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Culture - Livres

Quel est le vrai visage de la terre et des enfants du Liban ?

Le livre de François Boustani, « Liban, genèse d’une nation singulière » (édition Erick bonnier – 450 pages), apparaît comme une réponse aux interrogations que beaucoup éludent ou auxquelles ils tentent de ne pas répondre clairement. Une remontée aux racines pour mieux se retrouver...

François Boustani s’intéresse à la genèse du Liban, nation singulière, ou la volonté consensuelle du vivre ensemble… DR

Liban, genèse d’une nation singulière (édition Erick Bonnier — 450 pages) de François Boustani est un livre qui vient à point nommé. Dans les troubles actuels, allant du politique au social en passant par l’économique, le questionnement sur la nature, l’essence et l’évolution du Liban est en effet d’une brûlante actualité.

Médecin cardiologue passionné d’histoire, installé en région parisienne après avoir quitté le Liban au début de la guerre civile, François Boustani a déjà publié plusieurs ouvrages, traitant aussi bien de médecine que d’histoire. On se souvient par exemple de son remarquable opus La circulation du sang : entre Orient et Occident, l’histoire d’une découverte (Prix de l’Académie des sciences d’outre-mer en 2007 et Prix France-Liban en 2008).

Qui sommes-nous ? Quel est le vrai visage de la terre et des enfants du pays du Cèdre ? Où allons-nous ? Autant de questions que gouvernants et peuple semblent se poser… Et auxquelles ils devraient répondre en toute honnêteté aujourd’hui que la débâcle est évidente…

Pour clarifier les interrogations des Libanais, pour tenter de cerner leur identité, pour approfondir la légitimité historique du Liban et apporter une certaine lumière sur le rapport avec la Syrie voisine, si proche, si lointaine, François Boustani s’est penché sur la proclamation du Grand Liban par le général Gouraud en 1920, qui deviendra six ans plus tard la République libanaise… Il propose ici un tour d’horizon dans le passé pour revisiter le « monde d’hier » selon ses termes. L’auteur revient, par exemple, sur les projets territoriaux en compétition à l’époque de la partition du Levant avec le déclin de l’Empire ottoman, et sur la réaction des différentes communautés (et elles sont nombreuses, de toutes obédiences et croyances) face à la naissance de ce projet de vivre-ensemble, unique et singulier.

Il ausculte entre ces pages l’identité libanaise construite à coups d’efforts, de réflexions, de cessions, de volontés, de partages et néanmoins, traversée depuis presque un siècle par les conflits, les querelles, les oppositions et les dissensions. Mais aussi par l’altérité et la négociation entre les diverses communautés qui ne perdent pas de vue cette volonté de vivre ensemble.

Pour l’auteur, francophone et francophile, le rôle de la France, grande amie du Liban, semble toujours prépondérant. Boustani dévoile également un soutien et une présence française méconnus. Il évoque dans son ouvrage l’aspect éducatif et culturel apporté par l’Hexagone via les écoles de congrégations catholiques françaises au Levant. Des écoles qui ont contribué à l’émancipation des Libanais, ainsi qu’au commerce de la soie avec Lyon, comme l’attestent les vestiges de ces superbes magnaneries à flanc de montagnes, toujours visibles, du Chouf au Kesrouan en passant par Beyrouth. Enfin, un mandat français qui a permis, en 25 ans, de jeter les fondations d’un pays, en restructurant sa charpente administrative et en collaborant à l’édification de l’État libanais. De cette rencontre est né un espace de liberté et certainement un foyer de rayonnement de la culture française à partir des rives de la Méditerranée.


Le charme d’une poudrière

Ce livre est un peu marqué par la nostalgie, évoquant les dérives de l’histoire ainsi que ses dérapages, comme l’illustre ce passage dans l’introduction : « Nous sommes d’une génération qui a grandi au Liban et a connu une douceur de vivre qui nous a à jamais marqués. Tout bascule en avril 1975 avec l’éclatement de la guerre civile. L’événement était brutal mais prévisible. Des nuages noirs assombrissaient l’horizon depuis la signature des accords secrets du Caire en novembre 1969 par lesquels le gouvernement libanais avait cédé une partie de sa souveraineté à l’OLP, entraînant le Liban dans le redoutable conflit israélo-palestinien. Sous le faste d’une métropole orientale ruisselante de richesses et de vitalité, Beyrouth était une poudrière prête à exploser. Cette précarité augmentait ses charmes. »

Que reste-t-il de ces propos dénotant, certes, une certaine nostalgie et attachement mais si justes dans leur prémonition maintenant que l’éclatement a eu lieu et que le pays est confronté à tant de problèmes, aussi bien sociaux, qu’économiques, politiques et sanitaires.

Bien écrit, richement documenté, empreint d’un sens de l’analyse implacable, cet ouvrage tente d’expliquer, dans un Levant morcelé et constamment sujet aux embrasements, pourquoi et comment une entité libanaise distincte a vu le jour. Comment, au lendemain de la Première Guerre mondiale, époque du nationalisme triomphant, le Liban, conçu initialement pour être un foyer national chrétien, dans un environnement et arrière-pays différent, devint finalement un pays multi-communautaire.

François Boustani ne se fie pas aux manuels scolaires en passant en revue l’histoire du territoire druzo-maronite, la Moutassarifiya, mais pointe la présence active des villes sunnites de Tripoli et Saïda ainsi que celles des chiites de Jabal Amel… Tout en dénonçant que la construction de l’identité libanaise ne s’est pas affirmée sans l’activisme de l’Église maronite, les missionnaires protestants et les jésuites.

Des remous et des bouleversements sociaux et politiques innombrables ont contribué à changer aujourd’hui plusieurs données dans un environnement trouble et troublant. Le Liban affronte tous les orages mais sa formule tient encore tête à tous les vents, même les plus violents et destructeurs. Un vrai espace de liberté que regardent avec envie et convoitise plus d’un pays arabe. Ou encore les mots secrets de cette longévité, de ce statut singulier que sont la négociation, le compromis, l’altérité et le dialogue… Si le danger guette et menace aujourd’hui ce pays à l’identité si singulière, ne s’en prendre qu’à sa caste politique dominatrice et stérile de réalisations sérieuses car préoccupée par ses propres intérêts, l’individualisme du citoyen libanais et l’environnement régional sont loin de toute bienveillance… François Boustani, en médecin avisé qui a bien pris le pouls de sa terre natale, conclut son ouvrage, en un sage conseil et cri du cœur, avec cette phrase : « Il est crucial que tous les Libanais prennent conscience de la singularité de leur pays et que le monde les aide à le préserver afin que le Liban ne vienne pas rejoindre la longue liste des paradis perdus qui hante la conscience de l’humanité. » À bon entendeur salut !

« Liban, genèse d’une nation singulière », de François Boustani (éditions Erick Bonnier-450 pages), disponible en librairie.


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