Critiques littéraires

Raymond Radiguet, météore intranquille

C’est à un météore de la littérature française, Raymond Radiguet (1903-1923), que rend hommage Jessica Nelson dans Brillant comme une larme. Ce n’est pas une biographie, mais un roman très informé, pourvu d’une solide bibliographie, notamment la biographie de Radiguet de Monique Nemer (Fayard, 2002).

Tout commence par une citation de Radiguet, prémonitoire : « Les vrais pressentiments se forment à des profondeurs que notre esprit ne visite pas. » Puis vient un prologue qu’on laissera le lecteur découvrir. Il a lieu le 21 avril 1923, quelques mois avant la mort du jeune homme. Ensuite, le roman est une sorte de journal de bord de sa courte existence, d’avril 1917 et la rencontre avec sa voisine Alice – source d’un livre mythique, Le Diable au corps – au 14 décembre 1923 – Radiguet est mort le 12.

En 1917, Raymond est presque encore un enfant. Il a quatorze ans. Alice en a vingt-quatre. On est en pleine guerre et son fiancé, Gaston, est au front. A priori ces deux-là devraient seulement entretenir des relations de bon voisinage. Mais Raymond n’est pas un adolescent ordinaire : « Raymond est électrisé par le pouvoir qu’il exerce de toute évidence sur elle, malgré les dix ans qui les séparent. Dès ses premières années, il s’est senti en décalage avec les autres. Les enfants de son âge l’ont très vite ennuyé. »

Pour parler de cette histoire, très romanesque, et scandaleuse pour certains, pour la faire revivre de l’intérieur, il fallait beaucoup de délicatesse, comme en a Jessica Nelson. Ce n’est pas l’histoire d’une innocente jeune femme tombant sous la coupe d’un enfant pervers. C’est une fulgurante histoire d’amour, avec ce qu’elle porte de pureté, de passion, de sentiment de culpabilité aussi, bien sûr.

Le plaisir qu’on a à lire Brillant comme une larme ne tient pas au seul Radiguet, mais aussi à ceux qu’on croise dans ce livre. Car, dans sa vie si brève, le très jeune Raymond qui, à quinze ans abandonne ses études pour le journalisme, rencontre tous ceux qui font de l’époque de l’immédiat après-guerre un moment de vie littéraire et artistique intense. Ainsi retrouve-t-on Coco Chanel, Modigliani, Max Jacob, André Breton, Louis Aragon – qui n’aime pas beaucoup Radiguet –, Joseph Kessel, André Malraux, Paul Morand et bien d’autres, dont Picasso qui, alors que Raymond lui rend visite dans son atelier, le trouve trop agité et lui lance : « Ce que vous pouvez être agaçant, vous remuez sans cesse. » La réponse ne tarde pas : « Quand je serai vieux, je me tiendrai tranquille. »

Toutefois, la seule vraie amitié est celle qui naît avec Jean Cocteau, « captivé par l’étrange garçon aux yeux lunaires, reliés entre eux par de très épais sourcils », et amoureux. C’est lui qui pousse ce jeune homme vers son destin d’écrivain. Et qui donne le manuscrit du Diable au corps à Bernard Grasset. Celui-ci décide de le publier, non sans demander à Radiguet si Marthe – le prénom qu’il donne dans le livre – « existe ».

On connaît la suite. Le roman est lancé de manière spectaculaire par Grasset en 1923. Ce qui suscite des polémiques. « C’est la première fois qu’on emploie au profit d’un livre des méthodes réservées aux savons, laxatifs, etc., écrit Maurice Sachs. Et ça a réussi : le livre se vend. Ceci dit c’est un livre admirable, le premier où l’on ose dire merde à la guerre. » C’est un scandale et un énorme succès, 100 000 exemplaires vendus en trois mois. Radiguet tombe malade, il a la typhoïde et meurt le 12 décembre. Son autre roman, Le Bal du comte d’Orgel sera publié en 1924.

Le dernier chapitre de Brillant comme une larme, c’est le moment des adieux, le 14 décembre 1923, avec un Jean Cocteau qui se sent coupable de n’avoir pas assez protégé son ami. Il sait, écrit Jessica Nelson « que Raymond le hantera, jusqu’à ce qu’il ait rendu justice à cette vie de météorite qui ne rêvait que de s’inscrire dans la légende. Car “le vrai tombeau des morts c’est le cœur des vivants” ». Et ce roman vient prouver, une fois de plus, qu’en effet, Raymond Radiguet s’est inscrit dans la légende.



Brillant comme une larme de Jessica Nelson, Albin Michel, 2020, 316 p.

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