De nouveaux heurts ont opposé, mardi soir à Tripoli, l'armée aux manifestants qui ont relancé leur mobilisation pour dénoncer une inflation galopante et une dépréciation sans précédent de la monnaie nationale, en pleine pandémie du coronavirus. Ailleurs à travers le pays, notamment devant le siège de la Banque du Liban (BDL) à Beyrouth et à Saïda les protestations commencent également à gagner en ampleur.
Mardi dans la journée, la tension était remontée d'un cran après l'annonce de la mort d'un manifestant, Fawaz Fouad Samman, 26 ans, qui a succombé à des blessures par balles, infligées la veille, lors d'affrontements entre manifestants et forces de l'ordre.
L'Agence nationale d'information (Ani, officielle) a rapporté mardi soir que de "violents affrontements" entre des manifestants et l’armée libanaise avaient lieu sur la place al-Nour. Les militaires ont eu recours à des balles en caoutchouc et des bombes lacrymogènes pour disperser les manifestants se trouvant sur la place. Les militaires se sont également lancés à la poursuite d'individus ayant commis des actes de vandalisme contre des véhicules de l’armée. Ces incidents ont fait des blessés dans les rangs de la troupe comme des manifestants.
Sur son compte Twitter, la Croix-Rouge libanaise a indiqué avoir dépêché 11 équipes sur place. Six blessés ont été transportés à l'hôpital et 30 ont été secourus sur place, a-t-elle précisé autour de une heure du matin.
مظاهرات طرابلس: رفع عدد الفرق المستجيبة إلى ١١ فرقة. تم نقل ٦ جرحى إلى المستشفيات حتى الان بالإضافة إلى إسعاف ٣٠ مصاب pic.twitter.com/8MeTkWiqHj
— Lebanese Red Cross (@RedCrossLebanon) April 28, 2020
Avant que la tension ne monte sur la place al-Nour, l'Ani avait rapporté que des manifestants avaient jeté des pierres sur la résidence de l'ancien Premier ministre Nagib Mikati à Mina. L'armée et les forces de sécurité, fortement déployées, ont alors lancé des bombes lacrymogènes pour disperser les manifestants. Des protestataires ont brisé les façades d'agences bancaires se trouvant à proximité. D'autres sillonnaient à mobylette les rues de la ville. Dans un contexte de restrictions bancaires draconiennes et de chute de la livre libanaise, les banques de même que la banque centrale sont dans le collimateur de certains contestataires.
Cocktails Molotov à Saïda
De l'autre côté du pays, à Saïda (sud), alors que, précisément, un rassemblement avait commencé dans le calme devant le siège de la Banque du Liban, la situation a dégénéré un peu plus tard lorsque des manifestants ont lancé des pétards, puis des cocktails Molotov en direction du bâtiment.
Les protestataires ont lancé près d'une dizaines de cocktails Molotov, sur la place face au bâtiment de la BDL, ce qui a provoqué de petits incendies et poussé l'armée à intervenir, rapporte notre correspondant sur place Mountasser Abdallah. Avant cela, le jet de pétards avait provoqué des échauffourées avec les forces de l’ordre faisant des blessés.
Selon l'Ani, des protestataires ont détruit les façades de plusieurs agences bancaires dans la ville du sud, notamment celles de Bank Audi et Bankmed. Toujours selon l’Ani, un soldat de l’armée libanaise a également été blessé par des jets de pierres dans le marché de Saïda.
En début de soirée, des dizaines de jeunes avaient allumé des bougies à même le sol à la mémoire du manifestant décédé à Tripoli. Ils ont scandé des slogans contre la BDL, son gouverneur Riad Salamé et contre l'armée. "Pourquoi Fawaz est mort, ce sont les balles de l'armée qui l'ont tué", ont-il crié.
Jets de pierre à Beyrouth
A Beyrouth, des manifestants se sont également rassemblés devant le siège de la Banque du Liban avant de marcher dans les rues de Hamra en scandant des slogans contre Riad Salamé. Ils se sont ensuite rendus à Corniche Mazraa, Béchara Khoury, la place des Martyrs, la place Riad el-Solh avant de retourner devant le siège de la BDL contre lequel ils ont lancé des pierres. Les forces de l’ordre se sont déployées sur les lieux.
Enfin, plusieurs routes ont de nouveau été coupées à travers le pays : celles de Kfarzabad et Rachaya, Masnaa dans la Békaa, la route de Khaldé en direction de Naamé dans le Sud, et la route Halba-Kobeyate dans le Nord.
Face à la crise économique inédite depuis la fin de la guerre civile (1975-1990) et malgré les restrictions imposées face au coronavirus, la mobilisation populaire déclenchée initialement le 17 octobre 2019 a repris il y a quelques jours contre le pouvoir, accusé de corruption et d'incompétence.
La crise économique a été le principal catalyseur en octobre 2019 d'un soulèvement inédit contre une classe politique inchangée depuis des décennies. Elle s'est amplifiée avec les restrictions imposées par les banques qui refusaient tout virement à l'étranger et les retraits en dollars. Les établissements bancaires sont accusés par la rue de complicité avec le pouvoir et d'avoir contribué à l'endettement public effréné et à la faillite de l’État. Tout cela a été aggravé par les mesures préventives contre la propagation du virus, qui ont paralysé un pays où sont officiellement recensés 717 cas, dont 24 décès.
En quelques semaines, la livre libanaise, indexée sur le dollar depuis 1997, a perdu énormément de sa valeur face au billet vert au marché noir, dépassant le seuil des 4.000 livres pour un dollar. Le taux officiel de 1.507 livres reste inchangé. L'inflation est quotidiennement dénoncée sur les réseaux sociaux, les prix de certains produits alimentaires ayant quasiment doublé, voire triplé. Le gouvernement affirme travailler sur un plan de relance économique qui n'a toujours pas été finalisé.
La devise libanaise semble fluctuer au seul gré des humeurs ...
03 h 25, le 06 juin 2021