, Juan Manuel Fangio a été bien traité, bien nourri, par ses geôliers : choyé même. On lui a passé les succès musicaux du moment : refrains endiablés de Benny Moré, berceuses du pianiste Bola de Nieve, sensuels mambos de la Sonora Matancera, rumbas de Celeste Mendoza, suave boléros d’Elena Burke. »

Sartre et Simone de Beauvoir ont eux aussi, à plusieurs reprises, fait des séjours à Cuba. En 1960, pour célébrer le premier anniversaire de l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro, ils ont été invités par le quotidien Revolucion. Le supplément littéraire de ce journal, Lunes de Revolucion, était dirigé par l’écrivain Guillermo Cabrera Infante. Malheureusement, un an plus tard, Cabrera Infante devra quitter Cuba pour Bruxelles, puis Londres, où il vivra en exil jusqu’à sa mort en 2005, sans être jamais retourné à Cuba.

Très vite alors est venu le temps de la désillusion sur cette belle révolution, comme le reconnaîtra Simone de Beauvoir dans un volume de ses Mémoires, Tout compte fait : « Il y a un pays qui pendant un temps a incarné pour nous l’espoir socialiste : Cuba. Il a bientôt cessé d’être une terre de liberté. On y persécutait les homosexuels. Dans la tenue d’un individu, toute trace d’anticonformisme était suspecte. »

Pour ne pas rester sur le côté sombre de Cuba, retour en 1922 avec Anaïs Nin qui, à 19 ans, arrive chez sa tante et écrit : « Je suis sous le charme magique du Sud, je sens la douce caresse de l’air sur ma peau. » Et, à défaut de pouvoir sauter dans un avion pour aller sur les pas de Thierry Clermont à Cuba, lire son Barocco bordello, c’est déjà chaleur, rhum et littérature garantis.

Barocco bordello de Thierry Clermont, Seuil, 2020, 240 p.En ces temps où l’on ne peut pas voyager, il est délicieux de s’embarquer pour Cuba et une odyssée littéraire avec Thierry Clermont et son Barocco bordello. Thierry Clermont, qui est aussi journaliste au Figaro, a écrit plusieurs livres dont le très beau San Michele (Seuil 2014, prix Méditerranée 2015), sur l’île cimetière...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut