Une manifestante, le 28 mai dernier à Beyrouth, en marge d’une séance parlementaire. Aziz Taher/Reuters
Alors que le Liban se concentre sur son déconfinement progressif, la contestation populaire semble déterminée à remonter au créneau, comme en témoignent les mouvements ponctuels organisés en différents points du territoire ces derniers jours. Un appel à manifester massivement a en outre été lancé pour le samedi 6 juin, à 15 heures, sur la place des Martyrs. Ce nouveau rendez-vous reste encore entouré de flou. S’il est revendiqué par un collectif de contestataires du Metn, du Kesrouan, du Akkar, de Tripoli et du Liban-Sud, avec le soutien des partis Sabaa et Kataëb, nul n’en revendique clairement la paternité. Et si l’objectif initial est d’appeler à des élections législatives anticipées, le mot d’ordre de ce nouvel appel à manifester pourrait être modifié dans les prochains jours, compte tenu de certaines réticences. En cette période de coronavirus, certains contestataires ne voient pas d’un bon œil l’organisation de législatives anticipées. Car la thawra n’a toujours pas de programme clair, ni de vision unifiée. La population quant à elle a d’autres priorités, liées à la dégradation de son niveau de vie et à son appauvrissement. En parallèle, les contestataires ont affiché leurs mésententes concernant les revendications de faire appliquer la résolution 1559 relative au désarmement du Hezbollah, lancées le week-end dernier dans la rue par le Forum des jeunes, soutenu par Baha’ Hariri et présidé par l’avocat Nabil el-Halabi. Au point que des purs et durs de la contestation du 17 octobre 2019 se dissocient formellement du mouvement ou demandent à réfléchir.
Rassembler 15 000 personnes
Pour les plus impliqués dans l’initiative du 6 juin, le sit-in augurera sans aucun doute d’un nouveau départ pour la contestation populaire et le début d’une série d’actions. « Formé d’une trentaine d’activistes à travers le pays, notre comité réclame des élections législatives anticipées. Ce sera le slogan de notre mouvement qui rassemblera au moins 15 000 personnes », promet le militant Hicham Bou Ghannam, membre des groupes révolutionnaires du Metn. « Il est grand temps que de nouvelles figures prennent le pouvoir, processus que nous préparons activement », assure-t-il. Le cofondateur du parti Sabaa, Jad Dagher, estime de son côté que « cette initiative conjointe est l’occasion de poursuivre la lutte pour des législatives anticipées, dans l’objectif de bâtir un État ». Car le pays est en faillite, miné par la corruption, il ne supporte plus de retard et « les autorités ont perdu la confiance du peuple. Seules des élections anticipées permettront de résoudre la crise actuelle et de recréer la confiance. Les citoyens auront ainsi la possibilité de donner leur avis sur la classe politique », souligne-t-il. Quant à la question des armes, il estime que le moment n’est pas venu d’ouvrir le dossier. « Cela risque de donner une excuse à certains partis pour accuser la révolution de traîtrise », dit-il. « Le dossier fera nécessairement l’objet de négociations avec le Hezbollah, mais pas sur la base d’une approche complotiste », ajoute-t-il.
Même engagement du parti Kataëb qui annonce, par le biais d’une source proche du chef du parti, Samy Gemayel, son appui à l’événement placé sous le signe des législatives anticipées. « Nous soutenons toute action qui retrouve nos convictions. Et les législatives anticipées sont une de nos revendications car elles ont pour objectif de rendre au peuple le pouvoir de décision, observe-t-elle. Nous serons donc présents, comme nous l’avons été depuis le 17 octobre. » Mais pour cette même source, il est « hors de question de demander l’application de la résolution 1559 », samedi prochain. « Nous n’avons pas pris part à cette manifestation qui réclamait le désarmement du Hezbollah, la semaine dernière, soutient cette source. C’est certes notre avis en tant que parti politique vis-à-vis de la nécessité d’appliquer les résolutions internationales. Mais dans le cadre de la révolution, nous devons nous concentrer sur un seul objectif qui ne soit pas politiquement exploitable. »
Du côté des Forces libanaises, en revanche, aucun appel officiel à manifester n’a émané du parti. « Mais en même temps, il n’y a aucun ordre de ne pas y participer », observe une source proche du parti qui souligne : « Nous laissons la décision aux citoyens qui souffrent. » « En tant que FL, nous demeurons favorables à la thawra, à la condition qu’elle reste pacifique et ne porte pas atteinte aux personnes et à leurs biens », ajoute le député Georges Okais, dont le parti s’est prononcé pour une loi réduisant le mandat de la Chambre.
La résolution 1559 au cœur d’un débat
L’initiative née de la révolution du 17 octobre, « Ana khat ahmar » (Je suis une ligne rouge, NDLR), comptera parmi les participants à la manifestation, sans pour autant s’associer à l’organisation de l’événement ou appeler au rassemblement. « Nous soutenons tout mouvement organisé avec des objectifs clairs car aucune solution n’est envisagée par les autorités, malgré la colère de la population. Notre seule alternative est donc de descendre dans la rue », insiste Waddah Sadek, qui représente aussi le secteur privé. Ce militant d’Ana khat ahmar est conscient de « la nécessité pour les manifestants de définir leurs revendications ». « La décision de manifester est née d’une concertation entre les contestataires des régions. Il est question d’appeler à des élections anticipées et de réclamer un gouvernement indépendant, mais la résolution 1559 n’est pas sur la table », relève-t-il.
Du côté du Bloc national et du Mouvement des anciens combattants pour le salut du pays parrainé par le député Chamel Roukoz, on ne se prononce pas pour l’instant sur le soutien, ou pas, à la manifestation. Mais pour l’avocate et contestataire Halimé Kaakour, « il est hors de question de poser dans la rue le problème de l’armement du Hezbollah, qui ne ferait que raviver les tensions, recréer le clivage 8-14 Mars et conforter la classe politique dans son ensemble ». Car, précise-t-elle, « tous sont responsables de la situation, et il est inconcevable d’accuser les uns pour innocenter les autres ». Sans oublier que « la question des législatives anticipées est intimement liée à une nouvelle loi électorale et à la formation d’une instance indépendante chargée d’organiser les élections ». « Ce n’est pas clair pour l’instant. Quel discours adopteront les manifestants ? Et quel est leur agenda ? » demande-t-elle, résumant ainsi les hésitations de nombreux sceptiques.
Au cœur de la contestation populaire, pourtant, les représentants du Forum des jeunes, soutenus par Baha’ Hariri, frère aîné de l’ancien Premier ministre Saad Hariri. Après avoir milité samedi dernier contre l’arsenal du Hezbollah, ce groupe envisage de réitérer sa revendication samedi prochain. Si le lieu et le moment restent à définir, selon l’avocat Nabil el-Halabi, qui dirige le forum, la question de l’armement illégal est essentielle. « L’armement du Hezbollah est partie prenante de la corruption et du gaspillage des deniers publics, notamment », dénonce le militant. « «Tous sans exception» (« Kellon, yaani kellon ») ne doit exclure personne », martèle-t-il.
Quoi qu’il en soit, la journée de samedi sera un test pour la révolte populaire, même si nombre de contestataires rejettent les revendications de législatives anticipées car la révolution n’a pas fini de s’organiser. « Les problèmes essentiels de la population sont aujourd’hui liés à la crise économique. Les gens n’arrivent plus à se nourrir. Il n’est plus possible de continuer à envisager notre mouvement comme il l’était avant la pandémie », dit Houssam Eid. Ce révolutionnaire, qui milite à titre individuel et au sein de groupes, se prononce donc « contre des législatives anticipées ». « Si les élections avaient lieu, l’intifada serait-elle prête à prendre le pouvoir ? Selon quel programme et quelle vision ? » demande-t-il, dans une invite à plus de réalisme.
Tensions et échauffourées lors des manifestations de dimanche soir
Après la manifestation qui s’est déroulée dimanche en fin d’après-midi sur la route du palais présidentiel de Baabda, plusieurs rassemblements nocturnes ont dégénéré en échauffourées avec les forces de sécurité à Beyrouth.
Dans le centre-ville, de jeunes manifestants ont tenté de se rendre place de l’Étoile, devant l’entrée du Parlement, en transportant des barrières métalliques qu’ils voulaient utiliser comme échelles afin d’escalader la barricade installée pour fermer l’accès au siège de la Chambre. Des affrontements ont alors éclaté avec les agents de la police du Parlement, en direction desquels les contestataires ont lancé des pierres et des projectiles. Pour les disperser, la police du Parlement a tiré en l’air, à balles réelles selon certains activistes.
Un rassemblement a également eu lieu devant le domicile de la ministre de la Défense, Zeina Acar, dans le centre-ville, afin de réclamer la libération d’un activiste, Hussein Kanj, arrêté lors du sit-in organisé près du palais présidentiel, plus tôt dans la journée. Là aussi, des affrontements ont éclaté avec les forces de sécurité intérieure, déployées en grand nombre sur les lieux.
Dans plusieurs régions du pays, les contestataires avaient bloqué des routes en soirée, notamment dans la Békaa, au niveau de la bifurcation Marj-Bar Élias, où les voies ont été fermées à l’aide de pneus enflammés. Les protestataires voulaient crier leur colère face à la dégradation de la situation économique et assurer que la « révolution du 17 octobre se poursuivra », selon notre correspondante Sarah Abdallah.
À Tripoli également, des protestataires ont coupé en début de soirée dimanche les routes menant à la place al-Nour. Ils ont aussi enlevé une plaque sur laquelle était inscrit « place Abdel-Hamid Karamé », nom initial de la place al-Nour.
Tous ces rassemblements semblent être un prélude au 6 juin, date à laquelle doit se tenir une « journée de la colère » place des Martyrs à Beyrouth.
Alors que le Liban se concentre sur son déconfinement progressif, la contestation populaire semble déterminée à remonter au créneau, comme en témoignent les mouvements ponctuels organisés en différents points du territoire ces derniers jours. Un appel à manifester massivement a en outre été lancé pour le samedi 6 juin, à 15 heures, sur la place des Martyrs. Ce nouveau rendez-vous...
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Les quelques 15000 participants ne feront pas le poids vu l’organisation aussi bien militaires que des forces de l’ordre factices et des voyous qui se préparent en coulisses. Il faut des millions de libanais avec un même souffle. Celui de La LIBERTÉ. Personne ne peut gagner face à une foule soudée par un même but qui est de récupérer ses droits et qui ne réclame que le droit de vivre dignement, libre et en paix. Les voyous sur scooters ou autre qui tenteront leur chance en se faufilant parmi les manifestants n’auront aucune chance de transpercer la foule, ils seront appréhendés et mis hors d’état de nuire bien avant par les manifestants eux mêmes. L’UNION FAIT LA FORCE.
Sissi zayyat
16 h 48, le 03 juin 2020