Rechercher
Rechercher

Culture - Installation

« Alien Property » de Rayyane Tabet, une exposition « piège qui questionne l’histoire du Met »

À la suite de son grand succès, l’exposition de l’artiste libanais dans les trois galeries de l’Ancient Near Eastern Art du musée new-yorkais a été prolongée jusqu’en janvier 2021, tout en étant actuellement visible en ligne. Unique en son genre, elle raconte l’intrigante histoire du détournement des découvertes archéologiques faites à Tell Halaf, en 1911-1912, par le baron Max von Oppenheim.

En réalisant les frottages au charbon de bois (représentés sur cette photo), Rayyane Tabet essaie de reconstituer ce que fut autrefois la frise du palais de Tell Halaf. Photo DR

Alors que la pandémie du coronavirus frappe la planète, les grands musées, à travers le monde, tendent à proposer des visites virtuelles via leurs sites web. C’est le cas du Metropolitan Museum of Art (The Met) qui permet de découvrir en sons et en images l’exposition de Rayyane Tabet, Alien Property, qui occupe trois des galeries de l’Ancient Near Eastern Art du musée new-yorkais. L’événement, qui a remporté un vif succès, a été prolongé jusqu’en janvier 2021. Unique en son genre, cette exposition raconte l’intrigante histoire du détournement des découvertes archéologiques faites à Tell Halaf, en 1911-1912, par le baron Max von Oppenheim (1860–1946). Cet archéologue allemand, qui officiait également en tant que banquier et diplomate basé au Caire, était chargé d’établir un itinéraire pour le futur chemin de fer Bagdad-Berlin. L’exposition de Rayyane Tabet permet de réfléchir sur certaines questions complexes du patrimoine culturel mondial, notamment le rôle passé et présent des musées et institutions internationaux.Les excavations de Tell Halaf, un site archéologique néohittite spectaculaire situé à proximité de l’actuelle frontière turco-syrienne, près de Hassaké, ont mis au jour d’importantes découvertes archéologiques dont la célèbre Vénus et 194 orthostates ou reliefs en basalte, en argile et en pierre, qui ornaient la paroi extérieure nichée du temple-palais du roi araméen Kapara (XIIe-XVIIIe siècle avant J-C). L’archéologue allemand avait installé sa part du magnifique passé dans un musée Tell Halaf à Berlin, construit avec ses fonds personnels. Ces trésors ont été détruits en partie par les bombardements durant la Seconde Guerre mondiale, volés et dispersés dans les collections des musées et institutions internationaux.

Trente-neuf orthostates ont fini au musée d’Alep, quatorze autres ont été vendus en 1920 au British Museum. En 1930, le baron Max von Oppenheim avait tenté, en vain, de vendre huit reliefs aux États-Unis. En 1943, les autorités américaines les ont confisqués, sous l’autorité de l’Office of Alien Property Custodian, une agence établie lors de la Première Guerre mondiale puis lors de la Seconde Guerre mondiale servant de gardien des biens appartenant à des ennemis américains. Peu de temps après, le Met acquiert auprès de cette institution quatre orthostates qui se trouvent depuis dans sa collection.À signaler qu’un incroyable travail de restauration, mené par le Pergamon Museum au début des années 2000, a permis de reconstituer une partie de ces sculptures à partir de 27 000 pièces retrouvées.

Stratégie parafictionnelle

Rayyane Tabet a conçu son exposition Alien Property comme un récit parafractionnel mettant en relief une vingtaine d’œuvres d’art et objets de fouilles excavés par le baron allemand à Tell Halaf au début du XXe siècle, parmi lesquels donc, cette célèbre Vénus néohittite détruite pendant la Seconde Guerre mondiale et reconstruite entre 2001 et 2009. Cette pièce monumentale prêtée par le musée Vorderasiatisches de Berlin trône dans la galerie des bas-reliefs assyriens. L’exposition se compose de deux vitrines d’archives provenant de la collection personnelle de l’artiste et de celle du Met, de quatre orthostates et de trente-deux frottages au charbon de bois de la frise originale du palais, correspondant aux orthostates répartis dans les collections et musées à Berlin, Paris, Londres, Baltimore, Alep, Deir ez-Zor et New York, et d’une partie « généalogie » qui est un point affectif personnel de l’artiste.

En réalisant les frottages au charbon de bois, Rayyane Tabet essaie de reconstituer ce que fut autrefois la frise du palais de Tell Halaf. En raison de l’inaccessibilité des reliefs – le plus souvent à cause de vols, conflits ou destruction –, l’artiste, qui a une connaissance approfondie du site et de son histoire avec une nouvelle approche pour relier l’ancien et le contemporain, a compris que la reconstitution de la frise était une « saga de mémoire de l’histoire ancienne ». En fin de compte, les efforts de Rayyane Tabet ne visent pas à créer une copie ou un substitut qui possède l’intégralité et la cohérence de la frise originale, mais plutôt à assembler la combinaison d’impressions et d’absences qui constituent son existence actuelle. L’un des effets les plus puissants de ses efforts pour recomposer cette frise à travers les frottages de charbon de bois est de brouiller la frontière qui sépare les deux, car les frottages de ces orthostates évoquent la présence et l’absence en tant qu’États complémentaires et enchevêtrés.


(Lire aussi : Rayyane Tabet à la recherche des orthostates)

L’espion espionné

Au cours de sa présentation au Met, Rayyane Tabet, né en 1983 à Achkout au Liban, nous entraîne dans une belle aventure portant sur la série d’événements rocambolesques qui l’ont mené à la mise en place de cette installation. C’est une photographie familière, en noir et blanc, jadis accrochée dans l’appartement de ses grands-parents à Beyrouth, mais dont la signification lui était inconnue jusqu’à ce que sa mère lui révèle l’histoire de son grand-père, Faik Borkhoche (1895-1981) et du baron Max von Oppeinheim, qui déclenche son inspiration. « Il semble que le travail de mon arrière-grand-père était d’espionner un espion suspect. Les Français n’ont jamais pu trouver aucune preuve des activités d’espionnage de Max », indique Rayyane Tabet dans un entretien à L’Orient-Le Jour, à New York. À la recherche de preuves liant son arrière-grand-père à Tell Halaf, Rayyane Tabet découvre dans la bibliothèque de ses parents au Liban un ouvrage dédicacé par Max von Oppenheim intitulé : Der Tell Halaf (1929), comportant une illustration sepia du baron allemand. Cette découverte provoque un déclic imaginaire qui donnera naissance à ce projet qui ouvre la voie à un nouveau genre artistique contemporain : le récit parafractionnel.

Mystère et imaginaire

Présentée comme une histoire d’espionnage, Alien Property titille l’imaginaire par son mystère à la Agatha Christie. Est-ce voulu ? « Tout à fait », affirme l’artiste. « Comme la préparation de cette exposition est un travail de recherche, je me suis posé la question suivante : comment faut-il introduire cette histoire ? J’ai réalisé, qu’en fait, à travers l’histoire d’Agatha Christie, l’idée d’utiliser ce dispositif pourrait attirer l’intérêt des gens dans un récit, à la fois facile et divers, qui ouvre la voie à l’imaginaire », ajoute-t-il. « J’ai pris alors contact avec ces musées en leur disant que j’étais l’arrière-petit-fils du traducteur du baron Max von Oppenheim. Ce lien personnel et familial de l’histoire m’a aidé à la raconter et à la mettre dans un contexte qui traite de la politique institutionnelle », note-t-il. « Cette exposition questionne l’histoire du Met. En entrant dans la galerie, le visiteur lit qu’il s’agit d’une histoire d’espion. Mais en scrutant les documents d’archives et en observant les reliefs archéologiques, il réalise que cette question est plus compliquée. Elle est en rapport avec l’histoire de l’institution. C’est un piège », lance-t-il.


(Pour mémoire : Rayyane Tabet, archéologue des sentiments)

« Un moment de réflexion »

Le timing de cette installation est-il opportun ? « Nous passons par une période de transition politique et socio-économique qui est aussi un moment de réflexion. Cette exposition pose des questions pointues et directes aux institutions, comme le Met, qui ont toujours sauvegardé le patrimoine archéologique mondial. L’histoire de ces collections permet de voir la situation mondiale actuelle. Mais sur une note plus personnelle, il est opportun de trouver un moyen d’adresser la guerre civile en Syrie, la succession des conflits de la région, et de voir ces incidents récents et contemporains sur l’extension d’une histoire bien plus longue », estime Rayyane Tabet. « Et il serait bon d’en parler, de la regarder en face pour comprendre notre position actuelle, et voir d’une manière plus globale, les questions qui intéressent tout le monde, à savoir : le patrimoine et la restitution des objets qui font partie d’un historique beaucoup plus complexe et qui est aussi contradictoire. Il n’y a pas d’histoire claire et nette. Dans le cadre de Tell Halaf, elle est pleine de contradictions et de failles », juge-t-il.

« Les histoires racontées par Rayyane Tabet, dans cette exposition, sont ancrées à la fois dans ses expériences personnelles et dans certaines questions plus complexes du patrimoine culturel du monde, notamment le rôle passé et présent des musées », relève de son côté Max Holbein, le directeur du Met. « Grâce à cette collaboration, nous pouvons prendre en compte la riche histoire de ces objets fascinants à travers le point de vue de l’artiste et les multiples forces en jeu dans la région tout au long du XXe siècle, forces qui persistent encore aujourd’hui. » Alien Property est organisée par Kim Benzel, conservatrice responsable du département du Ancient Near East Art, et Clare Davies, conservatrice adjointe du département d’Art moderne et contemporain, Moyen-Orient, Afrique du Nord et Turquie, en consultation avec l’artiste. Accompagnée d’un catalogue et d’un bulletin trimestriel, l’exposition a été rendue possible grâce aux amis de l’Ancient Near East Art, Andrée Sfeir-Semler et la galerie Sfeir-Semler, à Beyrouth et à Hambourg.

À signaler qu’une partie de cette exposition avait déjà été présentée au musée du Louvre en 2019 dans le cadre de Royaumes oubliés. De l’empire hittite aux Araméens.

Alors que la pandémie du coronavirus frappe la planète, les grands musées, à travers le monde, tendent à proposer des visites virtuelles via leurs sites web. C’est le cas du Metropolitan Museum of Art (The Met) qui permet de découvrir en sons et en images l’exposition de Rayyane Tabet, Alien Property, qui occupe trois des galeries de l’Ancient Near Eastern Art du musée new-yorkais....

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut