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Culture - Hommage

De Mhaydseh au parc Montsouris, ou « la liberté de l’homme de renaître où bon lui semble »

L’assemblée du Conseil de Paris a voté à l’unanimité le 3 février dernier le vœu d’installer une œuvre d’art en hommage au peintre Chafic Abboud au parc Montsouris, dans le quatorzième arrondissement. Un projet aux acteurs multiples, dont la charge symbolique est plurielle.

Chafic Abboud en 1969. Photo Karkabi

On raconte que la source du village de Mhaydseh aurait le pouvoir de transformer ceux qui s’y désaltèrent en artistes ou en poètes. Le parcours de Chafic Abboud confirme la légende, lui qui est né dans ce village près de Bickfaya, en 1926. Après deux ans d’études d’ingénierie, celui qui appartiendra bientôt à la nouvelle école de Paris s’inscrit aux Beaux-Arts de Beyrouth, avant de décider, contre l’avis de sa famille, de quitter le Liban pour la capitale française en 1947. Très vite, il fréquente les ateliers d’André Lhote, de Jean Metzinger et de Fernand Léger ; il suit également des cours aux Beaux-Arts de Paris.

Sa fille, Christine Abboud, qui s’occupe de l’œuvre de son père depuis son décès, en 2004, tout en constituant un catalogue raisonné de ses créations, revient sur la richesse de sa carrière. « Très rapidement, à partir des années 50, le travail de mon père a été très apprécié, même s’il a eu des moments très difficiles. Il a commencé à exposer, aussi bien à Paris qu’à Beyrouth, notamment dans les galeries Dar el-Fann, Brigitte Schehadé, Faris ou Claude Lemand, que dans des foires et des Salons importants, dans toute l’Europe et aux États -Unis (FIAC, Réalités nouvelles...). Aujourd’hui, on trouve ses œuvres dans presque toutes les collections nationales françaises (Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Centre Pompidou, Institut du monde arabe) en Angleterre (British Museum, Tate Modern) et dans tous les grands musées du Moyen-Orient et du Golfe (Liban, musée national de Jordanie, Guggenheim Abou Dhabi, Mathaf au Qatar...). » Environ 4 000 œuvres en tout, essentiellement picturales, réalisées dans son petit atelier qui jouxte le parc Montsouris.



Célébrer Paris, ville refuge
Conseillère de Paris écologiste franco-libanaise et élue du treizième arrondissement, Marie Atallah a porté avec Carine Petit, maire du quatorzième arrondissement, le projet d’un hommage à Chafic Abboud, devant le dernier Conseil de Paris. Ce projet est sous-tendu par l’engagement de Christine Abboud et de Sabyl Ghoussoub, qui accompagnent cette initiative. Celle qui a déjà porté plusieurs projets en faveur du Liban, comme L’Orient des livres ou Les Journées du Liban, est très sensible à la peinture de cet artiste. « J’aime ses couleurs et sa technique, qui sont très variées selon les périodes. Au départ, il est arrivé avec son imaginaire du Liban, avec des symboles orientaux, que ce soit par des tissus ou de la tapisserie, ou par des motifs de son enfance. Puis il a évolué vers la peinture abstraite. » Marie Atallah souligne également le recours à l’exil de toute une génération d’artistes étrangers qui se sont réfugiés à Paris et que l’on peut retrouver dans le parcours personnel de Chafic Abboud. « C’est l’occasion pour moi de mettre en lumière l’apport des Franco-Libanais dans la vie culturelle parisienne, tout en accompagnant, très modestement, tout ce qui se fait dans le cadre de la révolution à Beyrouth. J’ai voulu célébrer la créativité et l’élan qui émergent dans ce soulèvement, pour véhiculer les idées d’un renouveau. C’est aussi un petit cadeau au peuple de la rue et à ses artistes. »

Avant la réalisation effective du projet, une commission d’experts doit statuer sur un certain nombre d’éléments techniques, mais, selon Marie Atallah, on peut espérer que ce projet sera réalisé par la prochaine équipe en place d’ici à la fin de l’année.


« Je ne suis plus libanais, je n’arrive pas à être français »
L’œuvre qui devrait prendre place dans le parc que le grand coloriste a peint à de multiples reprises n’est pas encore précisément définie. « J’avais très envie que ce soit Emmanuel Saulnier, un artiste français, qui la réalise, pour dépasser l’hommage communautaire et pour rester dans la démarche d’ouverture qui était celle de Chafic. Emmanuel vient de sortir un livre, Beyrouth in situ (Beaux-Arts de Paris éditions) avec Chedly Atallah et Sophie Brones, et il a été professeur aux Beaux-Arts pendant une trentaine d’années. Il y a une forme de passation entre les deux artistes. La proposition d’Emmanuel d’intégrer la sculpture de l’oiseau de Chafic dans l’œuvre qu’il va produire n’est pas un hasard », précise Sabyl Ghoussoub.

Le choix de la sculpture en bronze Personnage-oiseau, datant de 1989 et dont Christine Abboud fera don à la Ville de Paris, est très évocateur pour elle. « Quand mon père était adolescent, il avait inventé un personnage-oiseau qui incarnait son besoin de liberté, et il se représente par ce motif à plusieurs reprises dans sa création. La sculpture lui correspond bien, elle est empreinte de ce qu’il était, dans un quartier qu’il aimait beaucoup. »

Le commissaire artistique du projet est actuellement en train de travailler sur projet d’exposition autour de l’œuvre de Chafic Abboud. Au-delà de l’aspect créatif, une forme de connivence humaine est évidente entre les deux. « J’ai grandi avec les toiles de Chafic, mon père était son ami et son professeur d’arabe. Je suis touché par ce qu’il est, par ses œuvres et par ce qu’il a écrit. Dans ses monographies, on a accès à certains de ses textes, empruntés dans ses carnets, où on peut lire par exemple : « Je ne suis plus libanais, je n’arrive pas à être français. Nationalité : étranger, et en général je m’en porte très bien. » Sabyl Ghoussoub insiste sur la spécificité du parcours de celui qui a fréquenté les milieux intellectuels et artistiques à la fois parisiens et arabes de son époque. « Il a quitté le Liban à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour la simple raison qu’il voulait étudier l’art ; c’était un homme très libre pour son époque. Il avait un grand amour de la langue arabe, qu’il a recommencé à étudier à la fin de sa vie pour écrire de la poésie. Pour moi, il incarne bien le lien Paris-Beyrouth, France-Liban, langue française et langue arabe, que nous sommes nombreux à vivre. Intégrer l’œuvre de Chafic dans l’espace public parisien, c’est rendre hommage à Paris, au Liban, mais aussi à la liberté de l’homme de renaître où bon lui semble. »


On raconte que la source du village de Mhaydseh aurait le pouvoir de transformer ceux qui s’y désaltèrent en artistes ou en poètes. Le parcours de Chafic Abboud confirme la légende, lui qui est né dans ce village près de Bickfaya, en 1926. Après deux ans d’études d’ingénierie, celui qui appartiendra bientôt à la nouvelle école de Paris s’inscrit aux Beaux-Arts de Beyrouth,...
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