Jets de bouteilles d’eau, de pierres, de pots de fleurs, bousculades, insultes et cris. Non loin de la Banque du Liban où des partisans du Courant patriotique libre (CPL) ont organisé une manifestation en fin d’après-midi, la tension est vive. Placé sous le slogan : « Il nous est interdit de retirer (de l’argent), est-ce qu’il vous est permis d’en transférer (à l’étranger) ? », le mouvement de protestation a vite fait de céder la place à une confrontation entre des partisans du chef du PSP, Walid Joumblatt, dont la résidence se situe à Clemenceau, soit la rue parallèle à Hamra, et ceux du parti de Gebran Bassil. La tension était telle que le leader druze Walid Joumblatt s’est vu contraint d’intervenir en personne pour demander à ses partisans de se retirer et éviter ainsi que les heurts ne dégénèrent.
« Que tout le monde rentre chez lui », a lancé M. Joumblatt devant les caméras postées face à son domicile, non loin du siège de la BDL. « Je suis sous la protection des forces de sécurité », a-t-il ajouté, en expliquant que depuis hier, une information a circulé sur WhatsApp, selon laquelle les manifestants du CPL envisageaient d’attaquer la résidence du leader druze. « Malheureusement, il y a eu de la provocation sur cette application que nous ne pouvons pas contrôler », a-t-il ajouté.
La bousculade s’est déroulée peu après 17h au moment où un convoi du CPL passait rue Clemenceau. Selon des témoins sur place, devant la résidence de M. Joumblatt où ses gardes du corps sont postés, un individu a baissé la vitre pour en sortir une arme qu’il a fait tournoyer de manière à narguer les sentinelles qui se sont ruées sur lui et l’ont battu. L’information n’a pas pu cependant être vérifiée mais a été confirmée en soirée par le député Waël Bou Faour.
Toujours est-il que les heurts se sont poursuivis pendant une bonne heure. Les agents de la brigade antiémeute ont dû intervenir pour séparer les deux camps. Les députés Waël Bou Faour et Hadi Abou el-Hosn, arrivés un peu plus tard, ont tenté à leur tour de calmer les esprits. En vain. Les deux parlementaires se sont aussitôt rendus chez Walid Joumblatt, qui s’est ainsi adressé à ses partisans via les chaînes de télévision qui retransmettaient en direct les événements.
« Eux, ils sabotent. Nous, nous construisons », a martelé Walid Joumblatt. « Nous devons poursuivre notre mouvement de manière responsable afin de tenter de sauver le pays et l’économie », a-t-il encore dit. « Nous n’arriverons pas à sortir de la crise sans réformes ». « L’intérêt du pays est plus important que tout », a-t-il lancé.
De Clemenceau jusqu’à l’intersection de Hamra, au niveau de l’Université Haigazian, les protestataires des deux camps échangeaient des insultes. Un peu plus loin, devant le siège de la BDL, encadrés par des agents de l’ordre, des partisans du CPL brandissaient des banderoles sur lesquelles on pouvait lire : « Il est de notre droit de savoir qui a transféré notre argent. Il est de notre droit de le récupérer. » Sur d’autres, un slogan différent était écrit à la main : « Où est donc la commission de contrôle de la Banque du Liban ? » Les manifestants répétaient en chœur les mêmes slogans.
La manifestation faisait référence à la polémique autour de transferts de fonds présumés hors du Liban de montants massifs après le début du soulèvement populaire, et ce malgré les restrictions bancaires draconiennes. Membre du bureau politique du CPL et chef de la commission de la lutte contre la corruption au sein du parti, l’avocat Wadih Akl a revendiqué le droit des Libanais à savoir qui a transféré les fonds et vers où. « Les Libanais ne sont pas des mendiants ! » a-t-il lancé, avant d’annoncer que d’autres actions sont en préparation, mais sans plus de précisions.
Ni « eux » ni « nous »
« Cela fait 94 jours que je descends dans la rue. Il n’y a pas de “eux” et de “nous”. Nous avons tous des problèmes d’électricité et d’eau », a déclaré à L’Orient-Le Jour Élia Timani, partisan CPL de 45 ans. « Les revendications légitimes du mouvement de contestation sont celles de tous les Libanais, mais nous ne voulons pas que ce mouvement soit utilisé pour servir les intérêts de l’étranger (...). Tout ce qui se passe est fait pour que nous quittions la région et que nous émigrions. Le peuple ne peut plus supporter le complot fomenté contre lui », a-t-il affirmé, dénonçant les attaques des protestataires du soulèvement du 17 octobre, contre le chef de l’État Michel Aoun, et le leader du CPL Gebran Bassil. Il n’a pas précisé de quel complot il s’agit.
« Depuis le départ, nous sommes opposés au gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé, l’une des figures mises en place par l’ancien Premier ministre Rafic Hariri », a affirmé un autre militant du CPL. « Michel Aoun voulait le déloger de son poste. C’est Saad Hariri qui s’y est opposé », a-t-il ajouté, dénonçant un « système mis en place depuis 1992 ».
Selon Élie, 50 ans, « le CPL avait pris la décision de ne pas manifester mais tout est bloqué maintenant. Nous voulons savoir comment les transferts de fonds ont eu lieu. Riad Salamé possède toutes les données à ce sujet. Nous attendons sa réponse ». « Que M. Salamé arrête de nous dire que la livre libanaise va bien, elle va mal », a-t-il ajouté.
La manifestation devait prendre fin peu avant 20h. En soirée, le chef du courant du Futur, Saad Hariri, a adressé un message de solidarité à Walid Joumblatt, condamnant les « provocations » envers les partisans du PSP.
Un peu plus tard, le CPL a fait publier un communiqué dans lequel il s’en est pris vivement au PSP et à son chef, sans les nommer, dénonçant des « méthodes miliciennes », et balayant les accusations de provocation lancées contre lui par le parti de Walid Joumblatt. Le texte souligne que des partisans du CPL ont été blessés « à coups de couteau », sans en préciser le nombre et que des bus transportant des manifestants ont été empêchés d’accéder à Hamra. « Le CPL a fait parvenir un message politique et populaire clair sur la nécessité de récupérer les fonds transférés à l’étranger (…). L’énervement injustifié de certains et leur recours à la violence est la preuve que notre mouvement a fait mal aux détenteurs des millions (de dollars) envoyés à l’étranger », conclut le texte.
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Odeur de guerre civile
Chucri Abboud
16 h 43, le 21 février 2020