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Société - Reportage

« Je veux juste ne pas me retrouver à la rue »

À Nabaa, de plus en plus de familles pauvres, dont la crise a accentué l’indigence, ne peuvent plus payer leur loyer.

À Nabaa, le ciel est strié de fils électriques. Photo DR

Ils ont toujours vécu dans la pauvreté. Mais la crise que traverse le Liban actuellement a accentué leur indigence. À Nabaa, où le ciel est strié de câbles électriques et les murs des maisons rongés par la moisissure, les habitants manquent de tout. Dans ce bidonville de Beyrouth, peuplé de chrétiens et de musulmans ainsi que de réfugiés syriens, les ONG sont submergées par les demandes. Aujourd’hui, de nombreuses familles craignent de se retrouver à la rue, faute d’argent pour payer leur loyer. Dans ce quartier, le loyer mensuel d’une chambre ou d’un appartement varie entre 300 000 et 600 000 livres. Des loyers poussés à la hausse en 2011, avec l’arrivée de réfugiés syriens, contraints de vivre à plusieurs familles dans un appartement pour pouvoir s’acquitter du loyer.Béchara, 91 ans, vit dans une petite maison humide et mal éclairée. Il y a cinq ans, il travaillait encore. Avant la guerre du Liban en 1975, il avait un petit restaurant à Zaytouné. L’établissement a été détruit par les bombardements. Depuis, Béchara n’a plus jamais travaillé pour son compte, enchaînant les emplois de maître d’hôtel, jusqu’à ce qu’un grand restaurant d’Antélias, le dernier à l’employer, ferme ses portes.

Il fut un temps où Béchara habitait à Dora. Quand il n’a plus eu les moyens de payer son loyer, il est parti à Nabaa, une banlieue moins chère de Beyrouth. Longtemps, il a dû, malgré ses maigres moyens, aider financièrement son frère et sa sœur, aujourd’hui décédés. Désormais, c’est son autre sœur, installée aux États-Unis, qui lui envoie, de temps à autre, de l’argent, avec lequel il parvient à payer son loyer. Mais pour se nourrir, il doit demander l’aumône. « J’arrive à me débrouiller pour boire et manger, mais je veux juste que quelqu’un m’aide pour payer le loyer de 300 000 livres par mois pour ne pas me retrouver à la rue », affirme-t-il.

Hayat, qui vit un peu plus loin dans un appartement glacial et rongé par la moisissure, avait elle aussi une autre vie avant la guerre du Liban. Originaire du Chouf, elle est arrivée à Nabaa en 1983. Ayant perdu son mari durant la guerre, elle se retrouve à 34 ans seule à élever six enfants et à s’occuper de sa belle-mère. « Ma belle-mère m’aidait avec les enfants quand je partais travaillais », dit-elle. Prise en charge par Caritas, elle avait réussi à l’époque à scolariser jusqu’au bout tous ses enfants. « Je n’ai jamais arrêté de travailler depuis. Normalement, je fais des cornichons, je rapporte des olives, de l’huile d’olive et d’autres produits du Liban-Nord que je revends à Beyrouth. Mais cela a été impossible cette année ; non seulement je me suis cassé le bras en été, mais avec la révolution en octobre, les routes étaient bloquées », poursuit-elle.

Elle confie également que chacun de ses enfants se démène de son côté pour s’occuper de sa propre famille. « Auparavant, ils parvenaient parfois à m’aider. Ce n’est plus le cas actuellement. Cela n’empêche pas le fait que chaque jour, l’un d’eux vient me rendre visite », ajoute-t-elle. Ce soir-là, elle reçoit l’un de ses fils, Georges, et ses deux enfants. Les temps sont difficiles pour Georges qui travaille dans une compagnie pharmaceutique depuis plus de dix ans, mais qui n’encaisse plus depuis, deux mois, que la moitié de son salaire. Avec la crise économique et financière qui ravage le Liban, nombreux sont les Libanais qui ont vu leur salaire amputé, quand ils n’ont pas, purement et simplement, perdu leur emploi. Quand on l’interroge sur ses déboires, Georges botte en touche et évoque la réussite scolaire de ses enfants.


(Lire aussi : Plus du quart des familles libanaises vivent désormais dans la pauvreté, selon l’Unicef)

« Dieu pourvoit à tout »

Oum Hussein, 70 ans, est originaire de Jbeil. Jeune, elle travaillait dans une tannerie où elle a rencontré son mari Abou Hussein, un musulman de la Békaa, elle-même étant chrétienne. Maquillée, les cheveux d’un blond platine, elle reçoit ses invités en robe de chambre. Ses six enfants n’arrivent pas à joindre les deux bouts, l’un d’eux vient d’être expulsé de son appartement et vit désormais avec femme et enfants dans une épicerie non loin de l’appartement de sa mère. Il a installé un poêle au bois et Oum Hussein, pour économiser le prix du gaz, fait la cuisine désormais dans le petit magasin. « Nous sommes sept à vivre dans cette maison, mon mari et moi, trois de mes enfants et les enfants de ma fille divorcée que nous sommes en train d’élever. Ils sont là en week-end, en semaine ils vont dans un pensionnat, une sorte d’orphelinat, au Kesrouan », explique-t-elle. La maison est constituée de deux minuscules chambres humides et sombres, remplis d’objets, de sacs et de valises.

Deux des enfants d’Oum Hussein sont au chômage, les autres, dont sa fille divorcée, occupent des emplois précaires et elle, pour aider la famille, lit dans le marc de café.

Dans une rue plus loin vit Minerva qui aime les chats. D’ailleurs, devant la petite maison qu’elle loue pour 600 000 livres par mois, elle a construit une sorte d’abri pour protéger les félins de la pluie. Mère de trois garçons, tous mariés, Minerva est couturière et vit seule. Dans sa maison, propre et coquette, elle reçoit depuis quelques années ses clients, qui viennent des quartiers alentour. « Jusqu’à il y a trois ans, je louais un tout petit atelier à côté de la maison. Mais avec la crise, les affaires ne marchaient plus, j’ai donc décidé de fermer l’atelier et de travailler chez moi », raconte-t-elle. Minerva inscrit toutes ses dépenses et ses revenus sur de petits calepins. Le nombre de lignes ne cesse de diminuer. « En décembre 2017, j’ai fait un 1 600 000 livres de revenus, en décembre 2019, je n’ai gagné que 300 000 livres. Je n’ai jamais été riche, mais j’ai toujours été généreuse parce que je sais que Dieu pourvoit à tout. D’ailleurs parvenir à payer mon loyer chaque mois relève du miracle », dit-elle, confiant qu’elle s’est endettée au cours de l’année écoulée de deux millions de livres auprès du patron d’une de ses amies.


(Lire aussi : Les Libanais n’ont jamais été aussi pauvres, ni non plus aussi solidaires)


500 dollars pour payer le loyer et nourrir la famille

« Il y a longtemps, nous habitions Achkout. Mes enfants travaillent dans le bâtiment, ils sont peintres et maçons et il y avait alors beaucoup de projets à Bickfaya. Mais cela fait plus d’un an qu’ils n’ont plus de chantier. Pendant un moment, l’un de mes petits-fils, ingénieur, m’aidait chaque mois pour le loyer. Mais quand la situation de ses parents est devenue difficile, il a dû les aider. Et il y a trois mois, il a perdu son emploi », poursuit-elle. « Pour manger, 2 000 livres par jour me suffisent. Je peux me débrouiller. Je veux juste que quelqu’un m’aide à payer le loyer, histoire de traverser cette mauvaise passe », confie-t-elle.

Très mince, ridée et édentée, Raymonde, la voisine de Minerva, fait beaucoup plus que ses 57 ans. L’entrée de son appartement, en rez-de-chausée, est jonchée de sacs-poubelle. Qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il fasse très chaud, Raymonde sort tous les jours ramasser de la ferraille. Cette mère de quatre enfants adultes et grand-mère d’une petite-fille qu’elle élève seule – car sa fille s’est remariée après son divorce – dit que le métier qu’elle fait lui permet de payer son abonnement internet et le générateur. « Un kilo de ferraille me rapporte 1 000 livres », dit-elle. Son loyer s’élève à 600 000 livres, et c’est sa fille Maria qui le couvre. Maria, âgée de 31 ans, travaille dans un petit café en face du port de Beyrouth. « Cela fait plus de 15 ans que je suis là-bas. J’encaissais 1 000 dollars par mois. En novembre dernier, le propriétaire m’a congédiée par manque de clients, mais début janvier, il m’a réembauchée, en me payant toutefois une moitié de salaire », raconte-t-elle.

C’est Maria qui pourvoit aux besoins de la famille. Elle regrette son père, décédé il y a quatre ans. « Au moins, quand il était vivant, nous étions deux à assumer les responsabilités. Vous savez, 500 dollars, ce n’est pas grand-chose quand il faut payer un loyer et nourrir une famille », note-t-elle.

Que fait la famille pour manger? Maria a un triste sourire, puis elle baisse les yeux et dit d’une voix à peine audible : « Dans la vie on est obligé de faire avec ce qu’on a. »

Ces personnes dont le nom a été changé pour préserver leur anonymat ont été récemment prises en charge par l’association Beit-el Baraka, qui aide les personnes ayant atteint l’âge de la retraire à payer leur loyer, leur assurant des soins médicaux et leur donnant surtout accès à un supermarché gratuit.

Pour vos dons :

Pour les transferts internationaux en dollars américains

BEMO Bank s.a.l

IBAN: LB22 0093 0000 0002 1493 1366 1USD

SWIFT: EUMOLBBE

Pour les transferts locaux :

BEMO Bank s.a.l

IBAN: LB61 0093 0000 0002 1493 1366 1LBP ( en livres libanaises)

IBAN: LB22 0093 0000 0002 1493 1366 1USD (en dollars américains).

Ils ont toujours vécu dans la pauvreté. Mais la crise que traverse le Liban actuellement a accentué leur indigence. À Nabaa, où le ciel est strié de câbles électriques et les murs des maisons rongés par la moisissure, les habitants manquent de tout. Dans ce bidonville de Beyrouth, peuplé de chrétiens et de musulmans ainsi que de réfugiés syriens, les ONG sont submergées par les...

commentaires (3)

C’est la résultante du travail acharné de plusieurs de nos ministres et députés qui ont rendu nos compatriotes aussi pauvres.

Eddy

13 h 41, le 04 février 2020

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Commentaires (3)

  • C’est la résultante du travail acharné de plusieurs de nos ministres et députés qui ont rendu nos compatriotes aussi pauvres.

    Eddy

    13 h 41, le 04 février 2020

  • Au risque de déplaire, ces tristes faits ne sont point le fruit de la crise actuelle, et existaient deja depuis belle lurette mais personne n ‘en parlait. Incidemment, c’est la raison pour laquelle le Chef d’oeuvre de Nadine Labaki qui avait séduit le monde entier, était critique par notre Bourgeoisie et notre Gauche Caviar pour avoir dénoncé le revers de l’Image de marque que plusieurs imbeciles heureux tenaient a projeter du Liban. Heureusement que la Thawra a ouvert les yeux de plusieurs individus, Associations et Bénévoles qui a present dénoncent cette misère présente un peu partout. Souhaitons que cet elan du coeur national perdure. Comme dit le dicton : c est quand on chausse les chaussures d’autrui que l’on ressent vraiment ses peines et ses tourments...

    Cadige William

    12 h 00, le 04 février 2020

  • Chère Ms. Khoder , Votre reportage poignant fait fondre le coeur et les yeux . En Suisse , où 10 % de la population est considéré comme " pauvre " , la comparaison est indécente . L'association Beit-el-Baraka avait déjà provoqué mon respect admiratif mais je ne savais pas comment les soutenir d'aussi loin . Maintenant si . Grâce à vous je vais pouvoir contribuer un petit peu chaque mois - je fais partie des 10 % de la statistique officielle qui ronronnent sous le parapluie social du pays où le citoyen , même " pauvre " , est roi . Alors , MERCI pour l'IBAN !

    Anne Da Costa

    06 h 26, le 04 février 2020

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