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Idées - Économie

Le sauvetage du Liban passe par un nouveau contrat social

Une réunion du Conseil des ministres au palais de Baabda, le 19 mars 2020. Photo Dalati et Nohra

La première ébauche du plan de sortie de crise du gouvernement a constitué un choc pour la majorité des Libanais. Déjà confrontés à une grave détérioration de leurs revenus et la perte de leur épargne, ils ont plus que jamais perdu confiance dans les autorités, et seules les mesures de confinement face à l’épidémie de coronavirus a contenu en partie leur colère.

Ce document traduit une reconnaissance officielle de l’ampleur des pertes subies par l’économie libanaise et constitue par conséquent une première étape importante. Sortir du déni ne suffit toutefois pas. Sortir de la crise suppose une transition politique et un changement structurel du système qui a causé cet effondrement.


Pertes historiques

Les pertes subies par le Liban sont en effet sans précédent, confirmant les mises en garde émises depuis des années par Kulluna Irada et de nombreux experts. Les citoyens ont le droit d’en connaître l’ampleur en toute transparence et objectivité. Le déni n’a fait qu’accentuer le niveau des pertes : chaque jour d’inaction exacerbe cette crise. Ces pertes sont dues aux multiples défaillances du système financier et économique du pays, résultant d’années de mauvaise gestion des fonds publics, auxquelles s’ajoute un trou sans précédent dans le bilan de la Banque centrale (BDL). Masqué pendant des années, ce trou s’élève à plus de 40 milliards de dollars (un chiffre bien supérieur au PIB). Cela sans que les différents ministres des Finances, gouvernements et législatures qui se sont succédé aux responsabilités n’aient tenté de questionner les décisions de politiques monétaires de la BDL ou de lui réclamer des comptes.

Comme le souligne le document gouvernemental, la crise que subit le Liban lui est imputable à lui seul, pas à des facteurs externes. Pour accompagner le diagnostic, il est donc tout aussi important d’identifier clairement les bénéficiaires et les perdants du système en vigueur depuis la fin de la guerre qui a produit des transferts massifs de richesses, créé des inégalités record, et nous a conduit à la crise actuelle. Ce processus devra commencer par un audit indépendant des comptes de la BDL et des finances publiques.

Trois mois après sa formation, nous attendons du gouvernement qu’il démontre sa capacité à prendre des mesures audacieuses et décisives de nature à produire un changement structurel, à rétablir la confiance dans les institutions et permettre l’acceptation des sacrifices qui seront nécessaires, au nom de la construction de l’État. Sans entrer dans certains détails techniques que nous serons amenés à commenter ultérieurement, nous estimons que le plan de sauvetage doit s’appuyer sur des principes fondamentaux, dans le cadre d’un nouveau contrat social basé sur la justice sociale et le respect des droits et devoirs mutuels entre l’État et ses citoyens.

Justice sociale

Ce plan devra tout d’abord traduire une vision globale et stratégique permettant d’assurer le progrès de la société libanaise et la construction d’institutions étatiques fortes et au service de tous les citoyens. Cela nécessite une réelle volonté politique pour mettre en œuvre avec succès cette vision. Il faudra pour cela impérativement renoncer aux pratiques d’un système confessionnel basé sur le népotisme, le clientélisme et les quotas, et construire un État de droit. Cela commence par l’application effective de l’article 95 de la Constitution, qui prévoit l’adoption de critères de compétence pour l’octroi de fonctions publiques et interdit de réserver une fonction quelconque à une communauté déterminée ; ainsi que l’adoption rapide d’une loi sur l’indépendance et la transparence du pouvoir judiciaire.

Le plan devra en outre assurer en priorité la garantie des droits fondamentaux des citoyens, en particulier les droits économiques et sociaux garantis par la Constitution et les traités internationaux – et notamment le droit de tous les citoyens de bénéficier de la Sécurité sociale, le droit à la santé et à l’éducation, et le droit à un niveau de vie décent. Cela impose une réforme structurelle des institutions publiques.

Il est également crucial que ce plan de sauvetage protège les droits des petits déposants, l’épargne sociale des caisses professionnelles et les fonds de la Caisse nationale de Sécurité sociale. Comme il est dit justement dans le document du gouvernement, il est impensable de faire porter le fardeau des pertes passées sur les générations futures. Par conséquent, nous rejetons les appels à la vente d’actifs de l’État pour couvrir toutes les pertes du secteur bancaire et indemniser les gros déposants. Cette solution n’est ni réaliste, au regard de l’ampleur des pertes, ni acceptable, dans la mesure où elle ferait reposer le sauvetage du secteur bancaire sur l’ensemble des citoyens et des contribuables. Or plus de la moitié des Libanais n’ont pas de comptes bancaires et l’essentiel des autres épargnants sont de petits déposants (moins de 25 000 comptes bancaires dépassent 1 million de dollars).

Par ailleurs, si l’insuffisance des ressources nationales confirme la nécessité d’un financement extérieur pour assurer le succès de tout plan de sauvetage, cette aide ne saurait être consacrée à la compensation des pertes liées à un effondrement financier résultant d’années de mauvaise gestion. Depuis la crise financière de 2008, plusieurs pays ont renoncé à soutenir des systèmes financiers défaillants avec l’argent des contribuables.

Compte tenu de l’ampleur des pertes subies, la reprise de la croissance ne pourra être assurée sans la restructuration et l’assainissement inévitables du secteur bancaire libanais. Conformément aux propositions spécifiques que nous avons émises avec d’autres experts à ce sujet le mois dernier, ce processus devra notamment assurer la recapitalisation des banques, la fusion de certaines d’entre elles ainsi que la réforme des instances de régulation et la refonte du cadre réglementaire du secteur.

Enfin l’assainissement nécessaire des finances publiques supposera de respecter les procédures budgétaires prévues par la Constitution, de renoncer au secret bancaire absolu, de réformer l’administration publique et le système fiscal, et de rationaliser les dépenses publiques, dans le cadre d’une vision stratégique visant à assurer l’efficience du secteur public tout en réalisant la justice sociale.

par Kulluna Irada, organisation non gouvernementale fondée et exclusivement financée par des Libanais résidant au pays ou à l’étranger.


La première ébauche du plan de sortie de crise du gouvernement a constitué un choc pour la majorité des Libanais. Déjà confrontés à une grave détérioration de leurs revenus et la perte de leur épargne, ils ont plus que jamais perdu confiance dans les autorités, et seules les mesures de confinement face à l’épidémie de coronavirus a contenu en partie leur colère.Ce document...

commentaires (9)

Merci pour cette analyse, très pertinente. Mais pour que vous puissiez influencer la politique libanaise, il faudrait oser se lancer dans le processus démocratique. Messieurs les responsables de cette organisation fort respectable, vous devriez constituer un parti politique, de présenter un programme et de l’assumer devant nous, le peuple du Liban. Rester au niveau de l’analyse « il faut, il faut, il faut... » est inutile. Êtes vous capables de nous faire rêver autrement?

Eid Gaby

12 h 42, le 02 mai 2020

Tous les commentaires

Commentaires (9)

  • Merci pour cette analyse, très pertinente. Mais pour que vous puissiez influencer la politique libanaise, il faudrait oser se lancer dans le processus démocratique. Messieurs les responsables de cette organisation fort respectable, vous devriez constituer un parti politique, de présenter un programme et de l’assumer devant nous, le peuple du Liban. Rester au niveau de l’analyse « il faut, il faut, il faut... » est inutile. Êtes vous capables de nous faire rêver autrement?

    Eid Gaby

    12 h 42, le 02 mai 2020

  • Kulluna Irada : merci pour cet article , je vous signale en passent que tous les hommes politiques au Liban connaissent ca mais leurs religions;... leurs interdit de l appliquer.au Liban tu as un dollar tu vas un dollar tu une livre tu ne vaux rien

    youssef barada

    13 h 42, le 26 avril 2020

  • Puisque nous sommes dans la politique du « il faut ». Il faut et il suffit d’assainir nos institutions publiques de tous les parasites qui pullulent et qui touchent des salaires pour des emplois fictifs parce que alliés de certains zaims. Il faut annuler les nominations de tous les sbires des zaims aux postes clés de l’état. Il faut une justice indépendante qui puisse se pencher sur les dossiers louches qu’on traine comme un boulet de gouvernement en gouvernement. Il faut qu’il n’y est qu’un seul état dans notre pays ainsi qu’une seule armée et forces de l’ordre au service du peuple dans le but de le protéger les citoyens et les frontières, et non des voyous en treillis ou en civil qui ne sont là que pour l’humilier et le tabasser pour protéger leurs chefs qui en fin de compte les paient avec l’argent de ce même peuple qu’on opprime. Enfin il faut un président fort et non une chiffe molle qui est suspendue aux lèvres de ceux l’ont placé dans son fauteuil et qui sont à la solde d’autres états pour exécutez les ordres et détruire le pays. Et c’est valable aussi pour le gouvernement et son chef. Ainsi va la démocratie et rien ni aucun plan ne sauverait le pays tant que ces conditions ne sont assurées.

    Sissi zayyat

    13 h 08, le 26 avril 2020

  • (suite) Est ce que vous connaissez dans le détail les montants exacts des soit disant 25000 épargnants qui possèdent plus de 1 M$ . Je vous fais remarquer qu’entre posséder 1M et 100M ou plus, il y a une sacrée différence que vos esprits n’arrivent peut être pas à capter. De plus, de quel droit vous vous permettez de faire supporter à ces déposants les vols et les gaspillages des gouvernants passés. Réclamez des comptes à ceux là et non pas aux honnêtes citoyens qui ont travaillé durant des années pour accumuler un capital nécessaire à leur retraite car si vous ne le savez pas, au Liban, quand on arrête de travailler on n’a plus aucune rentrée (pas de retraite dans le secteur privé) et aucune couverture sociale. Alors restez où vous êtes bien planqués à l’étranger et gardez vos conseils pour vous. L’Etat doit non seulement vendre ses actifs mais il doit être dissous dans toutes ses institutions et le pays doit être mis sous tutelle internationale pour être reconstitué

    Lecteur excédé par la censure

    12 h 28, le 26 avril 2020

  • Il faut..., il faut...., il faut..., mais faites donc au lieu d’écrire des articles savants. Si vous êtes tous de bonne volonté surtout ceux qui résident à l’étranger, retournez au pays et faites appliquer ce programme. Cependant je ne comprends pas d’où vous tenez cette statistique que seules 25000 personnes possèdent des comptes de plus de 1 million de dollars. Il y a le secret bancaire au Liban, une même personne peut détenir des comptes dans différentes banques et celles ci ne sont pas autorisees à publier des statistiques. Revoyez un peu votre copie et mettez vous au boulot au lieu de donner des conseils candides

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 39, le 26 avril 2020

  • ORGANISATION NON GOUVERNEMENTALE FINANCEE PAR LES LIBANAIS RESIDENTS ET DE LA DIASPORA NE PREND PAS PARTIE AVEC LES PREDATEURS BANQUIERS ET LES CORROMPUS VOLEURS ET SUGGERE LE HAIRCUT DES ECONOMIES DES DEPOSANTS. VOUS ETES DES COMPLICES DES GRANDS REQUINS QUI VEULENT VOLER LES DEPOTS DES GENS. VOUS NE PROPOSEZ QUE DES PIPEAUX !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 28, le 26 avril 2020

  • les coupables -plus besoin de les nommer dorenavant-sont beaucoup plus malins que ce que mr Diab a pu penser d'eux. entre autre piege qu'ils avaient tendu aux citoyens & autres deposants fut de l'allecher par des interets interressants tout en executant leur plan diabolique. ces memes criminels ne baisseront jamais les bras. Mais pour en revenir aux souhaits et conseils des uns et des autres -tous judicieux QUI VA POUVOIR EXECUTER ET FAIRE ABOUTIR CES PLANS DE SAUVETAGE?

    Gaby SIOUFI

    17 h 05, le 25 avril 2020

  • Les changements ont 2 modèles : La Magna Carta ou la Révolution style américaine ou française... Malheureusement et vu la situation économique...l'option Magna Carta semble dépassée...

    Wlek Sanferlou

    15 h 58, le 25 avril 2020

  • Intéressant, mais beaucoup de raccourcis rendent ce point de vue très partial. Il faut protéger le peuple ET les déposants, ne pas mettre les intérêts des uns contre les intérêts des autres. La justice s’applique à tous, riches et pauvres. Sans quoi il s’agira d’une nouvelle spoliation ... Une justice indépendante doit être la Première Pierre de la reconstruction! Il y a aussi des tabous à faire tomber en ce qui concerne le fonds de recouvrement que l’état peut mettre en place pour sauver les déposant, autrement dit la classe moyenne au Liban et la diaspora, piliers de l’économie d’hier et de demain. Enfin et en attendant, il faudrait une attention, particulière et urgente, à éviter l’effondrement économique et celui de la LL, à l’image des plans anti COVID menés dans tous les pays afin de sauver entreprises et emplois. Un fond de stabilisation d’un milliard de dollars doit aider urgemment les entreprises à importer les matières premières nécessaires à leur production; une petite partie de la plus-value constatée sur l’or suffirait à garantir ce milliard. Un autre tabou à faire tomber.

    Sam

    08 h 07, le 25 avril 2020

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