Réformer la BDL pour, entre autres, mettre fin au calvaire des déposants à l’entrée des banques. Mohammad Azakir/Reuters
Un plan présenté au gouvernement par l’Association des banques (ABL) le 20 mai envisage comme solution de base l’établissement d’un fonds regroupant des institutions et biens de l’État, d’une valeur de 40 milliards de dollars, qui demeurerait la propriété de l’État mais émettrait des obligations de dette en faveur de la BDL. Cela lui permettrait, relève l’ABL, de régler les montants qu’elle doit aux banques. Hormis le fait que je ne pense pas que cette solution soit la meilleure, elle requiert de repenser la BDL. Toute autre solution à travers laquelle la BDL doit jouer un rôle de premier plan nécessite qu’elle soit renflouée et restructurée pour éviter une autre débâcle financière.
Dans mon article du 16 mars dans L’OLJ, je propose aux banques, principales responsables des économies des citoyens, d’aller elles-mêmes de l’avant, en offrant diverses options créatives et satisfaisantes à leurs clients et en initiant simultanément une action de sauvetage, en négociant avec l’État une proposition de sortie de crise par une stratégie innovante à la dimension du problème, qui s’intégrerait avec une stratégie de la BDL elle-même.
Un pilier essentiel de cette stratégie État/banques/BDL consiste à restructurer et sauver la BDL pour sauver les dépôts et faire redémarrer le système bancaire. L’actuel statu quo, qui reflète une certaine perdition, pourrait se terminer en une grande perte pour les déposants sous une forme ou une autre (exemple : conversion forcée des dépôts en dollars en LL, haircut…). Il s’agit pour la BDL de se réorganiser pour attirer des dollars de l’étranger, de donner des garanties acceptables qui serviraient à ce que d’autres puissent financer les importations et de servir de levier financier et de pierre angulaire d’une reprise de confiance dans le système financier. Lazard, conseiller auprès de l’État, a établi que les pertes de la BDL se soldaient à environ 62 milliards de dollars, dont 44 milliards de pertes dans les opérations de soutien à la livre libanaise, ingénieries financières et taux élevés pour attirer des dollars. S’y ajoutent 18 milliards de pertes en eurobonds et en dettes à l’État libellées en livres libanaises et en dépenses. Ce déficit est énorme, selon tous les standards internationaux, même sans tenir compte de la petite taille de notre pays, et même s’il s’avère ne pas être très précis. La corruption ainsi que la mauvaise gestion de l’État en sont les premières responsables.
La BDL doit aux banques 75 milliards de dollars environ, libellés en dollars (après avoir pris en compte les 19 milliards de réserves obligatoires et les 8 milliards qu’elle a prêtés aux banques depuis le 17 octobre), et c’est là que réside le plus grand problème! Les réserves nettes de la BDL, que j’estime à 2 milliards de dollars, sont aussi au plus bas (ses autres réserves étant finalement la propriété des banques). De plus, la fin du confinement entraînera un besoin supplémentaire important en devises pour subvenir aux importations des biens qui ne sont pas de première nécessité : habits, voitures, matières premières… que le pays aura grand mal à assurer.
Pour faire face à ces problèmes et pour que la BDL puisse repayer aux banques les dizaines de milliards de dollars qu’elle leur doit à échéance, il s’agit de sauver la BDL. Comment le faire ?
1- Convertir sa structure en une « mutualité » qui s’inspire de la Banque nationale suisse, un pays où les banques ont toujours eu un rôle primordial, même pour les investisseurs étrangers qui ont confiance dans le système financier suisse. La BDL devrait s’orienter dans cette direction : l’ouverture de son capital à la diaspora libanaise et aux étrangers qui seraient intéressés par ce placement plus que d’autres au Liban. Cela grâce au droit de seigneuriage qui est propre aux banques centrales, par lequel elles se garantissent un profit en émettant la monnaie locale, en prêtant aux banques, en empruntant à un taux plus avantageux, et en gardant des dépôts non rémunérés (comme les réserves obligatoires). Les actions de la BDL seraient cotées en Bourse comme en Suisse, ce qui donne des liquidités aux détenteurs de ces actions. Cela attirerait de nouveaux capitaux sans que les actionnaires aient un droit de regard sur la gestion, qui est le principe de la « mutualisation ».
La BDL échangerait aussi une partie de ce qu’elle doit aux banques par des actions préférentielles dans son capital, toujours traitées en Bourse, comme c’est le cas en Suisse. Cela assurerait aux banques qu’elles recevraient les premiers profits de la BDL et améliorerait leur crédibilité vis-à-vis des banques correspondantes, d’autant que cela entre dans le contexte de son assainissement généralisé et de la revalorisation de son bilan.
2- En échange d’une partie des fonds que l’État doit à la BDL en bons du Trésor, en eurobonds, les financements des déficits de l’EDL, l’État octroierait des biens à la BDL en terrains (du milliard de m2 que l’État détient), en immeubles et une participation dans certaines institutions, qu’elle gérerait mieux que l’État, une fois restructurée, et qui renflouerait ses pertes, lui permettant de donner des garanties crédibles aux banques centrales et États étrangers amis afin qu’ils déposent auprès d’elle des dollars à moyen terme.
3- En exécutant les deux suggestions ci-dessus, la BDL s’adresserait alors aux institutions étrangères mixtes dont le rôle est de financer et d’encourager les exportations de leur propre pays, telles que la Coface en France, OPIC aux USA, SACE en Italie, les institutions chinoises, japonaises etc., pour leur proposer les garanties d’une BDL ainsi renforcée, afin qu’elles financent les importations de leurs produits vers le Liban, évitant ainsi à la BDL d’utiliser ses propres réserves. Cette formule réduirait de beaucoup son besoin actuel en devises.
4- La BDL entamerait alors des opérations de swap de monnaies avec les banques centrales étrangères amies pour renforcer ses réserves en devises, procédure connue entre pays quand la confiance est établie. La BDL arrêterait aussi toutes les opérations d’ingénierie financière, ce qui lui éviterait un saignement supplémentaire.
5- La BDL ainsi renforcée et crédibilisée assurerait des lignes de crédit de l’étranger en octroyant des garanties sur les biens spécifiques que l’État lui aurait cédées en contrepartie de ses dettes, lui donnant aussi la possibilité d’augmenter ce qu’on appelle son war chest.
6- La BDL soutient activement une loi au Parlement exigeant le rapatriement des fonds transférés ou retirés en cash depuis le 25 octobre en infraction au capital control imposé par l’Association des banques et non respecté par certains de ses propres membres. La loi imposerait en cas de non-rapatriement une pénalité importante sur les banques ayant commis les infractions. Cette pénalité peut inclure la perte de leur licence, ayant failli à leur devoir fiduciaire et éthique de banquier, ayant porté préjudice aux déposants qui n’ont pas pu retirer leur argent et ayant aussi contribué à fragiliser le pays en période de grave crise. Des pénalités seraient aussi imposées aux personnes physiques qui ont transféré ou retiré de grandes sommes en cash pendant cette période, sachant que l’ABL l’avait interdit et qu’ils mettaient en danger la nation en contribuant à l’effondrement financier en période de révolution populaire.
Cela renflouerait les devises étrangères dans le système de quelque 6 milliards de dollars et renforcerait les banques.
7- La BDL, dans sa nouvelle structure, arrêterait de financer les déficits de l’État et tous les secteurs économiques, réduisant ses risques de pertes supplémentaires et laissant cette activité essentielle aux ministères correspondants, sous la supervision des organismes de contrôle, comme la plupart des banques centrales du monde développé.
8- La BDL doit s’abstenir de tout « mismatching » de monnaies qui présente un risque important qui consiste, par exemple, à recevoir l’argent des banques déposé auprès d’elle en dollars (et qui n’est autre que l’argent des économies des déposants et de leurs retraites) pour les prêter à son tour en livres libanaises à l’État ou financer ses déficits en livres, s’exposant au risque important de variation du taux de change en plus du risque de non-remboursement.
9- Il est très inquiétant de voir que suite aux grandes pertes subies par les banques et leur crise de liquidité (dues essentiellement au fait qu’elles ont placé les trois quarts des dépôts avec l’État libanais ou les institutions qui lui sont rattachées), la commission de contrôle des banques n’ait pas sonné l’alarme et ait continué son « business as usual » en ignorant les ratios de risque courants et les avertissements des agences de notation financière étrangères. C’est soit que la commission n’a pas saisi les choses importantes qui se passaient sous son nez, soit que ses membres n’ont pas voulu contrarier la banque où ils ont travaillé des années et ont donc fermé les yeux sur toutes les banques, les laissant réaliser de grands profits sans voir les conséquences graves que cela allait inévitablement avoir sur les épargnes du peuple. Les nouveaux membres doivent donc, pour le moins qu’on puisse dire, être issus d’institutions financières étrangères ou avoir quitté le secteur bancaire libanais depuis au moins quatre ans. Une réorganisation de la salle de change doit aussi être envisagée après l’arrestation et l’émission d’un acte d’accusation contre son directeur et son second.
Cette formule pour la BDL implique une gestion prudente et sage, une indépendance sans faille ainsi qu’une habileté à refuser les pressions des politiques, ce qui n’est pas facile au Liban. Elle a besoin pour bien réussir de s’accompagner d’un début de réforme effectif, des efforts sérieux de recouvrement des fonds volés et d’une première injection de fonds par le FMI ou des projets de BOT ou de la CEDRE.
Elle redonnera confiance dans notre système financier et verra une injection dans l’économie de 5 milliards de dollars accumulés dans les foyers des particuliers. Elle stabilisera les banques, une fois partiellement recapitalisées, et protégera les dépôts qui pourront être libérés progressivement dans la monnaie dans laquelle ils ont été déposés. Il y va de l’intérêt du Liban et de son peuple.
Habib ZOGHBI
Président honoraire de l’Association
des diplômés de Harvard au Liban
Président du Harvard Business
School Club
Économiste et financier
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L'auteur propose que, dans des proportions à déterminer (mais le diable infeste avec joie de tels détails), les banques convertissent une partie de leurs dépôts auprès de la BdL en actions préférentielles, que l'État lui alloue des actifs (dont la liquéfaction, et à un prix correct, sera un exploit et un marathon sur plusieurs années) et puis qu'elle émette des actions ordinaires, ce qui veut dire qu'il va falloir trouver des héros pour porter à bout de bras une masse monstrueuse de créditeurs qui leur seront prioritaires et dont les créances pourraient être un jour converties en actions ordinaires et les diluer en rien du tout si les actifs de la BdL venaient à décevoir. Sans chiffres, de telles idées au demeurant intéressantes, c'est un peu de la science-fiction. Vite une suite, avec des tableaux et une idée de la valorisation des actions ordinaires de la BdL à laquelle l'auteur investirait. Un autre détail, le remplacement des créances des banques sur la BdL par des actions préférentielles nécessitera aussi leur augmentation de capital (et donc de concurrencer la BdL pour attirer les capitaux à risque) puisque les régulateurs du monde exigent de couvrir une telle classe d'actifs par beaucoup plus de fonds propres. Ce problème ne sera pas résolu sans grincements de dents généralisés, et ça ne profitera même pas aux dentistes que peu des victimes auront encore les moyens de consulter.
21 h 07, le 30 mai 2020