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Nos Lecteurs ont la Parole

La laïcité à la française, une qualité exportable ?

La République française est fière de sa laïcité, prompte à la croire universelle, mais en réalité très dépendante de son histoire et de sa culture catholique. Âprement défendue par les uns, farouchement combattue par d’autres, elle est aujourd’hui le cadre incontournable de la vie française et se caractérise par la neutralité de l’État, même si la République, selon l’article premier de la Constitution, respecte toutes les croyances. Respecte, et pas seulement tolère. Cependant, une jurisprudence abondante du conseil d’État a mis en place le rôle des pouvoirs publics dans la défense des droits humains dont la liberté de culte fait partie intégrante. Ainsi, la laïcité française est devenue une réalité complexe souvent mal connue. J’aimerais en relever quelques aspects.

En France, le salaire des enseignants des établissements scolaires privés est pris en charge par l’État, à travers un contrat avec chaque établissement dont le caractère propre, c’est-à-dire, le cas échéant, le caractère confessionnel, est reconnu. L’enseignement catholique français n’a donc pas à craindre une décision d’augmentation des rémunérations du personnel d’encadrement scolaire.

L’État français est garant de la liberté de culte et donc de quatre grands services d’aumônerie, véritables lieux de rencontre des religions et de l’État. L’aumônerie militaire est sans doute la plus intégrée, avec le diocèse aux armées françaises ; les aumôniers portent l’uniforme, sont rétribués par l’État et intégrés aux unités de défense. Les aumôniers d’hôpitaux, ainsi que les chapelles catholiques sont de droit dans les hôpitaux publics, avec le droit d’entrer et de rencontrer les malades qui le souhaitent. De même pour les aumôneries de prison : droit de rencontrer les prisonniers et de célébrer la messe, même s’il n’y a pas de chapelle. Enfin, existent des aumôneries de lycée prises en compte par les structures de l’enseignement public, et même, dans certains lycées anciens et prestigieux, des chapelles où la messe est célébrée, comme à Henri-IV et à Janson-de-Sailly.

Les cathédrales appartiennent à l’État, qui doit les entretenir et en remettre obligatoirement l’usage aux curés catholiques, appelés curés affectataires. Ainsi, après l’incendie de Notre-Dame, l’État français doit en assurer les réparations et la remettre ensuite au curé affectataire catholique. Il en va de même pour les paroisses catholiques, construites avant 1905, mais qui appartiennent aux communes.

Il conviendrait aussi de rappeler que les rassemblements religieux dans l’espace public sont possibles, à condition, sous le contrôle des préfets, de respecter l’ordre public. Ainsi, depuis peu, des paroisses parisiennes procèdent à des chemins de croix dans la rue le vendredi saint.

Est-ce à dire que la laïcité française est toujours calme et apaisée ? Sans doute pas, en raison au moins de trois questions.

D’une part, la séparation des Églises et de l’État suppose le respect par les religieux de l’autorité de l’État dans le domaine qui lui est propre. Mais elle suppose aussi le respect par l’État des consciences, domaine particulier des religions. Cela suppose la reconnaissance d’un certain nombre de droits à l’objection de conscience, comme pour les soignants concernant l’avortement, ainsi que le renoncement par l’État de se mêler de l’organisation des cultes.

D’autre part, le développement de l’islam en France bouscule des pratiques de laïcité relativement étrangères à la tradition musulmane et survenues après la loi de 1905.

Enfin, demeurent des courants « laïcistes » qui s’assimilent à tort à la laïcité dont ils se prétendent les gardiens et qui voudraient ramener la vie religieuse à la seule vie privée. Cette attitude repose sur deux confusions. Si le dix-neuvième siècle a reposé sur la structure duale de la vie privée et de la vie publique, pour sortir de cette dernière les religions, aujourd’hui nous sommes dans une structure ternaire vie privée, vie sociale, vie publique. Les religions font partie de notre vie sociale, que les pouvoirs publics doivent préserver sans se l’approprier, ce qui serait un totalitarisme. Confusion aussi entre les pouvoirs publics, les services publics, l’espace public, l’opinion publique, qui serait une menace pour les libertés publiques.

Moins qu’une situation sereine et aboutie, la laïcité française est un combat, parfois tumultueux, une construction toujours à reprendre où peuvent se côtoyer les hommes de bonne volonté, celui qui croyait en Dieu et celui qui n’y croyait pas.

Au terme de ces réflexions, une question s’impose : ce modèle est-il applicable au Moyen-Orient en général, au Liban en particulier ? Certainement pas pour un copier-coller, tant les histoires et les cultures sont différentes. La réalité religieuse imprègne trop la vie privée et sociale de la population pour de telles distanciations. Cependant, des éléments de réflexion peuvent être pris en considération, comme la délégation de service public dans l’enseignement et la santé, conduisant l’État à prendre à sa charge les dépenses dans le respect des caractères propres. Et aussi en faisant évoluer le confessionnalisme constitutionnel vers un vrai service de l’État, efficace et impartial, où le clientélisme, forme de corruption, n’aurait pas sa place, sous le contrôle d’un État « respectueux de toutes les croyances » mais capable de prendre en compte le fait confessionnel dans la mise en œuvre d’une vraie citoyenneté.

Pascal GOLLNISCH

Directeur général de

l’Œuvre d’Orient

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La République française est fière de sa laïcité, prompte à la croire universelle, mais en réalité très dépendante de son histoire et de sa culture catholique. Âprement défendue par les uns, farouchement combattue par d’autres, elle est aujourd’hui le cadre incontournable de la vie française et se caractérise par la neutralité de l’État, même si la République, selon...

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