Maintenant que le Hezbollah a assoupli sa position et déclaré clairement accepter un recours au Fonds monétaire international, seule issue qui semble possible pour aider le Liban à sortir de la crise économique aiguë, la voie est-elle libre pour une intervention de cette instance ? Il est encore trop tôt pour l’affirmer, surtout que la formation chiite entretient le flou en indiquant qu’elle refusera les diktats de cette instance qui porteraient atteinte à la souveraineté nationale ou qui augmenteraient la grogne sociale.
En l’espace de quelques semaines, la position du parti a clairement évolué, puisque le 25 février dernier, son numéro deux, le cheikh Naïm Kassem, était encore catégorique : « Nous n’accepterons pas de nous soumettre aux instruments impérialistes… Nous n’acceptons pas de nous soumettre au FMI pour qu’il règle la crise », avertissait-il alors, tout en reconnaissant que son parti n’était pas opposé aux consultations alors en cours entre le gouvernement et une délégation de l’instance internationale.
Le 13 mars, le secrétaire général du parti Hassan Nasrallah se montrait beaucoup plus pragmatique. Entre-temps, l’Iran avait demandé l’aide du FMI pour faire face à l’épidémie de coronavirus et il était devenu clair que le gouvernement de Hassane Diab ne pourrait compter sur aucune aide, arabe ou autre, sans passer par l’instance internationale. En outre, l’étau financier se resserrait autour du Hezbollah, qui pâtit déjà des sanctions américaines, mais aussi en raison de la crise du coronavirus qui a pratiquement isolé le Liban. Tout en déclarant qu’il ne s’opposait plus à l’intervention du FMI, Hassan Nasrallah avait indiqué qu’il refuserait toute condition qui porterait atteinte à « la souveraineté nationale » ou « qui aboutirait à une explosion dans le pays », comme une augmentation drastique de la TVA.
Dans son discours télévisé hier, le chef du Hezbollah a été moins clair. « Nous ne sommes pas contre le principe que le Liban demande l’aide de quelque partie que ce soit, sauf des ennemis du Liban, a-t-il dit. Ce qui est inacceptable, c’est de se soumettre pieds et poings liés au FMI. » Il a souligné que le gouvernement allait entamer des négociations avec le FMI sur la base de son plan de redressement économique, affirmant soutenir ce plan mais soulignant qu’il pouvait être « discuté et amendé ». « Le gouvernement ne va pas livrer le pays au FMI (…), nous allons voir quelles sont les conditions et si le pays peut supporter ces conditions », a averti le numéro un du Hezbollah.
Pour l’analyste Kassem Kassir, proche des cercles du Hezbollah, « le parti fait preuve de la plus grande souplesse » en ces temps difficiles pour lui. « Il se montre pragmatique, tant que cela ne touche pas à ses choix stratégiques », ajoute-t-il, soulignant qu’en jurisprudence islamique, « la nécessité permet parfois le recours à ce qui est prohibé ».
La question des points de passage
Selon des sources politiques, les ministres proches du Hezbollah et du mouvement Amal auraient également affirmé, lors de la réunion du gouvernement jeudi dernier au cours de laquelle le plan de relance économique a été adopté et la décision de s’adresser au FMI prise, qu’ils ne s’opposaient pas à une intervention de l’instance internationale à condition qu’elle « ne porte pas atteinte à la souveraineté du Liban ».
Or c’est là que le bât blesse. Comment définir quelles conditions sont acceptables ou non ? Si le FMI, dont les États-Unis sont le plus important contributeur, n’imposent généralement pas de conditions politiques, il devra de toute évidence demander un contrôle absolu de l’État sur les rentrées fiscales, à commencer par les ports, aéroport et points de passage frontaliers.
Le secrétaire adjoint américain aux Affaires du Proche-Orient, David Schenker, a averti d’ailleurs, dans une déclaration au quotidien émirati The National vendredi, qu’il s’attendait à ce que les institutions internationales demandent des conditions rigoureuses dans la mise en œuvre du plan de réforme, ce qui nécessiterait un large soutien du spectre politique du pays. « Le Hezbollah n’est pas réputé pour son soutien aux réformes. Il s’agit d’une organisation qui finance ses activités par le biais de de la corruption et de l’argent illicite… La fermeture des points de passage qui permettent d’engranger des revenus ne va pas être appréciée par tous au Liban », a affirmé M. Schenker.
Interrogée par L’Orient-Le Jour, une source proche du Hezbollah souligne que le parti a clairement indiqué au Premier ministre Diab « ne pas être opposé au recours au FMI à condition qu’il n’impose pas, par exemple, des mesures politiques comme une délimitation des frontières (avec Israël) ou des hausses drastiques de taxes ou des prix qui alimenteraient la grogne sociale ». En cas d’intervention du FMI, « le parti décidera de sa position au cas par cas », ajoute cette source, soulignant par exemple son opposition à la privatisation du secteur de l’électricité. Une façon pour le parti de conserver une certaine marge de manœuvre. « La plupart des points de passage avec la Syrie sont actuellement fermés », souligne cette source proche du parti, qui affirme que « de toute façon le Hezbollah ne se livre pas à la contrebande ». « Il utilise un ou deux passages pour la circulation des combattants se rendant en Syrie et des armes et l’État le sait parfaitement », ajoute-t-elle.
Le mois dernier, un drone israélien avait d’ailleurs visé un véhicule à bord duquel se trouvaient des membres du Hezbollah à la frontière libano-syrienne, sans faire de victime. L’attaque s’était produite à Jdeidet Yabous, en territoire syrien, juste après le poste-frontière libanais de Masnaa, officiellement fermé depuis le 15 mars pour contenir la pandémie de coronavirus. L’une des routes empruntées par le Hezbollah pour acheminer hommes et équipements en Syrie, où il combat aux côtés du régime, passe justement à côté du poste-frontière de Masnaa et arrive à Jdeidet Yabous, selon des sources locales.
La source proche du Hezbollah assure que le parti n’est lié à aucun trafic via le port ou l’aéroport. Mais serait-il disposé à ne plus jouir de ses entrées à l’Aéroport international de Beyrouth, alors que ses finances s’assèchent ? Pas plus tard que la semaine dernière, et selon le rapport officiel quotidien des mouvements de l’aéroport, un avion privé est arrivé en provenance de Téhéran, avec 99 personnes à bord … et beaucoup de devises en liquide, croient savoir des sources informées.
LE HEZBOLLAH NE SE LIVRE PAS A LA CONTREBANDE... QUELLE BLAGUE !
08 h 31, le 05 mai 2020