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Culture - Rencontre

Bachar Mar-Khalifé : J’ai tellement d’amour et de force quand je viens au Liban

Le musicien compositeur donnait vendredi soir un concert dans le cadre du festival Beirut and Beyond au théâtre Zoukak. Unanimement applaudi par un public qui attendait impatiemment le retour de l’artiste franco-libanais, après quatre ans d’absence, sur la scène musicale libanaise.


Bachar Mar-Khalifé dans un concert au studio Zoukak dans le cadre du festival Beirut and Beyond. Photo Rudy Madi

Décidément, le génie musical se transmet de génération en génération dans la famille Khalifé. Entre le père Marcel et ses deux fils Rami et Bachar, le don de la composition est incroyablement bien réparti, et le cadet de la trinité l’a une nouvelle fois démontré avec brio vendredi soir au studio Zoukak, dans un concert placé dans le cadre du festival Beirut and Beyond. Accompagné de son bassiste Aleksander Angelov et de son percussionniste Dogan Poyraz, Bachar Mar-Khalifé a offert une performance à la fois technique et harmonique d’une profonde maturité.

Jonglant entre quatre claviers différents, posant sa voix feutré sans jamais prendre plus de place que la musique des instruments, l’artiste est parvenu à créer une énergie formidable, palpable aussi bien dans les moments aériens que dans ceux plus enlevés aux rythmes effrénés. Avec ce sens (qu’on pourrait croire héréditaire chez les Khalifé) de la progression thématique dans la composition, de l’intensification par la gradation d’un thème travaillé à fond et dont les subtiles variations patiemment amenées créent la cohérence et la narration, Bachar Mar-Khalifé a fait remonter cette fête qui sommeille, ce Soleil si libanais, cette joie irrépressible chez un public conquis dès les premières notes et qui dansera tout le concert.

Un vrai morceau d’absolu offert, venu à point en ce début d’année tourmenté pour un peuple libanais pris dans une crise économique croissante qui impose un nouveau défi à sa résilience.


« Je me sens bien ici malgré toutes les difficultés »

Ce concert, qui devait initialement avoir lieu en décembre dernier, c’est peut-être Bachar Mar-Khalifé qui l’attendait avec le plus d’impatience. « Je ressens beaucoup de fierté et de gratitude envers le festival Beirut and Beyond qui a réussi à trouver des solutions pour que cette édition se fasse. J’étais effondré quand j’ai appris que ça allait être reporté. J’avais vraiment envie de revenir jouer ici, surtout dans le cadre de ce festival qui est très proche des gens et gratuit. Mon seul et unique concert au Liban a eu lieu il y a 4 ans au MusicHall…» confie l’artiste à L’Orient-Le Jour. À 37 ans et père de trois enfants, ce Libanais exilé à Paris depuis ses 6 ans entretient une relation identitaire complexe avec le pays de ses origines. Mais il affirme aujourd’hui que la révolution du 17 octobre a été un nouveau chapitre dans cette relation :

« Quand les événements ont commencé, j’ai très mal vécu de ne pas avoir pouvoir être présent et de ne pas participer à l’effervescence populaire.

Quand on est loin, ce n’est pas simple… Mais le plus important, c’est que je me suis soudainement réconcilié avec ce pays que je ne reconnaissais plus. Ce pays qui me faisait sentir étranger, et étranger pas seulement au Liban, mais partout. Je doutais de tout et j’étais perdu complètement, même si cette perdition était bénéfique pour moi dans mon métier.

Ce Liban de mon enfance que j’avais perdu au fil des années, ce Liban de mes grands-parents et que je voyais dans les yeux de mes enfants, j’avais l’impression que c’était un mensonge énorme. L’important, c’est de ne pas se sentir trahi et seul face à la bêtise ou à un ordre établi. Et on a vu que le peuple s’est vite retrouvé et s’est donné la main. » Lui qui ne chante quasiment qu’en arabe, reprenant parfois comptines populaires et chants religieux libanais, il est, comme beaucoup, tenaillé entre espoir et désillusion dans un pays qui donne et reprend sans cesse. « J’ai toujours eu ce fantasme de venir habiter au Liban. Aujourd’hui, je suis plus serein. Je sais que je veux juste être avec les gens que j’aime, peu importe l’endroit. J’ai tellement d’amour et de force quand je viens ici. Je ne parle pas du drapeau ou du territoire, mais plutôt de ce sentiment de confiance et de dignité », dit-il la voix chargée d’émotion. Conscient de la situation catastrophique de l’économie du pays, il ne peut être que désolé de constater cette nouvelle vague migratoire qui, une nouvelle fois, pousse les Libanais à considérer l’exil :

« Ce qui me fait le plus mal, c’est de voir des gens de la génération de mon père se poser plein de questions et vont peut-être devoir partir, alors qu’ils n’étaient jamais partis et qu’ils avaient tenu malgré tout jusque-là au Liban. La situation est désastreuse. C’est triste parce que ce peuple est cultivé et plein de richesse, personne ne mérite ça. »

Concernant l’impact de cette situation sur les artistes libanais actuels, dont il reconnaît le talent, Bachar Mar-Khalifé ne semble en revanche pas trop inquiet : « C’est à partir des situations les plus compliquées que naissent les plus belles choses sur le plan artistique. Quand on vit dans des événements difficiles très concrets, on n’a plus le luxe de réfléchir : créer devient un besoin.

On est dans l’expression brute et pas dans l’efficacité d’une carrière », explique-t-il. « Je me sens de moins en moins musicien dans le sens où ce ne sont plus tant les notes et les sons qui m’importent, mais ce qu’on dit à travers un morceau dans tel ou tel contexte.

La musique est de plus en plus une philosophie de vie pour moi que je peux partager avec des non-musiciens. La musique des musiciens me dérange. Ma vérité s’éloigne de plus en plus de ce que j’ai appris au conservatoire. »

Ce que tout cela va donner ? On a hâte de le découvrir... En attendant, il est bon de savoir qu’en décembre dernier, lors d’un séjour au Liban, Bachar Mar-Khalifé a enregistré un album, qu’il espère voir sortir à l’automne 2020. Il hésite encore à en donner le titre, de peur de ne pouvoir le changer par la suite, « mais il y a de bonnes chances que je l’appelle On-Off », révèle-t-il.


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