Après des mois de relations en dents de scie, le leader du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, s’est rendu hier au palais de Baabda pour y rencontrer le chef de l’État, Michel Aoun. Il s’agit de la toute première rencontre entre les deux hommes depuis leur déjeuner « familial » à Beiteddine le 24 août 2019, soit quinze jours après la réconciliation entre M. Joumblatt et son adversaire sur la scène druze, Talal Arslane, à la suite des incidents de Qabr Chmoun, le 30 juin de la même année. La réunion intervient aussi après une longue période de rapports troublés, voire même gelés, entre Moukhtara et Baabda. Pendant plusieurs mois, Walid Joumblatt avait critiqué aussi bien le mandat Aoun et le Courant patriotique libre que le gouvernement de Hassane Diab, notamment en ce qui concerne l’approche du gouvernement face à la crise économique.
C’est donc dans le but de « gérer le conflit » avec le CPL que M. Joumblatt a rencontré Michel Aoun, comme il l’a déclaré à l’issue de l’entretien. « Un médiateur m’a rendu visite la semaine dernière et m’a demandé si je pouvais rencontrer le président Aoun. Et je lui ai dit que j’étais prêt », a souligné M. Joumblatt, avant d’ajouter : « Il est vrai que nos rapports avec le CPL sont perturbés, mais nous œuvrons pour les améliorer, ou du moins gérer notre conflit, d’une manière non impulsive. Ainsi nous pourrons converger sur les points communs tout en gardant nos divergences. »
Une source bien informée confie dans ce cadre à L’Orient-Le Jour qu’au cours des dernières semaines, M. Joumblatt a reçu plusieurs émissaires de la part du chef de l’État. Dans certains milieux, on évoquait hier le nom de Farid Boustani, député aouniste du Chouf, ainsi que celui de la ministre de la Défense, Zeina Acar. Selon la même source, le leader druze a profité de ces rencontres pour assurer qu’il maintiendrait son positionnement d’opposant et continuerait à critiquer les erreurs du pouvoir quand il le juge nécessaire. Il a ainsi fait savoir à ses interlocuteurs qu’il s’oppose par exemple à toute ponction qui porterait atteinte à l’épargne des déposants, confie encore la source, insistant sur l’importance d’adopter un discours politique calme, afin de garder la Montagne druzo-chrétienne à l’abri de tout regain de tensions à caractère confessionnel.
La rencontre d’hier ne signifie toutefois pas que les candidats appuyés par le PSP seront choisis dans le cadre des nominations financières, un dossier que le Conseil des ministres devrait aborder prochainement après plusieurs mois d’atermoiements en raison de la futile logique de partage du gâteau. Sur ce point, Walid Joumblatt a déclaré hier : « Quand j’avais de bonnes relations avec le gouvernement, je n’avais rien demandé. Mais j’ai été interrogé au sujet des nominations des vice-gouverneurs de la banque centrale et au sein de la police judiciaire. Malheureusement, les noms que j’avais proposés n’ont pas été retenus. Qu’ils nomment les candidats qu’ils veulent. »
Évoquant le gouvernement, M. Joumblatt a exclu la formation d’une nouvelle équipe ministérielle, jugeant inopportune une telle démarche, dans la mesure où elle requiert beaucoup de temps. « Et au vu des crises sociales et économiques, doublées de celle du coronavirus, je ne crois pas que ce soit le bon moment pour former un nouveau cabinet », a-t-il ajouté.
M. Joumblatt s’est par ailleurs félicité de la décision gouvernementale de recourir au Fonds monétaire international pour redresser l’économie nationale. « On m’a dit que les 500 millions de dollars (de la part du FMI) destinés à venir en aide aux familles les plus défavorisées sont toujours disponibles », a déclaré le chef du PSP, appelant à élargir le mécanisme établi à cette fin par le ministère des Affaires sociales, pour élargir le spectre des bénéficiaires de ces aides.
La rencontre de Baabda
À la question de savoir si sa visite au palais présidentiel a été coordonnée avec le Futur et les Forces libanaises, M. Joumblatt a répondu d’un ton catégorique : « Les alliances bilatérales et tripartites ne me concernent pas. J’ai mes propres calculs, avec tout le respect que je dois au chef du Futur, Saad Hariri, et à celui des FL, Samir Geagea. » Une façon pour lui d’exclure la mise en place d’un front d’opposition unifié, du moins pour le moment.
Mais il reste que M. Joumblatt, tout comme M. Hariri, ne prendra pas part à la rencontre élargie prévue demain à Baabda, pour exposer aux chefs de file politiques le plan de redressement économique approuvé en Conseil des ministres, jeudi dernier. Une source proche de la présidence confie que M. Joumblatt a invoqué des raisons de santé pour ne pas participer à la réunion, mais qu’il entend toutefois envoyer ses remarques concernant le projet gouvernemental à Michel Aoun.
Entre-temps, les pôles du pouvoir déploient des efforts pour assurer un climat favorable à la rencontre de Baabda. Le Premier ministre Hassane Diab s’est ainsi entretenu avec le président de la Chambre, Nabih Berry, à Aïn el-Tiné, hier. L’occasion pour les deux hommes de paver la voie à une coordination qui devrait faciliter la mise en application du plan gouvernemental.
commentaires (4)
Il faut faire attention que ces 500 millions de dollars n'aillent pas au main du Hezbollah ?
Eleni Caridopoulou
18 h 28, le 05 mai 2020