Rechercher
Rechercher

Culture - Récit Podcast

« Demain, il y a une chaîne humaine au Liban, on y va ! »

« Le Liban à trois voix » raconte l’histoire d’un retour au pays en pleine révolution, après 20 ans d’absence, du romancier franco-libanais Sélim Nassib, accompagné de sa femme, la cinéaste Yolande Zauberman, et de leur fille de vingt et un ans Assia. Un éclairage polyphonique juste, émouvant et porteur, qui est accessible en podcast après avoir été diffusé le dimanche 15 mars sur France Culture.

Le Liban à 3 voix ou le récit d’un retour aux racines. Photo DR

C’est France Culture qui a souhaité réunir le trio familial – composé du romancier franco-libanais Sélim Nassib, sa femme, la cinéaste Yolande Zauberman, et leur fille de vingt et un ans Assia – au sein de ses locaux. « On est donc allés à la radio, on s’est assis autour d’une table et chacun a raconté son morceau de l’histoire, on a fait en sorte que ce soit assez concret. »

« Assia évoque le matin où elle s’est réveillée entourée de ses deux parents qui lui ont dit : demain il y a une chaîne humaine au Liban, on y va ! Et comme dans un film, on a fait un travail de montage, on a réorganisé l’ensemble pour en faire un récit où il y a à la fois notre aventure de trois personnes qui vont au Liban et une voix un peu plus profonde qui donne les clés de certains éléments : les tenants et les aboutissants du soulèvement, la corruption, une classe politique vomie, etc. ; le tout étant accroché à ce que l’on a vu ou vécu. C’est un mélange qui s’est fait progressivement entre l’expérience individuelle et le témoignage sur un moment historique », précise l’auteur de Fou de Beyrouth (Balland, 1992). Celle qui a réalisé avec Sélim Nassib le documentaire M, qui vient d’être primé aux Césars, admet avec beaucoup de sincérité que son lien avec le pays natal de son mari était plutôt difficile. « J’étais venue deux fois pendant la guerre, la première fois lors d’une rencontre de photographes organisée par Rafic Hariri, je me souviens que nous marchions dans un centre-ville désert et détruit.

La seconde fois, nous étions logés dans une maison qui avait servi de tribunal aux milices chrétiennes pour juger des druzes, il y restait des ossements humains. Je regardais le Chouf et je me disais que cette belle région était comme la plus belle femme du monde, des gens se tuaient pour elle, mais moi je n’avais pas envie de l’aimer. » Yolande Zauberman évoque ensuite son voyage libanais en octobre avec plus d’apaisement. « Avant, je ressentais un silence terrible sur les cicatrices de la guerre, une fausse bonhomie qui recouvrait tout ça, et c’était malsain, mais cette fois, ce fut une véritable réconciliation. »

Le récit est entrecoupé d’intermèdes musicaux très variés, de Fayrouz (Li Beyrouth) à du rap libanais, en passant par des slogans de la rue et des vers scandés accompagnés de musique, qui listent les revendications du peuple. Ces points d’orgue permettent un ancrage des paroles dans la réalité concrète et culturelle du Liban, tout en proposant une forme de résonance émotionnelle pour un discours chargé d’affect à plusieurs niveaux.


« Il y avait des canapés sur la chaussée, les gens dansaient... »

L’enthousiasme d’Assia, qui était venue une seule fois au Liban quand elle était bébé, est très sensible dans ce dialogue à troix voix. « J’ai tout de suite rencontré des gens de mon âge qui m’ont emmenée sur le Ring, il y avait des canapés sur la chaussée, les gens dansaient, des voitures allumaient l’espace et des projecteurs montraient des caricatures qui se dessinaient sous nos yeux. Et moi je filme, je danse avec eux, je leur raconte pourquoi je suis là et ils me racontent leur avant et leur après cette révolution, qui est marquée par une certaine liberté des corps, par un mélange de sensualité et de respect.

Et lorsque les soldats arrivent, tout le monde applaudit ! » constate la jeune fille qui n’a pas l’habitude de ce type d’attitude envers les forces de l’ordre.

Son père intervient ponctuellement en remettant en perspective l’expérience de sa fille, qui selon lui est devenue libanaise en un soir, et en éclairant certains aspects, comme la charge symbolique du Ring ou la spécificité de l’armée libanaise. « Le pays n’est pas doté d’une armée formée à la répression, l’armée est faite de consensus. Pour intimider les gens, le pouvoir a dû trouver d’autres techniques, ils ont essayé de faire ressortir les dissensions communautaires en faisant circuler des vidéos censées discréditer le mouvement, comme celle d’une femme qui danse sur une voiture devant une mosquée... »


« Des graines pour plus tard »

« Soudain, il s’est mis à se passer quelque chose de totalement inattendu, c’était comme un rêve, on ne demandait plus : de qui es-tu le fils? Quelle est ta religion ? Tout le monde est descendu dans la rue pour demander un pays normal, et j’ai senti que c’était un moment historique. La voix était tellement juste, il fallait que je sois là-bas. » C’est en ces termes que l’auteur d’Un amant en Palestine (Balland, 2004) relate ce qui a déclenché son élan vers la révolution libanaise.

Le plaisir de partager ces retrouvailles avec sa famille est palpable dans le récit. Sélim Nassib partage la fierté de ses racines libanaises avec ses proches, en mettant en valeur l’engagement des manifestants, leur créativité et leur détermination, d’Alexandre Paulikevitch aux paysans du Akkar qui contrôlent la contrebande agricole syrienne, du DJ de Tripoli aux clients d’un restaurant chic du bord de mer qui, sans crier gare, se mettent à entonner l’hymne national, puis le fameux « Kellon yaani kellon » (« Tous, ça veut dire tous »), avant de reprendre le cours de leur repas. « Ce n’est pas un mouvement de classe ni un mouvement politique ou religieux. La corruption est de plusieurs milliards de dollars détournés, toutes les aides européennes pour le système électrique par exemple ont disparu, et il n’y a eu aucune centrale de construite.

De même pour la gestion des déchets ; pour chaque initiative, l’argent a été volé. Et quand les gens l’ont réalisé, ils n’ont plus pu le supporter. » La révolte de celui qui est né et a grandi à Beyrouth dans une famille juive transparaît dans le discours de ce grand connaisseur de la réalité libanaise, dont il se sent partie prenante.

« J’ai quitté le Liban à vingt-trois ans, et quand la guerre a éclaté, je suis revenu très régulièrement pour couvrir la guerre civile en tant que journaliste, mais (...) les événements ont pris une tournure confessionnelle, il y avait des enlèvements et je ne me sentais plus à ma place. Je n’ai plus eu envie de revenir et j’ai décidé que ma vie était en France, mais le Liban est resté comme un membre amputé, dont on ne parlait pas trop mais qui occupait toujours mon esprit. Je suis écrivain et tout ce que j’écris est en rapport avec mon pays, ou avec le Moyen-Orient. » Et Nassib de poursuivre : « J’ai essayé de faire en sorte de ne pas vivre que comme un exilé, mais le fait d’y retourner et de le redécouvrir, pas comme une nostalgie mais comme un présent où il se passe quelque chose, cela a redonné un principe de réalité à toute ma vie. Sans compter toutes les valeurs pour lesquelles nous nous sommes battus dans les années 60 et 70 à Beyrouth – nous étions de gauche – et que nous retrouvons dans le mouvement.

Lorsque nous en avons parlé avec le romancier Élias Khoury, on s’est dit qu’on avait commencé quelque chose et que soudain on avait l’impression que ce qu’on avait fait trouvait une suite, comme si c’était des graines qui avaient poussé trente ans plus tard. C’est un sentiment de retrouvailles extraordinaire, avec l’impression que votre vie gagne un sens tout d’un coup », commente l’écrivain.

Ce dernier reconnaît que la situation libanaise actuelle a de quoi décevoir, mais pour lui, la lutte est loin d’être terminée et il mise sur la fougue des jeunes générations pour ne pas se laisser endormir par un contexte verrouillé.

« Les dirigeants libanais semblent bien décidés à ne pas lâcher leurs fauteuils, et même si la situation du peuple est de plus en plus difficile, avec en plus le fléau du coronavirus, je suis convaincu que tout ce qui a été fait jusque-là n’est pas perdu. Ce sont des graines pour plus tard, les gamins qui ont manifesté depuis le 17 octobre ne vont pas oublier et recommencer comme avant. Ils sont contraints de le faire maintenant, mais cela restera en eux, et un jour ça ressurgira », termine Sélim Nassib, plein d’espoir.


C’est France Culture qui a souhaité réunir le trio familial – composé du romancier franco-libanais Sélim Nassib, sa femme, la cinéaste Yolande Zauberman, et leur fille de vingt et un ans Assia – au sein de ses locaux. « On est donc allés à la radio, on s’est assis autour d’une table et chacun a raconté son morceau de l’histoire, on a fait en sorte que ce soit assez...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut