Gouvernement : la confiance accordée, mais pas de blanc-seing

Tant bien que mal, et malgré le suspense du début de la journée, la séance parlementaire pour le vote de confiance au Parlement a bel et bien eu lieu, hier, avec un minimum de 67 députés présents. Certes, le paysage était assez surréaliste : à l’intérieur de l’hémicycle, des députés qui prononcent des discours et se lancent les pointes habituelles, tout en ayant conscience d’être filmés avec retransmission en direct ; et, dehors, des manifestants qui crient leur colère ont tenté d’empêcher le passage des convois des responsables politiques, tout en sachant que ce combat est perdu d’avance, les forces de l’ordre ayant bien étudié leur plan pour assurer la tenue de la séance parlementaire, selon les instructions reçues.

Les contacts effectués au cours des jours précédents avaient montré qu’il avait été décidé d’assurer la tenue de la séance parlementaire. Qu’il s’agisse des décisions prises dans le cadre de la réunion du Haut Conseil de défense à Baabda et qui avaient été gardées secrètes, ou de certains signaux politiques venus de plusieurs blocs parlementaires et même de parties étrangères.

Sur le plan des forces politiques internes, à part le parti Kataëb et certains députés comme Paula Yacoubian, Oussama Saad, Neemat Frem, Chamel Roukoz et d’autres, qui avaient officiellement annoncé leur décision de boycotter cette séance, les autres grandes formations avaient adopté une position mitigée, notamment le courant du Futur, les Forces libanaises et la Rencontre démocratique. Ces trois blocs qui comptent à eux seuls une quarantaine de députés avaient annoncé leur intention de se rendre au Parlement, sans toutefois accorder leur confiance au gouvernement de Hassane Diab. Cette décision mitigée avait été justifiée par le souci affiché de la part du courant du Futur, des Forces libanaises et du PSP de ne pas mettre en cause le fonctionnement des institutions publiques, dont le Parlement, et le processus constitutionnel qui prévoit la comparution du gouvernement devant le Parlement pour obtenir sa confiance. En dépit de cette justification, la position de ces trois blocs importants a fait l’objet d’interprétations différentes et contradictoires. Une partie des protestataires estiment ainsi que ces trois formations ne veulent pas couper totalement les ponts avec le pouvoir et continuent à avoir un pied de chaque côté.

Par contre, pour les parties politiques qui ont assuré le quorum parlementaire, les trois blocs parlementaires qui sont venus au Parlement sans participer à la séance pour le vote de confiance afin de ne pas être accusés d’assurer le quorum requis veulent surtout entrer dans les bonnes grâces des manifestants sans pour autant rompre tout lien avec le pouvoir. Leur seul objectif serait donc de gagner en popularité au niveau de la rue, tout en conservant leur position au sein de la classe politique.

Enfin, pour les proches de Aïn el-Tiné, la position des trois parties (le courant du Futur, les Forces libanaises et le PSP) serait plutôt due à un mélange de considérations internes et externes. Le président de la Chambre Nabih Berry, qui a personnellement mené des contacts téléphoniques avec les représentants de ces trois parties politiques pour s’assurer de leur participation à la séance parlementaire, a beaucoup insisté sur leur présence, essentiellement pour consolider la cohésion nationale et confessionnelle. S’il est vrai que les dernières élections législatives ont favorisé l’émergence d’un minimum de diversité au sein de chaque communauté (10 députés sur les 27 sunnites ne sont pas dans la mouvance du courant du Futur, mais ils ne sont pas tous regroupés au sein de la Rencontre consultative, sous la houlette de Fayçal Karamé et au moins deux députés druzes qui ne sont pas dans la mouvance du PSP), aux yeux de Berry, cela reste insuffisant pour consolider ce qu’il appelle « le consensus confessionnel » qui est l’essence du Liban. Tout en comprenant la volonté de ces trois parties de ne pas accorder leur confiance au gouvernement et même de ne pas jouer un rôle déterminant dans le quorum de la séance, selon ses proches, Berry estime que leur présence à la séance, ou même dans les salons proches de l’hémicycle, est essentielle pour assurer un minimum de couverture confessionnelle et politique à la séance. Quelle que soit la suite des événements et même si la confiance du Parlement est accordée au gouvernement de Hassane Diab (avec des chiffres assez faibles), la présence de tous ces blocs parlementaires donne une plus grande légitimité à ce vote et au Parlement en général, qui reste le lieu où toutes les parties politiques peuvent s’exprimer en toute liberté. Toutefois, au-delà de ces considérations purement internes, des sources politiques proches d’Amal estiment que la décision des trois blocs parlementaires d’être présents au sein de l’hémicycle serait liée aussi à des signaux venus de l’extérieur. Selon ces sources, il est clair que les Européens, Français en tête, ont hâte que le gouvernement Diab entame sa mission. De plus, les Américains et même les Saoudiens auraient donné récemment des signes favorables. Des personnalités appartenant à ces trois groupes de retour des États-Unis assurent qu’il y a actuellement deux courants au sein de l’administration américaine, le premier voulant mener la guerre au Hezbollah et à ceux qui l’appuient, et le second préférant éviter un effondrement total du Liban qui serait nuisible aux intérêts américains dans la région. Ce dernier courant serait favorable au fait de donner une chance au gouvernement Diab et il serait aujourd’hui plus influent que le premier courant. Même chose au sujet de la position de l’Arabie saoudite, qui, sollicitée récemment par des personnalités libanaises, aurait laissé entendre qu’elle n’a rien contre le Premier ministre Diab et qu’après le vote de confiance il y aurait probablement un signe de la part de l’ambassadeur saoudien en sa direction. Autrement dit, en dépit des protestations populaires, le gouvernement a obtenu la confiance du Parlement et il s’apprête à entamer son action. Une chance lui est donc donnée, mais il ne s’agit pas pour autant d’un blanc-seing.