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Monde - Irak

À Bagdad, la révolte s’est fracturée et les camarades sont devenus ennemis

Les partisans du leader chiite Moqtada Sadr ont changé de camp.

Des étudiants irakiens manifestant jeudi à Bassora. Hussein Faleh/AFP

Pendant des mois, ils ont campé côte à côte et scandé les mêmes slogans contre le pouvoir en Irak. Mais aujourd’hui, les partisans du leader chiite Moqtada Sadr ont changé de camp et les autres manifestants se disent désormais à la merci d’un ennemi de plus. « On distribuait de la nourriture dans leurs tentes au début des manifestations », se rappelle Mona, une militante présente sur la place Tahrir de Bagdad depuis le début de la « révolution d’octobre ».

« Et maintenant, ils nous font ça? » s’emporte cette jeune secouriste après que huit manifestants antipouvoir ont été tués cette semaine dans des affrontements avec des sadristes. « Dès le début, je savais qu’ils nous abandonneraient », se lamente cette Irakienne, alors que la récente volte-face de Sadr – connu pour sa capacité à changer d’avis et de camp à toute vitesse – a fracturé la révolte.

D’un côté, les sadristes qui veulent donner sa chance au Premier ministre désigné Mohammad Allawi, qui doit former un gouvernement sous un mois. De l’autre, les manifestants antipouvoir qui rejettent un politicien de 65 ans, déjà deux fois ministre, et réclament un nouveau système politique et une classe dirigeante entièrement renouvelée. Les deux camps sont déjà allés à l’affrontement. À Bagdad, les « casquettes bleues », le couvre-chefs des sadristes, ont passé à tabac des manifestants et menacé d’autres.



Pacte avec le diable
Aujourd’hui, la mine patibulaire, ils gardent l’entrée du « restaurant turc », un immense bâtiment abandonné surplombant Tahrir devenu « la tour de contrôle de la révolution », empêchant les manifestants d’y entrer. Là où les hauts murs et les 15 étages étaient couverts de banderoles et de clichés des « martyrs », ils ont tout mis à bas, sifflant la fin de la récréation sur une place qui avait pris des airs de forum culturel, politique et social.

« La situation a radicalement changé sur Tahrir », assure Mona qui n’y reste plus jour et nuit, mais fait désormais des brefs passages, aux aguets, au cas où un sadriste entendrait ses critiques. Dès le départ, l’attelage était étrange : les manifestants qui revendiquaient l’indépendance de leur mouvement spontané défilaient avec des militants sadristes.

Alors, ces derniers assuraient se mobiliser à titre personnel et non pas sur ordre du mouvement – habitué des manifestations monstres – et ne ménageaient pas leurs efforts pour distribuer nourriture, matelas et autres tentes sur Tahrir.

Surtout, le soutien politique du turbulent Sadr, qui tient le premier bloc du Parlement, a donné du poids au mouvement et empêché une répression plus massive encore d’un mouvement émaillé par près de 490 morts et 30 000 blessés.

Si des militants ont eu l’impression de signer un pacte avec le diable, une nuit de décembre a fini de convaincre les derniers sceptiques. Ce soir-là, des hommes armés que l’État assure ne pas pouvoir identifier mais que les manifestants accusent d’être liés aux partis pro-Iran ont tué 20 personnes près de Tahrir. Les seuls qui ont répondu sont les « casquettes bleues », qui ont elles-mêmes compté des morts dans leurs rangs. « C’est dingue, mais j’ai été obligé de les remercier après ça », affirme Hakim, là depuis les premiers défilés. Leur présence sur Tahrir, « c’est ça qui nous a sauvés » ce soir-là.



« Encerclés de partout »
Depuis, Moqtada Sadr a envoyé plusieurs tweets contradictoires, provoquant la perplexité dans les rangs des « casquettes bleues ». Il a appelé à des manifestations distinctes contre les États-Unis, affirmé ne plus soutenir les manifestants antipouvoir, s’est rangé derrière Allawi, puis a demandé à ses troupes de ressortir dans les rues, mais cette fois pour faire rouvrir écoles et administrations fermées par la désobéissance civile.

« Un tweet et ils arrivent, un autre tweet et ils repartent », résume, dans un sourire amer, Mona. « Mais qu’est-ce que vous voulez à la fin ? » interroge un peu plus loin la banderole d’un manifestant. Une autre proclame : « Les gaz lacrymogènes et les balles tirées par des étrangers, c’est facile, mais les bâtons des nôtres m’ont tué », alors que des sadristes portant des bâtons apparaissent régulièrement aux abords des campements antipouvoir.

« Avant les sadristes ne nous dérangeaient pas parce qu’ils n’interféraient pas dans nos manifestations. Maintenant, c’est différent », affirme Mohammad, un étudiant installé sous une tente. Autour de l’abri de fortune où il dort depuis des mois avec ses camarades, un QG des sadristes et plusieurs installations des « casquettes bleues » sont visibles.

« On fait des rondes de nuit pour être sûrs que personne ne nous attaque », dit-il. « On est encerclés de partout, renchérit son camarade Moustapha, étudiant en histoire. Il y avait les autorités et les partis politiques et, maintenant, il y a les sadristes. »


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