Les représentants du secteur privé, Association des banques du Liban en tête, militent depuis une semaine pour contraindre le gouvernement à modifier plusieurs aspects du plan de redressement du pays qu’il a adopté le 30 avril et transmis au Fonds monétaire international (FMI) en même temps que sa requête officielle pour une demande d’assistance (voir encadré). Le Premier ministre libanais Hassane Diab s’est même entretenu mardi avec la directrice de l’organisation, Kristalina Georgieva, qui a qualifié le même jour sur Twitter la stratégie de « pas important en avant face aux défis économiques » du pays.
Ce plan doit jouer un rôle essentiel dans les négociations que le Liban doit entreprendre avec ses créanciers pour restructurer sa dette publique, le pays ayant fait défaut sur ses obligations d’État en devises (eurobonds) en mars dernier. Il dresse un diagnostic, plutôt exhaustif et chiffré, de la grave crise économique, financière et monétaire que traverse le pays et pose les bases d’une feuille de route qui ambitionne d’amorcer un redressement durable en organisant d’abord la période allant de 2020 à 2024.
Différentes interprétations
Si elle reconnaît certaines vertus au plan, l’Association des banques du Liban (ABL) – membre des organismes économiques, une organisation patronale qui lui emboîte le pas – s’est néanmoins montrée très critique à l’égard des solutions privilégiées par l’exécutif pour restructurer le secteur bancaire. Le gouvernement a notamment exclu de facto tout renflouement des banques par l’État et a souligné sa volonté d’épargner une grande partie des déposants. Une position qui met les actionnaires des banques – dirigeants et détenteurs d’actions préférentielles – en première ligne pour compenser ces pertes, devant les grands déposants qui devraient se voir proposer un bail-in (un échange d’une fraction de leurs dépôts contre des actions dans la banque où ils sont clients).
Le plan n’a pas encore arrêté de mesures de façon définitive, mais a listé une série d’options allant dans ce sens et ses auteurs espèrent également pouvoir compter sur une restitution d’une partie de l’argent détourné pour pouvoir atteindre leurs objectifs. Le remboursement des dividendes perçus depuis 2016, la perte du capital qu’ils détiennent actuellement et l’obligation de recapitaliser les établissements bancaires du pays sont ainsi les premières mesures envisagées pour combler les dizaines de milliards de dollars de pertes du secteur bancaire. Des pertes liées à leur exposition à la dette publique, ainsi qu’aux pertes accumulées par la Banque du Liban.
Mais l’ABL ne l’entend pas de cette oreille et reproche à l’exécutif de vouloir lui faire porter à elle seule la charge des pertes tout en « exonérant » les politiques et les fonctionnaires « de toute responsabilité », selon les termes employés mardi par les organismes économiques, auxquels l’ABL s’est associée. Les deux instances ont en outre reproché à l’exécutif d’avoir opté pour des mesures « destructrices » pour l’économie qui détourneront investisseurs et déposants à long terme. Ils accusent en outre l’État de ne pas avoir suffisamment déployé d’efforts pour réformer les institutions publiques.
Cette interprétation n’est toutefois pas partagée par l’ensemble du secteur bancaire – toutes les banques n’étant pas exposées de la même manière aux pertes constatées. Certaines voix estiment en effet que, bien que perfectible, la solution explorée par l’exécutif respecte « l’orthodoxie souhaitée par le FMI et les membres du Groupe international de soutien au Liban, compte tenu de la responsabilité des banques dans la crise actuelle, et des bénéfices qu’elles ont dégagés ces dernières années en investissant dans la dette libanaise », considère un expert sous couvert d’anonymat. « Il n’y a plus vraiment d’autre issue et on ne peut pas décemment demander aux déposants de payer encore plus qu’ils ne l’ont déjà fait », ajoute-t-il.
Confrontés à une brutale dépréciation de la livre par rapport au dollar (il fallait environ 4 200 livres pour un dollar hier selon le taux du marché noir, les changeurs agréés étant officiellement en grève depuis le 23 avril), les Libanais ont en effet été étranglés ces derniers mois par les restrictions mises en place illégalement par les banques depuis la fin de l’été. Un juriste souligne pour sa part que ce que prévoit le plan du gouvernement est moins sévère que ce que prévoit la loi libanaise en ce qui concerne la responsabilité des propriétaires et des conseils d’administration des banques en cas de faillite, même de bonne foi.
Réunion mercredi prochain
Dans son dernier rapport trimestriel publié mercredi, le département de recherche de Bank Audi a dressé une analyse plutôt consensuelle pour appeler l’État à revoir sa copie concernant la « distribution des pertes ». Les auteurs du rapport reconnaissent par exemple le fait que l’exécutif a intégré des réformes « tangibles » pour tenter d’assainir les finances publiques, des efforts « réels pour stimuler la croissance et la compétitivité » et une dimension « sociale » incarnée par le renforcement des filets de protection visant les personnes « les plus vulnérables ». Le département dirigé par Marwan Barakat estime cependant improbable que le FMI accorde l’ensemble des 10 milliards de dollars sur lesquels le gouvernement compte. La banque estime en outre qu’avant d’envisager un « bail-in » ou un haircut (une ponction sèche sur les dépôts), l’exécutif devrait d’abord mettre les actifs de l’État (infrastructures et propriétés immobilières notamment) sur la table pour rembourser une partie de la dette publique – dont les banques détiennent donc une partie. Elle suggère enfin la création d’un « fonds étatique » avec des « actifs publics en garantie ».
L’ABL ne compte en tout cas pas en rester là et a déjà annoncé être en train de préparer des propositions alternatives au plan, qui devraient être présentées lors d’une réunion de la commission des Finances et du Budget mercredi prochain spécialement consacrée au dossier. « Les organismes économiques, l’ABL ainsi que plusieurs autres organisations sectorielles participeront à la réunion aux côtés des députés qui sont nombreux à penser que certaines mesures envisagées par le gouvernement sont contre-productives », a déclaré le président de la commission Ibrahim Kanaan. Le député a déjà présidé deux réunions cette semaine consacrées au plan de redressement, dont une première lundi lors de laquelle le ministre des Finances, Ghazi Wazni, et celui de l’Économie et du Commerce, Raoul Nehmé, ont répondu aux questions des députés. « Il y a un consensus sur le fait qu’il faut revoir la façon dont les pertes du secteur bancaire ont été calculées », affirme-t-il.
Le Liban peut espérer 4 à 9 milliards de dollars du FMI, selon l’IFI
Réagissant à la publication du plan de redressement du gouvernement de Hassane Diab adopté la semaine passée, l’économiste en chef pour la zone du Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (MENA), Garbis Iradian, de l’Institut de la finance internationale (IFI), salue ce plan qui est, selon lui, « le premier à être exhaustif, honnête et ambitieux » depuis 1992. L’IFI est une association qui rassemble plusieurs grandes banques et institutions financières dans le monde.
L’expert, qui a travaillé près de 20 ans au FMI, estime cependant que l’aide à laquelle pourra prétendre le Liban – qui a officiellement demandé une aide à l’organisation la semaine dernière – ne pourra atteindre 10 milliards de dollars mais devrait osciller dans une fourchette allant de « 4,35 à 8,7 milliards de dollars durant une période de trois à quatre ans dans le cadre du mécanisme élargi de crédit (MEDC) du FMI ». Ce programme permet au Liban d’obtenir un financement entre cinq à dix fois son quota de 870 millions de dollars auquel il peut normalement aspirer en temps normal. Selon Garbis Iradian, les raisons de ce généreux prêt résident dans le déficit « exceptionnel » de la balance des paiements (15,5 milliards de dollars à fin 2019) qui implique des besoins de financement supérieurs à la « limite normale », entre autres facteurs. Le processus administratif pourrait prendre un mois, selon le chercheur. Il souligne de plus que les États-Unis, ayant une quote-part de 16,5 %, ne peuvent pas bloquer ce prêt.
Garbis Iradian prévient cependant que le FMI « demandera des clarifications » sur le contenu du plan, notamment en ce qui concerne les volets des mesures fiscales, du recouvrement des fonds pillés, de la lutte contre la corruption, ainsi que la restructuration du secteur bancaire qui nécessite, selon lui, « une analyse plus approfondie ».
M.A.
commentaires (9)
LEURS PROBLEMES ? LES BANQUES SONT SEULES A AVOIR ENCORE DES SOUS AVANCER ! JE VEUX DIRE A DEBOURSER !
Gaby SIOUFI
12 h 29, le 14 mai 2020