Le démantèlement musclé par les forces de l’ordre du dernier campement de la révolution au centre-ville de Beyrouth, vendredi soir, a suscité plusieurs interrogations sur les véritables motifs justifiant cette décision subite et la violence employée considérée comme excessive par beaucoup.
Alors que les autorités multiplient les mesures, dont le confinement, pour tenter de contrer une propagation du coronavirus au Liban, ce n’est pas cet argument qui a été mis en avant par le ministre de l’Intérieur, Mohammad Fahmi, pour justifier cette décision. Il y a quelques semaines déjà, le ministre avait laissé entendre que le camp des contestataires ne serait pas démantelé tant que le rassemblement était pacifique, et que des mesures, notamment de stérilisation des lieux, seraient prises.
« Le ministre renouvelle son soutien aux demandes sociales justes du mouvement de contestation pacifique et souligne que la campagne de désinfection des tentes sur la place des Martyrs et celle de Riad el-Solh qu’il a ordonnée la semaine dernière s’inscrit dans le cadre des mesures de protection des manifestants contre le coronavirus et constitue un geste de bonne volonté de M. Fahmi envers les protestataires », a indiqué hier un communiqué publié par le bureau de presse du ministre. Une manière de dire que le démantèlement des tentes du centre-ville n’est pas une décision politique, mais serait justifié par des motifs d’ordre sécuritaire. « En raison de l’augmentation des atteintes aux propriétés privées et contre les passants dans le secteur, surtout après un incident avec un ambassadeur, les forces de l’ordre ont été contraintes de démanteler les tentes », a précisé samedi un communiqué du ministère de l’Intérieur, sans donner plus de détails. L’argument avancé par le ministre au sujet des « atteintes à des passants et un ambassadeur n’est rien d’autre qu’un prétexte pour nous éjecter des lieux.Notre présence était pacifique et aucun incident ne s’est produit avec qui que ce soit », assure un contestataire.
Nombreux sont toutefois ceux qui estiment que le ministre Fahmi est tout simplement revenu sur sa décision initiale et a voulu mettre un terme à la présence des contestataires en ce lieu public, par souci sanitaire principalement.
Un argument qui ne convainc toujours pas les contestataires.
« L’opération a été violente »
À 19h vendredi soir, alors qu’entrait en vigueur le couvre-feu, les forces de l’ordre ont subitement surgi sur les lieux et se sont mises à saccager les tentes dans lesquelles plusieurs protestataires dormaient toujours, selon des témoignages. « L’opération a été violente, ils nous ont battus, ils ont détruit les tentes, ils ne nous ont même pas laissés prendre nos affaires », a affirmé Marcelle Rached qui, comme la centaine d’autres contestataires du centre-ville, a dû quitter le campement. Des contestataires ont été blessés, mais personne n’a été envoyé à l’hôpital, selon elle. Cette nuit-là, des manifestants ont brûlé des tentes dans le secteur et d’autres se sont rassemblés devant le siège de l’opérateur Touch, sur la voie express du Ring, pour protester contre le démantèlement des tentes et en réaction à la violence des forces de l’ordre. Vendredi soir, le Comité des avocats des manifestants a dénoncé « le démantèlement et la destruction des tentes permanentes et les tentatives d’arrêter les manifestants », estimant notamment que « l’interdiction de se déplacer dans les rues à partir de 19h ne s’applique pas aux contestataires se trouvant de manière permanente sur le terrain ». Il a déploré également que les manifestants n’aient pas été prévenus à l’avance pour leur donner le temps de rentrer chez eux avec leurs affaires et qu’ils aient été menacés d’arrestation.
Des sans-abri
Rentrer chez soi n’est toutefois pas une option pour tout le monde. Selon notre photographe sur place João Sousa, parmi les personnes qui se trouvaient dans ces tentes figuraient des sans-abri, des jeunes ayant fui leur foyer pour des raisons de conflit familial, et d’autres, dont quelques radicaux, qui ont fait le choix volontaire d’élire domicile dans cet espace hautement symbolique qui a vu naître et grandir la révolution d’octobre 2019. « Certains parmi ces irréductibles ne savent pas où aller. C’est notamment le cas de ceux qui ont été bannis de leur foyer pour leur engagement révolutionnaire qui allait à l’encontre des convictions partisanes de leurs familles respectives. Plusieurs sont également au chômage et sans le sou. Certains sont venus de régions éloignées et ne peuvent même pas se payer un taxi pour retourner chez eux », témoigne notre photographe.
Bien que la place ait été évacuée, un groupe de révolutionnaires est d’ailleurs toujours sur place, n’ayant pas trouvé refuge ailleurs. « Ce sont principalement les sans-abri qui n’ont nulle part où aller et ceux qui refusent de revenir dans le foyer familial », confie Ange-Marie Akiki, une contestataire.
On apprenait ainsi que neuf personnes sont toujours dans le centre-ville et dorment désormais dans l’Œuf, l’ancien théâtre devenu un autre grand symbole de la révolution. Les plus chanceux ont trouvé refuge « dans des appartements qui leur ont été assurés par des amis », raconte encore Mme Akiki.
Pour mémoire
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Sayed Mohammad Fahmi, Dans ces temps difficiles de coronavirus, il faut d'urgence renvoyer les 1.500.000 déplacés syriens chez eux en Syrie et, après, démanteler les campements du centre-ville. Tout autre argument et nul et non avenu. Ne vous moquez pas du peuple indigène libanais. Nous savons d'où vous sont venus les ordres !
13 h 30, le 30 mars 2020