Manifestations du mouvement « Black Lives Matter » hier à New York. Johannes Eisele/AFP
Depuis le meurtre filmé d’un citoyen noir par un policier blanc le 25 mai dernier aux États-Unis, une partie de la population américaine, dont de nombreux membres de la communauté afro-américaine, se mobilise massivement pour dénoncer la brutalité policière et le racisme systémique dont elle est issue. Alors que la proportion d’Afro-Américains au sein de la population est d’environ 13 %, les Noirs représentent près du quart des victimes de bavures policières. Les manifestations actuelles interviennent en outre alors que Donald Trump prépare sa réélection dans un contexte économique qui lui est défavorable. Politologue et historienne spécialiste des États-Unis, Nicole Bacharan répond aux questions de L’Orient-Le Jour.
Le racisme aux États-Unis n’est pas né du mandat de Donald Trump. Quel a été l’impact de celui-ci et quelles sont les spécificités de la mobilisation actuelle par rapport aux précédentes ?
La spécificité est liée aux circonstances immédiates. D’abord il y a cette vidéo. C’est quand même très rare d’assister à une scène pareille sans rien qui puisse la justifier. Il y a des caméras et des téléphones portables qui filment en plein jour, à un carrefour tranquille, un homme sans défense, qui ne représente aucune menace, se faire tuer et cela dure très longtemps. Il y a des témoins, deux policiers autour qui ne font rien, qui ne bougent pas. Il y a aussi le moment particulier où cette scène arrive, avec la pandémie du coronavirus, la crise économique qui fait que beaucoup de gens ne savent vraiment pas comment ils vont nourrir leur famille demain ou la semaine prochaine. Il y a, enfin, le fait d’avoir à la Maison-Blanche un homme comme Donald Trump qui souffle sur les braises. Tous ces éléments rendent le moment spécifique. Mais la tragédie n’est pas nouvelle.
Que veut-on dire lorsque l’on parle de violence « systémique » ou « structurelle » et comment cela se manifeste-t-il dans le contexte américain ?
La situation des Noirs aux États-Unis est ancrée dans le pays depuis ses origines à travers le crime de l’esclavage. Aucun pays n’en finit jamais avec son histoire. Il y a des avancées et des retours en arrière. Mais on ne peut pas balayer les fondements d’un pays. Or les États-Unis ont été fondés à la fois sur la passion de la liberté – très forte et inscrite dans les institutions – et l’esclavage, soit l’exact opposé. La violence contre la communauté noire puise sa source dans l’esclavage. Et après l’esclavage, il y a eu la ségrégation, qui a aussi consisté en un système extrêmement violent. On ne commence à vraiment en sortir que dans les années soixante avec le mouvement pour les droits civiques qui lui aussi s’est heurté à beaucoup de violence. Il faut remonter à une cinquantaine d’années, ce qui est peu de choses dans l’histoire d’un pays quand on veut changer les lois et les mentalités. Pour certains policiers, cette perception des hommes noirs – plus que les femmes noires – comme des personnes menaçantes – qu’il faut contraindre, dominer, mater – malheureusement perdure.
Par ailleurs, il y a une violence généralisée aux États-Unis qui remonte également aux origines du pays. En résulte un maintien de l’ordre très brutal. Les policiers ont peur parce qu’ils ont eux mêmes affaire à des gens qui sont armés. À cause de cette peur, ils sont vraiment en surtension, hyper-réactifs. Ce contexte de violence générale s’applique de manière particulièrement dure et dévastatrice contre la communauté noire.
Comment réagit le président américain et est-ce que le meurtre de George Floyd peut avoir un impact sur sa campagne ?
Il y a un tournant très net dans sa campagne. Au moment de Charlottesville (en août 2017, une militante antiraciste avait été tuée lors d’affrontements entre manifestants antiracistes et suprémacistes blancs dans cette petite ville de Virginie, NDLR), il avait eu ces mots selon lesquels il y avait des torts des deux côtés. Mais là ce n’est plus le cas. Il a totalement condamné le meurtre de George Floyd. Il n’y a pas d’ambiguïté là-dessus. Et dans les trois interventions qu’il a données dernièrement, il commence toujours par cela. Mais il n’a pas un mot sur la brutalité de la police, sur la pauvreté et la protection des droits civiques. Rien. Il y a 40 secondes sur George Floyd et ensuite l’intervention se concentre sur la loi, l’ordre et la désignation d’un ennemi global : les anarchistes, les voyous, les terroristes. Il agite la menace de l’armée à qui il donne l’ordre de tirer sur des citoyens américains. Sa campagne électorale est basée sur la loi et l’ordre. Cela n’est pas sans rappeler la campagne de Nixon en 1969. L’année avait été d’une extrême violence avec des émeutes raciales très importantes et c’est la loi et l’ordre qui ont fait gagner Nixon. C’est le pari de Trump aujourd’hui que de creuser les divisions, de jouer sur la peur et son goût pour la force.
On dit souvent que Trump a exacerbé la « fracture raciale ». Mais le regain de violence contre les minorités peut-il faire l’effet d’une « sonnette d’alarme » dans certains milieux blancs, et particulièrement parmi les électeurs de Trump ?
On voit des changements, certes, mais ils datent de l’époque de Barack Obama. Obama a été élu avec une vraie majorité, pas absolue certes mais vraie majorité quand même, à deux reprises. Mais pendant sa présidence, on n’a jamais autant vendu d’armes, aucun président n’a autant reçu de menaces de mort et une partie de la population a absolument refusé cette idée d’un président noir à la Maison-Blanche. Donald Trump en faisait partie. C’est lui qui a lancé ce mouvement de contestation de la nationalité américaine de Barack Obama. Trump n’a pas inventé ou créé la fracture raciale, mais qu’est-ce qu’il a pu s’en servir ! Il a vraiment joué là-dessus sans arrêt tout en répétant qu’il n’est pas raciste. Je me souviens de ses meetings, tout particulièrement dans le sud du pays. On connaît le langage codé du Sud. Lorsque l’on parle du « bon vieux temps », on sait de quoi il s’agit : de la bonne époque où les Noirs se tenaient à leur place. Je me souviens d’un meeting où un manifestant noir qui protestait a été escorté hors de la salle assez brutalement et Donald Trump a dit « Ah oui au bon vieux temps, un type comme ça il serait sorti sur un brancard ».
Trump joue sur le racisme américain et il y a une adhésion raciale, même si elle ne concerne pas tous ses électeurs. Il y a une peur très forte parmi les Américains blancs et chrétiens de ne plus être chez eux dans leur pays. C’est ça qui soude autour de Trump qui s’en sert et compte là-dessus pour être réélu.
Depuis le meurtre filmé d’un citoyen noir par un policier blanc le 25 mai dernier aux États-Unis, une partie de la population américaine, dont de nombreux membres de la communauté afro-américaine, se mobilise massivement pour dénoncer la brutalité policière et le racisme systémique dont elle est issue. Alors que la proportion d’Afro-Américains au sein de la population est...
commentaires (6)
L'art de parler pour ne rien dire est bien developpe au Liban.
SATURNE
18 h 04, le 03 juin 2020