Comme dans une symphonie bien synchronisée, mais peu musicale, tous les partis se sont soudain souvenus de la situation des Libanais coincés à l’étranger et de la nécessité de les ramener au pays. En quelques heures, ce dossier est devenu très pressant et il occupe les médias depuis qu’en bon chef d’orchestre, le président de la Chambre Nabih Berry en a parlé en premier, allant même jusqu’à menacer de « suspendre » sa participation au gouvernement si celui-ci ne traite pas ce dossier dans les plus brefs délais.
La phrase a d’ailleurs surpris les Libanais, puisque jusqu’à ce qu’elle soit prononcée, aucune partie politique n’avait reconnu ouvertement avoir une influence directe sur le gouvernement. Il s’agissait même d’un coup porté à la crédibilité du gouvernement de Hassane Diab qui se battait pour montrer qu’il était uniquement formé de technocrates indépendants, même si certains d’entre eux ont des affinités politiques avec tel ou tel autre parti.
Interrogé sur une chaîne de télévision, le ministre de la Culture et de l’Agriculture, considéré comme proche du mouvement Amal, Abbas Mortada, a affirmé qu’il ne compte pas suspendre sa participation au gouvernement. Le lendemain, des manifestations ont été organisées à Hay el-Sellom, dans la banlieue sud de Beyrouth, en protestation contre la cherté de la vie et contre ce que les manifestants ont appelé l’inefficacité du gouvernement. Qu’il y ait ou non un lien direct entre la déclaration du ministre et les manifestations populaires du lendemain, il est certain que le président de la Chambre a décidé désormais de jouer cartes sur table, en montant au créneau contre le gouvernement, surtout après sa rencontre tendue, en dépit des sourires devant les caméras, avec le président du Conseil, mercredi à Aïn el-Tiné.
Deux grands dossiers sont en cause, celui des nominations essentiellement financières — reporté en principe au Conseil des ministres de jeudi — et celui du retour au Liban des expatriés qui doit être examiné aujourd’hui au cours de la réunion du gouvernement.
Si le premier dossier met en cause les influences des partis politiques sur le gouvernement et la mentalité dite de la « distribution des parts », le second est autrement plus compliqué, parce qu’il revêt plusieurs aspects.
Selon des sources ministérielles, le président de la Chambre aurait décidé de l’imposer à la table du gouvernement, parce qu’il aurait été sollicité par de nombreux émigrés dans les pays d’Afrique qui craignent une rapide progression du coronavirus sur le continent africain jusque-là épargné, alors que les systèmes hospitaliers dans les pays d’Afrique sont déficients et, en tout cas, incapables de faire face à une vague épidémique. M. Berry considère en effet que les Libanais d’Afrique sont sous sa responsabilité et c’est l’une des raisons pour lesquelles il avait longtemps insisté pour que le ministère des Affaires étrangères (et surtout la direction générale des émigrés) soit confié à l’un de ses proches. Lorsque le Courant patriotique libre, et en particulier le chef de cette formation Gebran Bassil, a voulu prendre en charge ce ministère, il s’est approprié le dossier des expatriés, mais cette fois en s’occupant essentiellement des émigrés dans le continent américain, en Océanie et en Europe. Lorsque Nabih Berry a soulevé la question du retour des Libanais de l’étranger, M. Bassil ne pouvait donc que se rallier à cette idée et réclamer de son côté le retour au pays de tous les émigrés, puisque, a-t-il dit, c’est leur droit.
Le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah ne pouvait pas non plus être en reste. Il a, lui aussi, évoqué ce dossier dans son discours de samedi soir, tout en soulignant, dans un souci de réalisme et surtout pour tendre une perche au gouvernement, la nécessité d’assurer « un retour sécurisé des Libanais de l’étranger au pays ». C’est qu’en ces temps de coronavirus, la question du retour des Libanais de l’étranger peut représenter un grand danger à la fois pour eux et pour les Libanais résidant au Liban.
D’abord, le processus de retour exige un mécanisme particulier et coûteux. De nombreux pays ont en effet fermé leurs aéroports et il faut donc non seulement affréter les avions, mais aussi obtenir les autorisations de vol. De plus, il faut avoir examiné les passagers souhaitant rentrer au pays pour vérifier s’ils sont atteints du virus ou non. Or dans de nombreux pays, il n’y a pas suffisamment de tests médicaux pour les faire subir aux passagers potentiels. À cela s’ajoute le fait que l’avion est considéré comme l’espace le plus favorable à l’expansion du virus, puisqu’il s’agit d’un milieu extrêmement confiné. Si les précautions nécessaires ne sont pas prises, un voyageur atteint pourrait en contaminer plusieurs autres. Enfin, il faut aussi s’assurer qu’une fois arrivés au Liban, les passagers respecteront les consignes de confinement chez eux ou dans des lieux spécialement préparés pour cela.
Pour toutes ces raisons, le dossier s’avère plus que délicat. Il doit donc être examiné sous tous ses aspects. Selon les sources ministérielles précitées, il faudrait d’abord, avec l’aide des ambassades et des consulats du Liban à l’étranger, recenser le nombre de Libanais souhaitant rentrer. Selon les premières estimations, il s’agirait essentiellement d’émigrés installés dans des pays africains et d’étudiants habitant en Europe qui se retrouvent à court de moyens, en raison des restrictions bancaires sur le transfert de fonds à l’étranger. Il faut donc voir s’ils souhaiteront toujours rentrer dans le cas où les banques allègent ces mesures.
Tous ces détails devront donc être étudiés au cours de la réunion du gouvernement aujourd’hui, mais les ministres espèrent que ce dossier sera abordé sous l’angle humain et non politique.
commentaires (10)
Selon le Guardian , l'épidémie au Liban , en Syrie et en Iraq ne serait qu'à ses tous débuts , rien ne sert de rentrer au Liban actuellement si l'on veut s'éloigner des risques ! Mieux vaut que chacun reste là où il est ! https://www.theguardian.com/world/2020/mar/31/fears-over-hidden-covid-19-outbreak-in-lebanon-iraq-and-syria
Chucri Abboud
16 h 17, le 31 mars 2020