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Idées - Point de vue

Pour un ajustement structurel équitable

Photo d’illustration : le Grand Sérail. Archives L’OLJ

En gestation depuis longtemps, l’effondrement financier, économique, monétaire et bancaire que connaît le Liban appelle d’urgence à un programme radical de réformes – ajustement structurel serait un terme plus approprié, le temps de la réforme étant depuis longtemps dépassé. Dans leurs grandes lignes, les programmes déjà proposés par divers partis, groupes et comités d’experts de toutes mouvances diffèrent sur peu de points. Car en vérité le mal est si grave et profond que le Liban n’a plus tellement le choix des remèdes. Toutefois le mode d’administration du remède peut varier, et ce de façon conséquente.

C’est que les pertes économiques et financières sont déjà encourues, mais à présent qu’elles sont reconnues – trop tard hélas –, la question cruciale est de décider qui en portera le coût. Là est le choix politique fondamental que le nouveau gouvernement doit faire. Pour être acceptable, le coût de l’ajustement doit être réparti « équitablement » entre les diverses composantes de la société, l’équité dans ce cadre implique que les plus nantis devraient assumer la plus grande charge afin d’en réduire l’impact sur les classes sociales moins favorisées et éviter au Liban une plus grande fracture sociale.

Renforcer la protection sociale

L’ajustement structurel requis pour sortir de la crise commence en effet par le rétablissement des principaux équilibres budgétaires pour freiner la croissance de la dette publique afin de la stabiliser à moyen terme. Cela appelle obligatoirement à réduire les dépenses et accroître les recettes pour générer des excédents primaires substantiels (d’environ 5 % du PIB) au cours des cinq prochaines années au moins. Un effort budgétaire d’une telle ampleur, s’il était possible à entreprendre, aurait des conséquences sociales drastiques dans une économie fragilisée, fortement dollarisée et sujette à une rapide dépréciation de la monnaie nationale. Cette situation réduira de façon significative le pouvoir d’achat de la majorité de la population dont le revenu et l’épargne sont libellés en livres libanaises (LL), alors que les biens d’équipement et une part substantielle des produits de consommation sont importés et ont leur prix établi en devises.

De ce fait, la condition première de toute proposition d’ajustement devrait être un renforcement considérable des filets de protection sociale. Il s’agira donc tout d’abord d’introduire des programmes ciblant les pauvres, démunis et groupes marginalisés par la mise en place de systèmes de transferts monétaires, coupons alimentaires, couverture médicale de base, aide au transport, offre d’abris, provision de chauffage...

Parallèlement, et dans le cadre de la refonte indispensable de l’administration publique, il conviendra de s’abstenir à ce stade de tout licenciement ou réduction nominale de salaires, vu que la dépréciation de la monnaie érode leur valeur réelle. Toutefois les abus se rapportant aux salaires et pensions cumulés et compensations excessives ou redondantes devront être promptement éliminés.

Toujours pour tenir compte de cet impératif social, il conviendra de protéger la valeur réelle des fonds de la Caisse nationale de Sécurité sociale (indemnités de fin de service, couverture santé, assistance familiale) entièrement investis dans les instruments du Trésor libellés en LL.

De même, il sera indispensable de hausser de façon substantielle le plafond de la garantie des dépôts bancaires, actuellement établi au modique montant de 5 millions de LL (conformément à ce que prévoit le budget de 2020).

Améliorer la gestion des dépenses et des recettes

Un deuxième axe sur lequel devrait se déployer la réforme porte sur les ajustements fiscaux à adopter pour mieux contrôler les dépenses et générer en parallèle de nouveaux revenus. Cela impliquerait d’abord de réviser le code de la fiscalité en vue d’un régime plus efficace et plus équitable qui assurerait à l’État les ressources nécessaires sans entraver la croissance économique et l’investissement. Dans ce cadre, il conviendra en particulier d’adopter dès que possible un impôt progressif sur le revenu global du contribuable avec des taux d’imposition marginaux (par tranche de revenu) allant de 5 à 40 %, ce qui reste bien dans les normes suivies dans de nombreux pays. Les revenus inférieurs au salaire minimum seraient exonérés de l’imposition. Ces taux seraient en vigueur en cette période transitoire de crise jusqu’à ce que des objectifs spécifiques d’équilibre budgétaire aient été atteints. Tout aussi prioritaire est le combat de la fraude et de l’évasion fiscale sous toutes leurs formes. La refonte de la fiscalité permettrait également de résoudre de façon durable le fléau de la dette publique sans avoir à recourir à une restructuration qui, même dans l’hypothèse où elle s’effectuerait dans le respect des droits des déposants, en particulier les petits, comporte des risques sérieux pour le bilan des banques et la réputation financière du Liban. Une approche fiscale qui engage les plus nantis pourrait à mes yeux constituer une alternative viable à cette option. Comme développé dans une précédente tribune, publiée le 14 décembre dernier dans ces colonnes, cette taxe unique et exceptionnelle de solidarité nationale porterait sur les dépôts bancaires en devises et, afin d’être socialement équitable et acceptable, ne viserait que les déposants les plus importants. Selon mes calculs, cette mesure exceptionnelle pourrait ainsi rapporter de 12 milliards à 30 milliards de dollars, en fonction des taux et de l’assiette retenus.

Naturellement, la réduction et le contrôle des dépenses publiques courantes (salaires, frais de fonctionnement et subventions à l’électricité) constituent un autre volet important de l’amélioration de la gestion des finances publiques. Il conviendra notamment à cet égard de dissoudre ou fusionner certains des 94 entreprises publiques et conseils aux missions désuètes (ministère des Déplacés, Caisse des personnes déplacées, Conseil du Sud…) et de redéployer leur personnel au sein d’autres entités du secteur public aux postes vacants.

En outre, tout nouvel investissement en capital devrait être financé par des capitaux privés ou des dons en cas de disponibilité. Parallèlement, et afin de dégager les fonds supplémentaires nécessaires à l’ajustement, il faudra envisager la vente « sélective » d’actifs publics tout en restant extrêmement vigilants sur le fait que ceux-ci ne sauraient être « bradés » en raison de la conjoncture. Il conviendrait donc de commencer à cet égard par les biens inactifs (en particulier certains biens fonciers non stratégiques) et d’exclure à ce stade de toute privatisation les entités opérationnelles qui produisent des revenus pour le Trésor public (telles que par exemple les télécoms, la Middle East Airlines ou la Régie des tabacs et tombacs).

Enfin, il sera indispensable d’arrêter, et sanctionner pénalement, les pratiques et transactions douanières illégales par des mesures effectives, dont l’utilisation de scanners aux postes frontaliers, et l’appel aux agences d’audit privées. Dans le même esprit, il importera aussi de régler de façon définitive le dossier de l’occupation et de l’utilisation illicites des biens publics, en particulier celui des propriétés marines et fluviales.

Renforcer la gouvernance

Le troisième axe de l’ajustement porterait, lui, sur les mesures légales et organisationnelles à adopter pour améliorer la gouvernance de certaines institutions. C’est notamment le cas des trois agences de régulation régissant respectivement les secteurs des hydrocarbures, des télécommunications et de l’énergie qui, à travers des modifications législatives, devraient être placées sous la tutelle du Parlement et non plus du ministère sectoriel. Dans le même ordre d’idée, et pour s’inspirer des normes en vigueur dans certains pays comme les États-Unis, il faudra désormais soumettre à la surveillance du Parlement (et via des révisions des textes les régissant) les institutions suivantes : la Banque du Liban (en limitant par ailleurs à deux termes les mandats de son gouverneur); la Cour des comptes ; et l’Autorité des marchés des capitaux (notamment pour l’affranchir de la domination du secteur bancaire, concurrent des marchés obligataire et boursier).

Toujours dans un souci d’équité et de meilleure gouvernance, il sera aussi nécessaire d’assurer par des moyens légaux appropriés l’autonomie de la Direction des adjudications (qui dépend actuellement de l’Inspection centrale) et son rôle exclusif dans tout appel d’offres et toute adjudication de projet public. Tout comme il faudra désormais garantir que tous les projets publics et privés (dans les infrastructures, l’industrie, l’agriculture, le tourisme, le logement...) sont conformes aux normes et stipulations du Plan national d’aménagement du territoire libanais approuvé par le gouvernement en 2009. Il faudra enfin s’assurer que tout recrutement de commis de l’État, à quelque niveau que ce soit, est du ressort exclusif du Conseil de la fonction publique, ce dernier soumettant ensuite une liste restreinte de candidats au service public concerné.

Économiste, ancien conseiller à la Banque mondiale et conseiller spécial de l’ancien président du Conseil Nagib Mikati.

En gestation depuis longtemps, l’effondrement financier, économique, monétaire et bancaire que connaît le Liban appelle d’urgence à un programme radical de réformes – ajustement structurel serait un terme plus approprié, le temps de la réforme étant depuis longtemps dépassé. Dans leurs grandes lignes, les programmes déjà proposés par divers partis, groupes et comités...

commentaires (8)

Je vous dis bravo et je vous mets zéro. Bravo, parce que vous récitez très bien le dogme social-démocrate. Zéro, parce que ce n'est pas ce qu'il nous faut au Liban. Impôt progressif ? Non Monsieur, une flat tax qui s'applique à tous les revenus, même à ceux qui sont voisins de zéro. Quant aux nantis, leur principale responsabilité, c'est d'investir, d'entreprendre, de prendre des risques. Au marché local de savoir se rendre attractif en 1. abaissant au plus bas niveau possible l'impôt sur les bénéfices, 2. Supprimant la fiscalité sur le commerce extérieur, 3. Arrêtant le favoritisme, les barrières partisanes, voire miliciennes à l'arrivée de nouveaux entrants sur les nombreux secteurs aujourd'hui fermés, voire verrouillés , 4. libérant le marché financier : fin du peg LL/$ et liberté de mouvement des capitaux et des entreprises. Pour faire bonne mesure, il faudrait aussi libérer entièrement le marché du travail et arrêter les restrictions et interdictions imposées au réfugiés. Le but, c'est de produire tout à moindre coût et non de protéger une catégorie ou une autre de personnes. Au lieu d'assurer la transparence des marchés publics, il faudrait les supprimer, en transférant au secteur privé tout ce dont s'occupe indûment l'Etat aujourd'hui : fin de la corruption par l'assèchement des budgets. Arrêtons de copier bêtement ce qui ne marche pas à l'étranger

Nassif Pierre

16 h 11, le 23 février 2020

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Commentaires (8)

  • Je vous dis bravo et je vous mets zéro. Bravo, parce que vous récitez très bien le dogme social-démocrate. Zéro, parce que ce n'est pas ce qu'il nous faut au Liban. Impôt progressif ? Non Monsieur, une flat tax qui s'applique à tous les revenus, même à ceux qui sont voisins de zéro. Quant aux nantis, leur principale responsabilité, c'est d'investir, d'entreprendre, de prendre des risques. Au marché local de savoir se rendre attractif en 1. abaissant au plus bas niveau possible l'impôt sur les bénéfices, 2. Supprimant la fiscalité sur le commerce extérieur, 3. Arrêtant le favoritisme, les barrières partisanes, voire miliciennes à l'arrivée de nouveaux entrants sur les nombreux secteurs aujourd'hui fermés, voire verrouillés , 4. libérant le marché financier : fin du peg LL/$ et liberté de mouvement des capitaux et des entreprises. Pour faire bonne mesure, il faudrait aussi libérer entièrement le marché du travail et arrêter les restrictions et interdictions imposées au réfugiés. Le but, c'est de produire tout à moindre coût et non de protéger une catégorie ou une autre de personnes. Au lieu d'assurer la transparence des marchés publics, il faudrait les supprimer, en transférant au secteur privé tout ce dont s'occupe indûment l'Etat aujourd'hui : fin de la corruption par l'assèchement des budgets. Arrêtons de copier bêtement ce qui ne marche pas à l'étranger

    Nassif Pierre

    16 h 11, le 23 février 2020

  • Il y a au moins deux mesures qui ne demandent ni loi ni décret et dont on ne comprend pas qu'elles n'aient pas déjà été prises: - La mise à pied des milliers de fonctionnaires qui ont été embauchés illégalement pendant la période électorale, - Le recouvrement par l'EDL de toutes les factures impayées. A cela, il faut joindre la pose de compteurs, et, éventuellement l'imposition d'amendes à tous ceux qui bénéficient de l'électricité sans avoir jamais rien payé et ceci dans toutes les régions du Liban, sans exception.

    Yves Prevost

    13 h 44, le 23 février 2020

  • Cet article est le B à ba de la gouvernance d’un pays. Si nos ministres depuis des décennies se sont crêpés le chignon pour accéder à leurs postes avec leur maigre bagage, ça n’était sûrement pas pour appliquer les règles fondamentales de finances et d’économies pour faire prospérer notre pays mais c’était plutôt pour satisfaire leur zaims recruteurs et de se remplir les fouilles pour bonne conduite puisque c’est à cette seule condition qu’ils ont été choisis et nommés à leurs postes. Tu fais ce que je dis et ensuite tu pilles tout ce que tu peux mais surtout tu la fermes. Conclusion, tant que ces mêmes incapables pourris tiennent le pouvoir dans notre pays, rien absolument rien de tout cela n’aurait lieu qu’on se le dise.

    Sissi zayyat

    12 h 42, le 23 février 2020

  • merci pour cette expertise; renforcer la gouvernance ,oui ,si elle est légitime mais surtout créer au sein de la société des systèmes qui permettent au citoyen moyen (toujours le plus solidaire) d'exercer sa solidarité (troc ,monnaie locale,dons ,développement des ressources de la terre etc)auprès des plus démunis tout en exigeant des plus riches(toujours les moins solidaires) un effort substantiel et pratique;J.P

    Petmezakis Jacqueline

    09 h 37, le 23 février 2020

  • J’adooore cet article qu’un élève en première année de sciences économiques aurait pu écrire alors qu’il émane d’un conseiller spécial d’un ex premier ministre qui n’a rien fait de tout ce que cet article préconise. Pourquoi : soit l’ex premier ministre était inefficace soit il n’a pas été convaincu par son conseiller. Dans tous les cas, je regrette d’avoir perdu mon temps à lire l’article et à écrire ce commentaire Lol

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 33, le 23 février 2020

  • Il manque un élément essentiel. Le tandem Chiite doit annoncer publiquement son acceptation de toutes les réformes que le gouvernement proposerait. Particulièrement le Hezb, qui ne devrait plus avoir un mot à dire dans l'acceptation ou non des conditions de la World Bank et/ou FMI. Il faut commencer par arrêter de tergiverser. C'est une très mauvaise idée de donner le pouvoir de décision au parlement, le roi des commissions et sous-commissions et sous-sous-commissions. Pour avancer rapidement, Il faut plutôt donner des pouvoirs exceptionnels au gouvernement.

    Zovighian Michel

    07 h 37, le 23 février 2020

  • L,AJUSTEMENT STRUCTUREL EQUITABLE VA SE FAIRE SUR LE DOS DES BAUDETS... EN L,OCCURENCE DU PEUPLE LIBANAIS. AUCUN DE TOUS LES ESCROCS DES BANQUES A CEUX DE LA CAVERNE ALIBABIQUE ET GOUVERNEMENTALE ET TOUT AUTOUR NE SERA INQUIETE... SOYEZ-EN SUR. QUE LA CONTESTATION S,Y PREPARE A CONTRECARRER CE JEU...

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 05, le 22 février 2020

  • TRES CLAIR , TRES SIMPLE N'ETAIT-CE QUE POUR APPLIQUER CELA IL FAUDRA COMPTER SUR LA BONNE FOI DES ""ELEMENTS"" SUIVANTS: -L'ACCORD AU SEIN DU GOUV ( sachant les avis divergents tres frequents entre les diverses composantes du gouv) -LA CHAMBRE DES DEPUTES (adopter les lois necessaires) -LE POUVOIR JUDICIAIRE -LES SERVICES SECURITAIRES QUI SERAIENT SUPPOSES AIDER A L'APPLICATION DES DECISIONS DE LA JUSTICE -ET ENFIN- LAST BUT NOT LEAST- ABSOLUMENT PAS "LEAST", LE CITOYEN LIBANAIS , HOMME D'AFFAIRE(le corrupteur),fonctionnaire et citoyen lambda.

    Gaby SIOUFI

    12 h 49, le 22 février 2020

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