Quinze longues années se sont écoulées depuis qu’une explosion avait secoué le quartier d’Achrafieh et coûté la vie à Samir Kassir, éditorialiste auprès de notre confrère an-Nahar, le 2 juin 2005. Mais son legs, sa pensée et ses idées sont plus que jamais d’actualité et la quinzième commémoration de son assassinat tragique revêt aujourd’hui une autre dimension, beaucoup plus symbolique, avec le mouvement de contestation qui a éclaté le 17 octobre dernier. Le nom de Samir Kassir est sans doute gravé dans la mémoire collective libanaise comme celui d’un farouche défenseur de la liberté et de la souveraineté du Liban. Il est ainsi devenu un véritable synonyme de cette lutte pour un Liban meilleur. Ces valeurs, le journaliste les avait si bien inculquées aux étudiants en sciences politiques de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Mais aussi et surtout, il les martelait dans ses éditoriaux audacieux reflétant sa foi en cette cause et le consacrant comme véritable « penseur de la révolution » du 14 mars 2005, laquelle avait débouché sur le retrait des troupes syriennes du Liban, après trente ans de tutelle.
Des articles dans lesquels Samir Kassir exhortait les Libanais à se rebeller contre le fait accompli et à lutter pour leur liberté et leur indépendance, en dépit de la mainmise syrienne sur le Liban. Qui a oublié son célèbre éditorial « Soldats contre qui ? » dans lequel le journaliste, politologue et philosophe stigmatisait les agissements du système sécuritaire libano-syrien et réitérait son attachement à la liberté du pays du Cèdre.
Mais pour le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt, le nom de Samir Kassir, de père palestinien et de mère syrienne, est surtout synonyme d’arabité comme de liberté. Il avait d’ailleurs selon lui prédit le printemps syrien. Dans son article, « Beyrouth, printemps des Arabes », il affirmait que lorsque le « printemps de Beyrouth fleurira, il annoncera la floraison à Damas ». « Samir Kassir croyait farouchement que la démocratie au Liban ne serait complète qu’avec une Syrie libérée », déclare-t-il à L’Orient-Le Jour, avant de poursuivre : « Il voyait dans le printemps de Damas de 2001 – période marquée par une certaine ouverture politique et sociale en Syrie, mais vite réprimée après la consolidation du pouvoir de Bachar el-Assad – une sérieuse opportunité de changement en direction de la liberté. Et il a par la suite été assassiné. » Bien au-delà du souvenir – toujours aussi vivace – de Samir Kassir, c’est sous l’angle du mouvement de contestation qui a éclaté le 17 octobre dernier qu’il conviendrait d’appréhender son legs politique et journalistique aujourd’hui.
À ce stade, de nombreux compagnons de route du journaliste assassiné estiment que les Libanais ont enfin compris l’objectif premier de la lutte de Kassir pour un Liban meilleur. Tout comme lui, ils sont désormais convaincus que « la frustration n’est pas un destin », comme il l’avait écrit dans l’un de ses articles. Ils ont donc finalement répondu favorablement au fameux appel qu’il leur avait adressé, le 15 avril 2005 : « Revenez à la rue, vous reviendrez à la clarté », écrivait-il quelques semaines avant son assassinat. Pour notre consœur Gisèle Khoury, veuve du journaliste, le legs de son époux assassiné reste « d’une actualité brûlante », comme elle l’affirme à L’Orient-Le Jour, rappelant que dans l’écrasante majorité de ses articles, Samir Kassir dénonçait, tout comme le font les protestataires aujourd’hui, « les agissements rappelant les comportements des milices, la corruption, la répression des libertés et l’instrumentalisation des services de sécurité ». « Je vois les idées de Samir dans plusieurs slogans de cette révolte populaire », souligne encore Gisèle Khoury, avant d’expliquer : « Le pays est toujours géré par la même classe politique qui a mené le Liban à l’impasse et à l’effondrement total. D’où le besoin de revenir aux idées de Samir Kassir. »
Consciente que la révolte populaire est « la seule voie de salut qui reste pour le Liban », Mme Khoury appelle les protestataires à unifier leurs rangs et leur commandement, pour réaliser leurs objectifs.
Une révolte intellectuelle
À son tour, Nabil Bou Monsef, rédacteur en chef adjoint d’an-Nahar et compagnon de route de Samir Kassir, insiste sur l’importance pour le mouvement de contestation de dresser un plan clair et des objectifs bien définis. Pour lui, « il s’agit surtout d’une révolution intellectuelle, dont a besoin le mouvement populaire pour éviter l’échec ». Dans une déclaration à L’OLJ, il souligne que c’est là que réside l’importance de la pensée de Samir Kassir. « À la fin de sa vie, il était un parfait révolutionnaire, aussi bien dans la rue que dans ses articles », souligne-t-il. « Et il n’a pas tardé à critiquer le mouvement du 14 Mars quelques semaines après sa création, dans une volonté de le voir rectifier le tir et éviter l’échec », rappelle M. Bou Monsef. Vis-à-vis de la révolte du 17 octobre, estime-t-il, Samir Kassir aurait été beaucoup plus critique qu’il ne l’avait été par rapport au 14 Mars, dans la mesure où il s’agit de plusieurs factions qui brandissent des slogans à caractère aussi bien politique que social et économique. « Le souci pour Samir Kassir aurait été de permettre à la révolte sociale de compléter celle ayant une dimension politique. » « Les futures générations continueront à lire Samir Kassir et comprendront qu’il a sacrifié son sang pour une noble cause », dit-il enfin.
J'ai son livre Histoire de Beyrouth, très beau livre
20 h 47, le 03 juin 2020