Dans son discours mercredi soir, le président de la République a voulu marquer le début des travaux de prospection au large des côtes libanaises dans ce qu’on appelle le bloc 4. Il a précisé qu’il s’agit d’une nouvelle ère qui s’ouvre pour le Liban, qui s’apprête à entrer dans le club des pays producteurs de pétrole et de gaz.
Certains ont tenté de minimiser l’impact de cet événement en précisant que le chemin est encore long et qu’il faut plusieurs années pour que le Liban commence effectivement à engranger les recettes de la vente du pétrole et du gaz. D’autres ont considéré que l’objectif principal du chef de l’État à travers ce discours était d’ouvrir une fenêtre d’espoir pour les Libanais qui subissent actuellement une crise financière et économique sans précédent. Michel Aoun aurait donc voulu occulter le quotidien morose pour ouvrir de nouvelles perspectives en parlant d’un avenir prometteur pour les générations futures. Mais selon ceux qui considèrent que le chef de l’État a voulu donner aux Libanais une confiance dans l’avenir, la tentative n’est pas très réussie puisque d’abord rien n’est encore garanti et qu’ensuite il faudra beaucoup de temps avant d’espérer en tirer des bénéfices.
À ce manque d’enthousiasme et surtout à cette absence de confiance, qui dans de nombreux cas est sans doute justifiée, plusieurs spécialistes répondent par des informations réelles sur le fait que les gisements existent bel et bien. L’expert économique Ziad Nasreddine affirme à cet égard que le Liban a fait mieux qu’Israël, par exemple, en faisant des études préliminaires en trois dimensions des blocs qu’il compte commencer à ouvrir à la prospection. Deux compagnies étrangères, Spectrum et PGS, ont fait le travail et ont conclu au fait qu’il y aurait d’importants gisements pétroliers et surtout gaziers dans les profondeurs des eaux territoriales libanaises. Ce sont d’ailleurs ces conclusions qui ont poussé le consortium Total-ENI-Novatec à vouloir se charger des travaux de prospection dans le bloc 4. Il ne faut pas oublier non plus que du gaz et du pétrole ont été trouvés dans la région, à Chypre, en Égypte, en Syrie et en Israël. Il n’y a donc aucune raison pour qu’il y en ait dans toute cette région de la Méditerranée et pas au large du Liban...
Ziad Nasreddine précise à ce sujet que là où la compagnie norvégienne PGS fait des études préliminaires, la compagnie française Total la suit. Or Total est l’une des neuf plus grandes compagnies pétrolières du monde et elle a des contrats dans 130 pays, dont l’Égypte et Chypre. Si elle a donc jugé bon de prospecter au Liban, c’est qu’elle est plus ou moins sûre que cela en vaut la peine. De plus, le contrat conclu avec les autorités libanaises est plus avantageux pour le Liban qu’il ne l’est pour l’Égypte. Même chose pour la compagnie italienne ENI et pour la compagnie russe Novatec.
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Toujours selon Ziad Nasreddine, les travaux de prospection devraient durer deux mois. Il faudra ensuite analyser les échantillons des produits extraits pour en étudier la qualité et évaluer la quantité de gisements contenus dans le bloc 4. Cette opération devrait prendre deux mois supplémentaires. En principe donc, au début de l’été, le Liban devrait savoir à quoi s’en tenir. Dès que l’annonce officielle de l’existence d’importants gisements gaziers et pétroliers au large des côtes sera faite, elle aura immédiatement des effets positifs sur la situation locale.
D’abord, il y aura une plus grande confiance internationale dans la capacité du Liban à rembourser ses dettes, puisqu’il peut désormais compter sur ses richesses pétrolières et gazières. Ce qui signifie que le classement du Liban par les sociétés financières sera forcément amélioré.
Mais plus important que tout cela, ce sont les préparatifs de l’extraction qui seront bénéfiques pour le pays. Très vite, des sociétés étrangères seront intéressées à s’installer au Liban, car l’extraction du pétrole et du gaz ouvre de grandes perspectives sur le plan du cycle économique qui l’accompagne. De nouveaux emplois seront ainsi créés. De plus, le pétrole et le gaz permettront des investissements dans de nouvelles industries : notamment celles tournant autour des hydrocarbures et des produits pharmaceutiques. Le Liban pourrait aussi construire des raffineries pour ne pas se contenter de vendre du pétrole brut.
Mais selon Ziad Nasreddine, le plus important reste le gaz. Il y a d’abord son utilisation pour produire de l’électricité, qui à elle seule réduira le déficit public de plus d’un milliard de dollars par an (il est actuellement estimé à deux milliards). Mais il y a aussi la vente, le gaz étant de plus en plus demandé et l’Europe un des principaux acheteurs. Donc, l’écoulement du gaz libanais est assuré. Pour Nasreddine, il peut y avoir à ce sujet des problèmes politiques. Par exemple, les blocs 1 et 2 proches de la frontière syrienne intéressent beaucoup les Russes, qui ont déjà pris en charge l’extraction du pétrole et du gaz au large des côtes syriennes, et les Américains ne verraient certainement pas d’un bon œil la prise en charge de ces deux blocs par les Russes. Dans ce contexte, le bloc 8 est aussi très important, puisqu’il pourrait constituer une voie de passage pour le gaz extrait au Sud... Le Liban doit donc faire preuve de vigilance et de sagesse, car la présence de ces richesses attise les convoitises. Ce n’est d’ailleurs pas le seul problème que soulèvera l’existence des ressources pétrolières et gazières. Le Liban est appelé à préparer sérieusement cette nouvelle phase qui lui ouvre de grandes perspectives. Il y a un immense travail législatif à faire, des héliports à construire, des installations à édifier, des expertises à amener, etc. Et il faut surtout une grande vigilance pour empêcher les recettes de profiter à des particuliers au lieu d’aller à l’État et aux Libanais en général. Si le Liban sait saisir cette chance, il aura devant lui un avenir différent et pourra réellement se doter d’une certaine immunité financière et économique qui est aussi un facteur important de souveraineté. En prononçant son discours mercredi soir, Michel Aoun a voulu donc, sans trop s’étendre, attirer l’attention des citoyens sur l’importance de cette opportunité et montrer que l’effondrement, la division et la misère ne sont pas une fatalité.
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commentaires (7)
La BEI (Banque européenne d'investissement) a voté la fin des investissements dans les énergies fossiles pour 2021. L'état libanais a tergiversé tant et si bien, qu'il aura probablement du gaz à vendre, mais pas sûr qu'il trouvera un acheteur. l'europe investit dans la transition énergétique en faveur des énergies vertes. Les pays du golfe accélèrent la diversification de leur économie, ils ont compris que la fin de l'or noir est proche. les libanais continuent à rêver.
Desperados
19 h 43, le 28 février 2020