La première ébauche du plan de sortie de crise du gouvernement a constitué un choc pour la majorité des Libanais. Déjà confrontés à une grave détérioration de leurs revenus et la perte de leur épargne, ils ont plus que jamais perdu confiance dans les autorités, et seules les mesures de confinement face à l’épidémie de coronavirus a contenu en partie leur colère.
Ce document traduit une reconnaissance officielle de l’ampleur des pertes subies par l’économie libanaise et constitue par conséquent une première étape importante. Sortir du déni ne suffit toutefois pas. Sortir de la crise suppose une transition politique et un changement structurel du système qui a causé cet effondrement.
Pertes historiques
Les pertes subies par le Liban sont en effet sans précédent, confirmant les mises en garde émises depuis des années par Kulluna Irada et de nombreux experts. Les citoyens ont le droit d’en connaître l’ampleur en toute transparence et objectivité. Le déni n’a fait qu’accentuer le niveau des pertes : chaque jour d’inaction exacerbe cette crise. Ces pertes sont dues aux multiples défaillances du système financier et économique du pays, résultant d’années de mauvaise gestion des fonds publics, auxquelles s’ajoute un trou sans précédent dans le bilan de la Banque centrale (BDL). Masqué pendant des années, ce trou s’élève à plus de 40 milliards de dollars (un chiffre bien supérieur au PIB). Cela sans que les différents ministres des Finances, gouvernements et législatures qui se sont succédé aux responsabilités n’aient tenté de questionner les décisions de politiques monétaires de la BDL ou de lui réclamer des comptes.
Comme le souligne le document gouvernemental, la crise que subit le Liban lui est imputable à lui seul, pas à des facteurs externes. Pour accompagner le diagnostic, il est donc tout aussi important d’identifier clairement les bénéficiaires et les perdants du système en vigueur depuis la fin de la guerre qui a produit des transferts massifs de richesses, créé des inégalités record, et nous a conduit à la crise actuelle. Ce processus devra commencer par un audit indépendant des comptes de la BDL et des finances publiques.
Trois mois après sa formation, nous attendons du gouvernement qu’il démontre sa capacité à prendre des mesures audacieuses et décisives de nature à produire un changement structurel, à rétablir la confiance dans les institutions et permettre l’acceptation des sacrifices qui seront nécessaires, au nom de la construction de l’État. Sans entrer dans certains détails techniques que nous serons amenés à commenter ultérieurement, nous estimons que le plan de sauvetage doit s’appuyer sur des principes fondamentaux, dans le cadre d’un nouveau contrat social basé sur la justice sociale et le respect des droits et devoirs mutuels entre l’État et ses citoyens.
Justice sociale
Ce plan devra tout d’abord traduire une vision globale et stratégique permettant d’assurer le progrès de la société libanaise et la construction d’institutions étatiques fortes et au service de tous les citoyens. Cela nécessite une réelle volonté politique pour mettre en œuvre avec succès cette vision. Il faudra pour cela impérativement renoncer aux pratiques d’un système confessionnel basé sur le népotisme, le clientélisme et les quotas, et construire un État de droit. Cela commence par l’application effective de l’article 95 de la Constitution, qui prévoit l’adoption de critères de compétence pour l’octroi de fonctions publiques et interdit de réserver une fonction quelconque à une communauté déterminée ; ainsi que l’adoption rapide d’une loi sur l’indépendance et la transparence du pouvoir judiciaire.
Le plan devra en outre assurer en priorité la garantie des droits fondamentaux des citoyens, en particulier les droits économiques et sociaux garantis par la Constitution et les traités internationaux – et notamment le droit de tous les citoyens de bénéficier de la Sécurité sociale, le droit à la santé et à l’éducation, et le droit à un niveau de vie décent. Cela impose une réforme structurelle des institutions publiques.
Il est également crucial que ce plan de sauvetage protège les droits des petits déposants, l’épargne sociale des caisses professionnelles et les fonds de la Caisse nationale de Sécurité sociale. Comme il est dit justement dans le document du gouvernement, il est impensable de faire porter le fardeau des pertes passées sur les générations futures. Par conséquent, nous rejetons les appels à la vente d’actifs de l’État pour couvrir toutes les pertes du secteur bancaire et indemniser les gros déposants. Cette solution n’est ni réaliste, au regard de l’ampleur des pertes, ni acceptable, dans la mesure où elle ferait reposer le sauvetage du secteur bancaire sur l’ensemble des citoyens et des contribuables. Or plus de la moitié des Libanais n’ont pas de comptes bancaires et l’essentiel des autres épargnants sont de petits déposants (moins de 25 000 comptes bancaires dépassent 1 million de dollars).
Par ailleurs, si l’insuffisance des ressources nationales confirme la nécessité d’un financement extérieur pour assurer le succès de tout plan de sauvetage, cette aide ne saurait être consacrée à la compensation des pertes liées à un effondrement financier résultant d’années de mauvaise gestion. Depuis la crise financière de 2008, plusieurs pays ont renoncé à soutenir des systèmes financiers défaillants avec l’argent des contribuables.
Compte tenu de l’ampleur des pertes subies, la reprise de la croissance ne pourra être assurée sans la restructuration et l’assainissement inévitables du secteur bancaire libanais. Conformément aux propositions spécifiques que nous avons émises avec d’autres experts à ce sujet le mois dernier, ce processus devra notamment assurer la recapitalisation des banques, la fusion de certaines d’entre elles ainsi que la réforme des instances de régulation et la refonte du cadre réglementaire du secteur.
Enfin l’assainissement nécessaire des finances publiques supposera de respecter les procédures budgétaires prévues par la Constitution, de renoncer au secret bancaire absolu, de réformer l’administration publique et le système fiscal, et de rationaliser les dépenses publiques, dans le cadre d’une vision stratégique visant à assurer l’efficience du secteur public tout en réalisant la justice sociale.
par Kulluna Irada, organisation non gouvernementale fondée et exclusivement financée par des Libanais résidant au pays ou à l’étranger.
Merci pour cette analyse, très pertinente. Mais pour que vous puissiez influencer la politique libanaise, il faudrait oser se lancer dans le processus démocratique. Messieurs les responsables de cette organisation fort respectable, vous devriez constituer un parti politique, de présenter un programme et de l’assumer devant nous, le peuple du Liban. Rester au niveau de l’analyse « il faut, il faut, il faut... » est inutile. Êtes vous capables de nous faire rêver autrement?
12 h 42, le 02 mai 2020