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La Consolidation de la paix au Liban - Mai 2020

Zapper entre les chaînes : les jeunes Libanais se retrouvent

Le paysage médiatique libanais est considéré comme unique dans la région, avec une diversité de chaînes et de plateformes appartenant à une variété de propriétaires. Toutefois, beaucoup de Libanais aspirent à quelque chose de différent. 

Photo Amal Charif

Malgré leur diversité, les médias libanais font face à des limitations significatives, notamment eu égard à leurs propriétaires. Le « Lebanon Media Ownership Monitor » (surveillance de la propriété des médias au Liban), un projet mené par la Fondation Samir Kassir et par l’ONG internationale Reporters sans frontières, a révélé que la vaste majorité des médias au Liban sont possédés et gérés par des proches des partis traditionnels du pays et des hommes d’affaires aux ambitions similaires. Cela laisse peu d’espace à la nouvelle génération, qui met ces perspectives au défi parce que, selon elle, elles consolident souvent le statu quo confessionnel, politique et économique.

Cette nouvelle vague de Libanais se sent exclue de la programmation et du discours de ces médias grand public, et ne leur accorde pas nécessairement sa confiance. Les développements se sont particulièrement accélérés ces derniers mois, à la suite de la contestation de masse (octobre 2019) qui revendique des réformes et de la transparence. Les médias libanais ont soit minimisé ces revendications, soit les ont relatés d’une manière que cette génération n’a pas jugé satisfaisante.

Nombre de citoyens pensent que des médias indépendants et inclusifs sont cruciaux pour encourager à la transparence par le biais d’un journalisme rigoureux d’investigation, et promouvoir la citoyenneté à travers l’intégration de voix différentes issues de segments divers de la population. Dans ce paysage médiatique, ils se sentent exclus. Durant ces derniers mois, la soif de connaissances et l’intérêt pour l’engagement civique ont fortement augmenté, alors même que l’économie libanaise continue de s’effondrer.

Depuis la fin de la guerre civile libanaise en 1990, parler politique et défier activement le statu quo étaient considérés tabous, ce qui n’a pas la même résonance auprès de nombre de jeunes adultes libanais aujourd’hui. Des artistes et des influenceurs se sont soudain retrouvés à combler des lacunes majeures pour répondre à leurs exigences.

« Nous sommes racontables ! », s’exclame, en riant, Nour Hajjar, un comédien libanais. « Nous ramenons tout à notre quotidien. »

Hajjar fait partie d’une poignée d’artistes, comme Shaden, Aleksandra el-Zahran et Gino Raïdy, qui se sont fait connaître pour leurs interprétations des différents sujets sociaux et politiques. Et cela n’est pas exclusif au Liban : des humoristes comme Bassem Youssef et Youssef Hussein (de « Joe Show Fame ») ont prouvé qu’il s’agit d’un phénomène régional.

Que ce soit sur scène ou à travers la diffusion de courtes vidéos sur Instagram, ils ont fidélisé une importante audience qui sent qu’ils répercutent des perspectives et des voix souvent exclues du discours des médias traditionnels.

Ce qui a aidé ces nouvelles sources d’information à agrandir leur audience, c’est leur présence dans des espaces neutres. Que ce soit dans des sites culturels ou sur Internet, ils touchent un public divers et visent à promouvoir les droits civiques, à dénoncer les politiques existantes et à appeler au changement.

Des collectifs sont formés, comme « Awkword », qui rassemblent des comédiens dans un espace leur permettant de s’exprimer confortablement, de pratiquer leur art et de partager les ressources. Entre-temps, sur les réseaux sociaux, des canaux d’influenceurs de toutes sortes continuent de créer un espace libre et ouvert à la discussion et au soutien collectif.

Ces espaces sont un terrain fertile pour le dialogue : les gens créent des liens de par la similitude de leurs expériences et leurs points communs, et ils discutent de bonne foi en transcendant les barrières idéologiques et confessionnelles qu’on leur avait imposées.

Pour des comédiens comme Nour Hajjar, il n’y a pas meilleur moyen de promouvoir le dialogue et l’engagement civique que par une réplique choc. « Nous incitons à l’engagement politique des citoyens », dit-il. « La comédie est la meilleure façon d’être sérieux à ce sujet… C’est la manière la plus amicale de parler politique. »

Toutefois, ces nouveaux développements n’épargnent pas à cette génération avide d’information et d’action civique les obstacles qui continuent d’obstruer son chemin. Parmi ces obstacles notoires, un pic récent de campagnes de désinformation qui ont impacté non seulement la couverture médiatique, mais aussi les discussions et les messages en ligne. D’énigmatiques messages vocaux sur WhatsApp et de perfides campagnes sur les réseaux sociaux ont suscité une cacophonie d’informations qui ont perturbé les Libanais en général, distillant des tensions confessionnelles à un moment où de plus en plus de Libanais les rejettent.

Le Liban passe par une phase critique, étant en défaut de paiement de ses dettes pour la première fois, et s’apprêtant à adopter un plan de sauvetage économique. L’exigence d’information, de transparence et de reddition de comptes est plus importante que jamais.

Or le journalisme indépendant est en plein essor, avec des journalistes tels Habib Battah, Lara Bitar et d’autres, visant à contrer le courant dominant par des standards éditoriaux rigoureux et des reportages qui vont en profondeur. Hajjar considère que l’émergence de plateformes médiatiques indépendantes comme Megaphone, Daraj ou The Public Source ces dernières années est cruciale pour aborder les problèmes des médias libanais, notamment dans un contexte de crise économique grandissante, et sans restriction éditoriale. Pour sa part, il aspire, avec les autres comédiens et les influenceurs des réseaux sociaux, à jouer un rôle dans la promotion de la transparence, la démocratisation et la citoyenneté – en complément des efforts des médias indépendants, selon lui.

« Nous avons tous besoin de nous sentir prêts et d’être informés sur les causes de l’aggravation de la situation », affirme Nour Hajjar. « C’est ainsi que nous pourrons tous aborder la réalité et construire quelque chose de nouveau ensemble. »

Kareem Chehayeb est journaliste.


Les articles, enquêtes, entrevues et autres, rapportés dans ce supplément n’expriment pas nécessairement l’avis du Programme des Nations Unies pour le développement, ni celui de L'Orient-Le Jour, et ne reflètent pas le point de vue du Pnud ou de L'Orient-Le Jour. Les auteurs des articles assument seuls la responsabilité de la teneur de leur contribution.

Malgré leur diversité, les médias libanais font face à des limitations significatives, notamment eu égard à leurs propriétaires. Le « Lebanon Media Ownership Monitor » (surveillance de la propriété des médias au Liban), un projet mené par la Fondation Samir Kassir et par l’ONG internationale Reporters sans frontières, a révélé que la vaste majorité des médias au...

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