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Moyen-Orient - Décryptage

Riyad fait un pas supplémentaire vers Bagdad

L’arrivée au pouvoir du Premier ministre Moustafa al-Kadhimi devrait permettre au royaume de jouer un rôle plus important en Irak.


Réunion du nouveau gouvernement irakien à Bagdad, le 9 mai 2020. Photo AFP

Après avoir placé ses pions en Irak au cours de ces dernières années, Riyad passe désormais à la vitesse supérieure avec Bagdad. Cette option est favorisée par l’arrivée à la tête du gouvernement irakien au début du mois de Moustafa al-Kadhimi, un ancien chef des renseignements irakiens qui entretient de bonnes relations tant avec l’Iran qu’avec l’Arabie saoudite et les États-Unis.

La volonté de resserrer les liens a été clairement affichée samedi dernier lors du premier déplacement officiel du ministre irakien des Finances et du Pétrole, Ali Allaoui, en Arabie saoudite. Le même jour, un accord était conclu avec des entreprises saoudiennes pour investir dans les gisements de gaz de Okaz, situés dans la province irakienne d’al-Anbar, tandis que Riyad annonçait le retour à Bagdad d’un nouvel ambassadeur saoudien au plus vite. « Nous attendons avec impatience que l’Irak renaisse de ses cendres pour retrouver son statut en tant que l’un des piliers forts et résilients du monde arabe (…) », a écrit samedi sur son compte Twitter le vice-ministre saoudien de la Défense et frère de MBS, le prince Khaled ben Salmane.

« Le système politique irakien a été fracturé et est inefficace ces dernières années, mais avec la nomination de Moustafa al-Kadhimi en tant que Premier ministre, les dirigeants saoudiens pensent qu’il est possible qu’il puisse stabiliser l’Irak en tant que leader pro-occidental et pro-arabe », explique à L’Orient-Le Jour Nader Habibi, professeur en économie du Moyen-Orient à l’Université Brandeis. Pandémie de Covid-19, répercussions de la guerre des prix du pétrole, double crise politico-économique et luttes internes en Irak… Les conditions actuelles offrent une fenêtre d’opportunité à Riyad pour gagner en influence dans le joyau de son concurrent iranien. « L’Arabie saoudite a eu une expérience négative au Yémen où les Iraniens sont devenus plus influents et le royaume veut riposter. Pour ce faire, l’Irak est un bon environnement », estime Michael Knights, expert au Washington Institute for Near East Policy. « Les Saoudiens ont également perdu une certaine influence au Liban et au Yémen ces dernières années, ils doivent trouver d’autres lieux où ils peuvent retisser leurs liens », poursuit-il.

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Des objectifs qui s’inscrivent dans la continuité de la stratégie saoudienne en Irak au cours des dix dernières années, alors que la mise en retrait du royaume wahhabite de la scène irakienne suite à l’invasion américaine en 2003 a, entre autres, profité à l’expansionnisme iranien dans le pays. Encouragée par Washington, cette volonté s’est d’abord cristallisée en 2015 dans le cadre de la lutte contre l’État islamique avec le rétablissement des relations diplomatiques entre Riyad et Bagdad – rompues en 1990 dans la foulée de la seconde guerre du Golfe – puis en 2017 avec la visite de l’ancien chef de la diplomatie saoudienne, Adel al-Jubeir, en Irak. L’année dernière, le royaume wahhabite inaugurait également un « nouveau chapitre » avec l’ouverture d’un consulat à Najaf, tandis que treize accords politiques et économiques étaient conclus entre les deux pays suite à la venue de l’ancien Premier ministre irakien, Adel Abdel Mahdi, à Riyad. Lourd de symbole, l’établissement d’une mission diplomatique à Najaf devait permettre à Riyad d’infiltrer un terrain majoritairement sous influence iranienne, alors que la ville est un lieu de pèlerinage pour la communauté chiite. Une décision prise dans la foulée de la visite du chef chiite irakien Moqtada Sadr à Djeddah deux ans plus tôt, une personnalité politique au discours nationaliste et alors perçu par Riyad comme un potentiel partenaire face à l’Iran.

Aides économiques

« Les politiques saoudiennes axées sur l’Irak sont devenues plus nuancées avec le temps, cessant de considérer tous les dirigeants irakiens chiites comme étant pro-iraniens et commençant à jeter les bases d’un jeu plus intelligent basé sur une diplomatie douce en utilisant les investissements, les échanges culturels et les interactions entre citoyens comme outils », souligne Randa Slim, chercheuse au Middle East Institute. Le royaume veut notamment jouer un rôle dans les secteurs de l’agriculture et de l’électricité en Irak, les considérant comme un moyen de faire coup double en approfondissant ses relations avec Bagdad tout en diversifiant son économie. Mais malgré la convergence de nombreux intérêts entre l’Arabie et l’Irak, « les dirigeants saoudiens ont été lents jusqu’à présent dans leur rapprochement avec Bagdad qui, lorsque cela se produit, est souvent dû à des incitations d’officiels américains », souligne Randa Slim.

Le contexte actuel pourrait toutefois être favorable à une percée plus rapide de Riyad à Bagdad, à un moment où les discours anti-iraniens ont gagné en popularité ces deux dernières années et où la pandémie de Covid-19 et les sanctions américaines frappent Téhéran de plein fouet. Des éléments qui s’ajoutent à l’élimination par les États-Unis du commandant de la force d’élite al-Qods, le général iranien Kassem Soleimani, et du chef de la milice pro-iranienne en Irak Kataëb Hezbollah, Abou Mahdi al-Mouhandis, en janvier dernier, et qui ont relativement fragilisé la position iranienne dans la région.

Un renforcement des relations qui serait tout aussi intéressant pour Bagdad, alors que le pays est en proie à une crise économique et espère tabler sur des aides en provenance des pays de la péninsule Arabique. « Les Irakiens souhaitent que les Saoudiens et les pays plus riches les soutiennent en ce qui concerne les coupes de production (décidées fin mars) au sein de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, alors que son économie est fragile et que les pays du Golfe disposent de réserves souveraines qui peuvent tenir plus longtemps », souligne Michael Knights. Ces derniers s’étaient déjà engagés à prêter plusieurs milliards de dollars pour la reconstruction de l’Irak lors d’une conférence au Koweït en 2018. Un prêt d’un milliard de dollars pour des projets de développement en Irak, combiné à 500 millions de dollars pour stimuler les exportations, avait été annoncé par l’Arabie saoudite mais les fonds n’ont pas été débloqués. Des sommes que Bagdad cherche activement à encaisser aujourd’hui pendant que Riyad, contraint d’appliquer des mesures d’austérité en interne, fait également face à des difficultés économiques sans précédent. Alors que l’économie du royaume est largement dépendante des revenus de l’or noir, « la récente baisse des prix du pétrole rendra également plus difficile pour l’Arabie saoudite d’investir des sommes importantes en Irak », fait remarquer Nader Habibi. « Les Saoudiens manquent d’argent, mais (cet investissement) pourrait en valoir le coup », nuance Michael Knights.


Après avoir placé ses pions en Irak au cours de ces dernières années, Riyad passe désormais à la vitesse supérieure avec Bagdad. Cette option est favorisée par l’arrivée à la tête du gouvernement irakien au début du mois de Moustafa al-Kadhimi, un ancien chef des renseignements irakiens qui entretient de bonnes relations tant avec l’Iran qu’avec l’Arabie saoudite et les...

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Faire un pas vers Baghdad c'est faire un pas vers l'Iran NPR.

FRIK-A-FRAK

15 h 29, le 29 mai 2020

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Commentaires (1)

  • Faire un pas vers Baghdad c'est faire un pas vers l'Iran NPR.

    FRIK-A-FRAK

    15 h 29, le 29 mai 2020

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