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Lifestyle - Disparition

Michel Piccoli, le charme discret d’un monstre sacré du cinéma

Michel Piccoli s’est éteint le 12 mai dans les bras de sa femme Ludivine et de ses jeunes enfants Inord et Missia, des suites d’un accident cérébral.

En mai 2011, Michel Piccoli présente « Habemus Papam » en compétition au 64e Festival du film à Cannes. Anne-Christine Poujoulat/AFP

D’une remarquable longévité, sa carrière est indissociable des films de Luis Buñuel et de Claude Sautet. Grand, brun, sourcils broussailleux et voix qui ensorcelle, ce personnage complexe disait « se régaler à jouer l’extravagance ou les délires les plus troubles ». Monstre sacré à l’écran, grand pudique dans la vie, Michel Piccoli est décédé à 94 ans, après une carrière de près de 60 ans où il a incarné des personnages sombrement extravagants comme des séducteurs bouleversés par « les choses de la vie ». Il « s’est éteint le 12 mai dans les bras de sa femme Ludivine et de ses jeunes enfants Inord et Missia, des suites d’un accident cérébral », a indiqué lundi sa famille, sans donner plus de détails, dans un communiqué transmis à l’AFP par Gilles Jacob, ami de l’acteur et ancien président du Festival de Cannes.

Renoir, Resnais, Demy, Melville, Buñuel, Godard, Varda et Hitchcock : Michel Piccoli a tourné avec chacun d’eux, mais n’a cessé de s’engager avec de jeunes auteurs avant de se lancer lui-même dans la réalisation, à 70 ans. « Peu m’importe (...) de faire des choses non commerciales, dangereuses », déclarait-il aux Cahiers du cinéma. « Je préfère les prototypes aux séries. »

Prototype par excellence, Le Mépris de Jean-Luc Godard (1963), avec Brigitte Bardot, le révèle au grand public. Dans cette chronique du désamour, il joue un scénariste, chapeau vissé sur la tête « pour faire comme Dean Martin ». Il tourne ensuite plus de 150 films, incarnant même un pape mélancolique qui rêve de se fondre dans l’anonymat des rues de Rome, dans Habemus Papam de Nanni Moretti (2011). Un de ses derniers grands rôles, qui aurait pu lui valoir un prix d’interprétation à Cannes.

Rejet de la bourgeoisie

Né le 27 décembre 1925 à Paris, il dira de ses parents qu’ils lui ont « servi de contre-modèle ». Cette famille qu’il a décrite comme « égoïste, raciste et franchouillarde » a probablement pesé dans son rejet de la bourgeoisie. Très vite, il prend des cours de théâtre et débute au cinéma dans Le Point du jour de Louis Daquin. Parallèlement, il commence sur les planches, notamment avec la compagnie Renaud-Barrault. En 1945, à la Libération, il a 20 ans. À Saint-Germain-des-Prés, il fait des rencontres : Jean-Paul Sartre, Boris Vian, Juliette Gréco – qu’il épousera en 1966 –, ainsi que des réalisateurs, dont Luis Buñuel. Question d’époque aussi, il devient compagnon de route du Parti communiste. Un engagement à gauche qu’il gardera sans jamais s’encarter.

Remarqué pour la première fois au cinéma avec Le Doulos de Jean-Pierre Melville (1962), il devient célèbre l’année suivante avec Le Mépris. Il tourne ensuite énormément et étreint à l’écran nombre d’actrices : Brigitte Bardot, Catherine Deneuve et Romy Schneider. Il devient aussi un des acteurs fétiches de Buñuel (Le journal d’une femme de chambre, Belle de jour, Le charme discret de la bourgeoisie) chez qui il incarne des personnages troubles, puis de Claude Sautet dans les années 70 (Les choses de la vie, Max et les ferrailleurs, Vincent, François, Paul... et les autres), qui fait de lui une incarnation des Trente Glorieuses.



Michel Piccoli et Juliette Greco à Paris en mars 1967. Photo AFP

« Antistar »

Il brise ensuite son image de séducteur au front dégarni et se jette dans des rôles aux profils débridés, dont celui d’homosexuel suicidaire dans La Grande Bouffe de Marco Ferreri (1973), qui fit scandale sur la Croisette par ses scènes orgiaques et scatophiles. Son refus du plan de carrière, son côté antistar l’amènent à tourner également des films d’auteur sous la direction de Leos Carax, Jean-Claude Brisseau, Jacques Doillon.

En 1990, il campe avec gourmandise un personnage de grand bourgeois fantasque dans Milou en mai de Louis Malle, avant de devenir le peintre intransigeant de La Belle Noiseuse de Rivette (1991), aux côtés d’Emmanuelle Béart. Ce film lui vaudra sa quatrième nomination aux César, mais il ne remportera jamais de statuette. « Si je pense à tous ces monstres que j’ai interprétés, tous ces abysses dégoûtants qui font peur, dira-t-il, je crois que c’est pour moi une façon de dire mes secrets. »

À la télévision, il a joué Don Juan ou le Festin de pierre de Marcel Bluwal en 1965, qui attira 12 millions de téléspectateurs.

Au théâtre, il a été dirigé par les plus grands, Peter Brook, Patrice Chéreau, Luc Bondy... Très discret sur sa vie privée, Piccoli, qui s’est marié trois fois – il est mort aux côtés de sa dernière épouse, la scénariste Ludivine Clerc – lèvera un coin du voile, à 90 ans, dans un livre d’entretiens avec son ami Gilles Jacob, J’ai vécu dans mes rêves. Il y confiait notamment son angoisse de ne plus pouvoir travailler : « On voudrait que ça ne s’arrête jamais et cela va s’arrêter. »

Source : AFP

Gilles Jacob : La France est orpheline

Ancien président du Festival de Cannes, Gilles Jacob a publié en 2017 un livre d’entretiens avec Michel Piccoli dont il était un ami proche. Pour l’AFP, il revient sur la carrière d’un acteur d’exception dont « la France est orpheline ».

Que doit-on retenir de Michel Piccoli ?

Gilles Jacob : « Michel, c’était l’art du comédien : la classe, l’élégance et la pudeur, la tendresse et l’extravagance, la fraîcheur de ceux qui ont gardé leur âme d’enfant. Il représentait aussi la cocasserie. L’envie de surprendre et de laisser germer ce grain de folie qui font les très, très grands. C’est pour cela que les plus grands cinéastes comme Marco Ferreri, Claude Sautet et Jean-Luc Godard l’ont utilisé magnifiquement. On ne dirigeait pas Piccoli. On le filmait. C’était inutile de lui donner des explications. Le personnage qu’il interprétait le guidait et l’imprégnation du personnage. Il accueillait l’évidence des... choses de la vie. La France est orpheline d’un fils. Il nous laisse son œuvre et notre chagrin. »

Quels souvenirs gardez-vous des Festivals de Cannes où il a défendu tant de films et où il a décroché un prix d’interprétation ?

« Ce prix d’interprétation, il l’a reçu ex aequo avec Anouk Aimée pour Le Saut dans le vide, film de Marco Bellochio. Ironiquement d’ailleurs : Michel a été récompensé pour un film où il était doublé en italien ! Encore une cocasserie à son image : il n’a pas été vexé et il a même adoré! Pourtant, sa voix était incroyable : il pouvait être tonitruant ou chuchoter à la limite de l’audible. Il possédait tous les registres et pouvait tout jouer. Un soir, j’ai rendu hommage à Youssef Chahine qui venait de le diriger dans Adieu Bonaparte. Michel a bondi sur la table de la salle à manger du Carlton en levant le poing et en criant : Vive Chahine ! Michel Piccoli a réalisé aussi plusieurs films, avec toujours la cocasserie et l’extravagance qui le résumaient tant. Avec Godard, leur collaboration a été splendide. Le Mépris est l’un des plus beaux films de l’histoire du cinéma. Michel jouait un personnage méprisable. Les acteurs adorent jouer des rôles pas sympathiques. Avec Ferreri, il a tourné La Grande Bouffe mais aussi Dillinger est mort où il est seul pendant une heure avec un revolver. Et le film est extraordinaire ! »

Comment le trouvez-vous dans Les Choses de la vie, son film sans doute le plus populaire ?

« Michel y est magnifique. C’est le début des années 70. Il est superbe physiquement en séducteur à l’œil de velours. Le ralenti de l’accident est fabuleux. Michel Piccoli était un comédien de théâtre, il ne faut pas l’oublier. Pour le cinéma, il a eu un agent pour débuter mais très vite il a décidé de se débrouiller seul, avec toujours des choix qui devaient lui ressembler. Il fallait surtout des histoires et des metteurs en scène avec un grain de folie comme pour Le Sucre de Jacques Rouffio. Michel n’était pas un homme intéressé par l’argent. De la même manière, il ne courait pas après les honneurs. Il n’aimait pas les choses conventionnelles. Il préférait converser, partager un repas ou un baiser que des honneurs. »

Par Jean-François GUYOT/AFP

D’une remarquable longévité, sa carrière est indissociable des films de Luis Buñuel et de Claude Sautet. Grand, brun, sourcils broussailleux et voix qui ensorcelle, ce personnage complexe disait « se régaler à jouer l’extravagance ou les délires les plus troubles ». Monstre sacré à l’écran, grand pudique dans la vie, Michel Piccoli est décédé à 94 ans, après une...

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