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Nos Lecteurs ont la Parole

Leçon des Amériques

« Dans ce village du Sud-Est brésilien, un groupe de cinq hommes, forts bien bâtis, ramènent la pêche du jour. Kauë, le cuisinier du village, prépare le festin de la soirée qui sera l’occasion d’honorer Tupa, le dieu suprême dans la culture guarani. Ces soirées sont généralement accompagnées de danses locales ainsi que de rituels divins. Les habitants s’organisent afin de préparer la soirée, les femmes parachevant de nouveaux plats en céramique et les hommes répétant les chorégraphies de la soirée. Dans le village, toutes les tâches sont partagées, généralement entre hommes et femmes. Les hommes s’occupent de la chasse alors que les femmes s’attèlent à la culture du maïs, manioc et patate douce ou à la poterie. Le chef du village ayant la charge de protéger les habitants des tribus hostiles qui se trouvent de l’autre côté de la plaine. Dans cette économie d’autarcie, il n’y a pas de monnaie officielle, tous les biens s’échangent dans un système de troc. Malgré son abondance, l’or n’est seulement utilisé que comme accessoire décoratif. Curieusement, l’accumulation de richesses ne semble pas être une préoccupation majeure de ces habitants qui, malgré leur état de pauvreté matérielle, paraissent satisfaits de leur train de vie. »

Ce bref récit est-il la narration d’un monde utopique ? Ou plutôt retrace-t-il une période assez noire de l’âge de pierre et donc un temps trop lointain pour pouvoir en tirer de quelconques leçons.

À peur de décevoir quelques lecteurs, le peuple guarani fut l’une des principales civilisations d’Amérique latine régnant pendant plusieurs siècles sur un territoire qui couvre l’actuel sud du Brésil, Uruguay, Paraguay, Bolivie ainsi que le nord de l’Argentine. Cette civilisation entamera une phase de déclin à la suite des invasions européennes du début du XVIe siècle et verra son aura s’effondrer, à mesure de la progression de la colonisation portugaise et espagnole.

Malgré certaines pratiques qui peuvent paraître d’un autre âge, ces tribus ont réussi à construire un système ancestral de normes et de valeurs complexes qui privilégiaient la communauté à l’individu et la solidarité au chacun pour soi.

Cinq cents ans après, comment est-on arrivé à prêcher des valeurs qui sont tellement contradictoires à celles qui ont pu être les valeurs de tout un continent. Qui plus est, quand celui-ci deviendra-t-il la clé de voûte du capitalisme mondial? Certains diront qu’avec le temps nous avons oublié notre histoire ? Mais qu’est-ce 500 ans à l’échelle de l’humanité toute entière, considérant que l’espèce humaine existe depuis des dizaines de milliers d’années.

D’autres diront que c’est la faute aux colonisateurs européens du XVIIe siècle qui ont soit exterminé leurs ennemis ou les ont mis à genoux pendant plusieurs siècles en pratiquant une politique d’assimilation forcée.

C’est probablement un subtil mélange des deux. Cela dit, cela fait plus de 200 ans que notre monde a changé de boussole et s’est lancé dans une industrialisation effrénée prônée par les théoriciens du capitalisme. Ceux-ci établiront que la somme des intérêts personnels est supérieure à l’intérêt collectif et par conséquent l’accumulation de richesses individuelles apporterait prospérité et bonheur pour tous. Il est vrai que l’économie de marché s’est traduite, non seulement par une fructification de la richesse produite, du progrès scientifique mais aussi par un accès au grand public à l’éducation et à la santé. Ces derniers étant aussi le fruit de mouvements sociaux de grande ampleur poussant à la mise en place de ces droits fondamentaux.

Il s’est aussi avéré que nous sommes entrés ces 30 années avec la mort idéologique du marxisme, dans une phase d’hyperindividualisme. Convaincu de sa toute puissance, le sacro-saint dogme du marché a liquidé tous les contre-pouvoirs possibles conduisant à une explosion sans précédent des inégalités. Cet acharnement à l’accumulation s’est transformé en une compétition mondiale entre pays afin d’attirer des capitaux menant à une réduction du taux d’imposition des plus grandes fortunes ainsi que des recettes fiscales des administrations publiques. Ce qui s’est traduit par un accaparement des richesses (1 % de la population mondiale contrôle plus de 50 % de la richesse produite) et par une restriction de l’accès à des droits fondamentaux au plus grand nombre.

Dans cette grande foire du chacun pour soi où l’on assiste à la décomposition d’un système qui est à bout du souffle, il serait peut-être temps de réinjecter des valeurs qui nous ont permis de survivre pendant des périodes bien plus longues que celles que nous avons vécues depuis l’avènement du capitalisme. Et donc, par conséquent, réintégrer qu’en tant qu’être humain nous pouvons survivre que si l’on est solidaire les uns des autres et que si le « nous » est plus fort que le « je ».

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

« Dans ce village du Sud-Est brésilien, un groupe de cinq hommes, forts bien bâtis, ramènent la pêche du jour. Kauë, le cuisinier du village, prépare le festin de la soirée qui sera l’occasion d’honorer Tupa, le dieu suprême dans la culture guarani. Ces soirées sont généralement accompagnées de danses locales ainsi que de rituels divins. Les habitants s’organisent afin de...

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