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Culture - Théâtre

Dans ce « Couloir » où l’on est tous en attente... avec Betty Taoutel

Chacune des pièces de cette auteure-metteure en scène et comédienne brosse, sur le mode tragi-comique, une tranche de vie dans le Liban d’aujourd’hui. « Couloir al-faraj », à l’affiche du théâtre Tournesol à partir du 13 février, ne déroge pas à la règle. « L’OLJ » était aux répétitions. Petit avant-goût...

Betty Taoutel entourée par la joyeuse troupe de « Couloir al-faraj ». Photo Omar Masri

C’est un jeudi soir de janvier. Il est 19h. Nous sommes à deux semaines de la première de Couloir al-faraj, (Couloir de la délivrance), la 8e pièce de Betty Taoutel, et le théâtre Tournesol, où nous venons la retrouver, lors d’un filage, semble fantomatique. À peine y croise-t-on une personne ou deux dans les escaliers menant aux salles de représentations, plongées dans l’obscurité. Dans l’une d’elles, l’auteure-comédienne et metteure en scène ôte son manteau. Elle vient tout juste d’arriver, après une journée passée au pas de charge, entre ses obligations familiales (elle est maman de 4 enfants !) et ses cours de théâtre à l’UL et à l’USJ. Mais sa passion des planches est telle que, même fatiguée et la voix essoufflée, les répétitions restent pour elle une partie de plaisir.

« C’est ce travail d’équipe qui m’a toujours fait préférer les planches aux plateaux de tournage. D’ailleurs, je n’impose jamais un texte trop bouclé à mes comédiens pour leur laisser la place à l’improvisation et à la composition de leurs personnages », confie celle qui a obtenu le Murex d’or en 2018 pour l’ensemble de ses créations théâtrales.

Des accents de vécu

Sur la scène, le décor est déjà planté : un alignement de six portes blanches puissamment évocatrices d’une rangée de chambres d’hôpital. Normal, pour une pièce dont les événements se déroulent dans un hôpital imaginaire. « Dans cet établissement dirigé par l’invisible Dr al-Faraj, les patients, leurs familles, les médecins et le personnel soignant sont tous victimes d’un “système” défaillant qui brusquement s’arrête. Leurs vies se retrouvent alors suspendues entre l’absurdité de l’attente et l’espoir d’une issue », résume l’auteure de ce Couloir al-faraj. Laquelle confie avoir vécu cette situation durant l’été 2017, lorsque sa mère a été hospitalisée un bon moment. De cet épisode difficile, elle a donc tiré la substance de sa nouvelle création : une comédie sociale, qui tourne en dérision la pléthore de problèmes qu’affrontent ses compatriotes à l’hôpital, mais pas seulement…

« Chacune de mes pièces est une tranche de vie. Autant dans son inspiration que dans le temps qu’elle me prend, depuis son écriture à sa mise en jeu avec ma troupe qui devient alors ma deuxième famille », assure la metteure en scène.

Quatorze comédiens pour un hôpital sur scène

Ce que s’empresse de confirmer le trio qui vient de la rejoindre. Il s’agit de Wadih Aftimos, sa femme Josette et son fils Raymond. Toujours les premiers arrivés aux répétitions. De pièce en pièce, cette petite famille de comédiens amateurs a fini par former le noyau central de la troupe de Taoutel. « Wadih, qui est employé de banque – ainsi que son épouse, a joué dans pratiquement toutes mes créations. Il est aussi mon assistant metteur en scène et m’aide dans un tas de choses… Pareil pour Raymond qui a fait sa première scène avec moi à 12 ans. Aujourd’hui, diplômé en cinéma de l’USJ, il continue à tenir des rôles tout en signant la réalisation et le montage des supports audiovisuels de mes spectacles », signale fièrement Betty Taoutel. Avant de courir prêter main forte aux deux hommes en train de déplacer le décor de salle d’attente du second tableau.

19h15 : les autres membres de la troupe commencent à affluer. Il y a d’abord Hicham Khaddaj, qui avait livré, l’année dernière, une excellente performance de 4 personnages alternés dans Freezer, toujours avec Betty Taoutel. Et qui se glisse ici dans la peau du fils unique d’une patiente hospitalisée. Puis arrivent les inséparables Georges Diab et Tony Mehanna, deux acteurs « seniors » bien connus des téléspectateurs, notamment pour leurs rôles dans Arissen midreh min weyn de Marwan Najjar, et qui campent dans ce Couloir al-faraj, deux vieux patients, quasiment des habitués de l’établissement hospitalier. Déboulent ensuite un joyeux groupe de jeunes comédiens, étudiants ou fraîchement diplômés (Maria Boutros Béchara, Tracy Younès, Nader Moussali, Karim Chebli…). Menés par le délirant Jean-Pierre Abdayem (actuellement en master aux Beaux-Arts de l’UL, mais jouissant déjà d’une petite renommée à la télé en tant qu’acteur, directeur de la photographie et designer de lumière), ils vont interpréter les résidents chahuteurs et gaffeurs. Du côté de la régie, les discrets Samer et Perla Hanna procèdent déjà à la vérification de l’éclairage et du son. On n’attend plus que Lama Meraachly, figure bien connue du petit écran, qui tient le rôle de l’hilarante cheftaine, et Abir Sayah, une actrice montante, qui joue, elle, l’exécrable déléguée de la compagnie d’assurances. Deux figures solaires qui lorsqu’elles débarquent enfin sont accueillies par un taquin « les divas sont enfin là » lancé en chœur par leurs jeunes confrères.

Mieux vaut en rire

Bref, l’ambiance est amicale et chaleureuse. Ce qui n’empêche pas le professionnalisme. Car à peine la distribution est-elle réunie que les répétitions débutent. Les blouses blanches enfilées, chacun se glisse, instantanément, dans son personnage, pour esquisser cette amusante galerie de portraits types de Libanais en milieu médical. L’œil concentré et le sourire visiblement satisfait, la metteure en scène suit les déambulations de ses comédiens sur les planches, avant d’y grimper, à son tour, pour répéter son personnage de… fille d’une patiente. Un rôle catharsis ? Peut-être. Toujours est-il que dans son couloir d’hôpital, Betty Taoutel fait défiler une brochette de protagonistes aussi cocasses qu’émouvants. Dans la tripotée de personnages qu’elle nous sert, il y a, entre autres, ces deux vieux malades qui, pour tromper leur ennui, arpentent les corridors de l’hôpital en déambulateur ; ces infirmières qui frétillent devant le premier célibataire venu ; un insaisissable médecin, trop souvent remplacé par des hordes d’internes dangereusement insouciants ; une cheftaine aussi séductrice qu’autoritaire... Et tout ce beau monde évolue sur un leitmotiv « le system est bloqué », répété par tous les services, sauf celui de la… comptabilité.

Mais, par-delà la caricature, cette pièce dépeint aussi les complicités qui se nouent entre familles de patients ou encore les problèmes économiques et les rivalités familiales qui affleurent avec plus d’acuité à l’occasion d’une hospitalisation. En fine observatrice des comportements sociaux comme des rouages sociétaux, Betty Taoutel met, une fois de plus, le doigt sur ce qui fait mal. Et comme toujours chez elle, la gravité du propos est contrebalancé par la drôlerie des situations. Le jeu des comédiens est convaincant – même si durant la répétition, les plus jeunes courent vérifier, entre deux tirades, la messagerie de leurs portables… On est pris par cette tragi-comédie au trait forcé certes, mais qui en dit si long sur ce que nous Libanais vivons dans les hôpitaux. Comme à tous les niveaux d’un pays, au système irrémédiablement bloqué. En somme, dans ce Couloir al-faraj, il y a nous, vous et plein d’autres qui se reconnaîtront…

À voir.

Théâtre Tournesol

Rond-point Tayouné. À partir du 13 février jusqu’à fin mars, les jeudis,

vendredis, samedis et dimanches (20h30). Billets en vente à la Librairie Antoine.

C’est un jeudi soir de janvier. Il est 19h. Nous sommes à deux semaines de la première de Couloir al-faraj, (Couloir de la délivrance), la 8e pièce de Betty Taoutel, et le théâtre Tournesol, où nous venons la retrouver, lors d’un filage, semble fantomatique. À peine y croise-t-on une personne ou deux dans les escaliers menant aux salles de représentations, plongées dans...

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