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Culture - En librairie

« Le dérisoire tremblement des femmes », un roman de tous les combats

Salma Kojok, écrivaine et enseignante libanaise ayant grandi en Côte d’Ivoire, signe un deuxième roman d’une densité remarquable qui raconte les vicissitudes d’une famille libanaise immigrée en Afrique de l’Ouest entre les années 20 et 60.

Salma Kojok. Photo Michel Sayegh

C’est l’histoire de Dounia, Libanaise vivant à Zrariyé dans les années 1930, qu’on a promise à un certain Farid, jeune commerçant exilé en Côte d’Ivoire. Elle qui n’a jamais quitté les montagnes libanaises et n’a jamais vu cet homme embarque à bord d’un bateau pour le rejoindre en Afrique de l’Ouest et fonder une famille. Malgré sa bonne volonté, elle éprouve dans cette Côte d’Ivoire grouillante et humide un profond malaise qu’elle ne peut exprimer. Son quotidien se réduit aux tâches ménagères les plus élémentaires, et une certaine lassitude s’est infiltrée dans cette union et cette vie qu’on a choisies pour elle. Prostrée dans cette nécessité du silence que son sexe lui impose, elle sombre lentement dans une profonde mélancolie hantée par les souvenirs d’un Liban idyllique perdu.

Quelques années plus tard, elle donnera naissance à Lamia, sur laquelle elle projettera ses frustrations liées à ses propres interdits, résultats d’une morale stricte et rigide instaurant culpabilité et refoulement des désirs. Mais Lamia va au lycée français d’Abidjan, elle s’empare du français et de la littérature des penseurs de l’époque, commence à fréquenter les milieux révolutionnaires qui aspirent à l’indépendance de la Côte d’Ivoire : elle représente le début d’un premier mouvement d’émancipation et de libération des mœurs, des sexes et des peuples.

On le comprend, avec Le dérisoire tremblement des femmes (Erick Bonnier, 2019, 140 p.), Salma Kojok, en partant des problématiques féministes, s’inscrit dans la mouvance des idées majeures de notre époque, cette mouvance qui s’élève intellectuellement pour alimenter le combat pour l’égalité sociale à laquelle aspirent les opprimés et les minorités. En à peine 130 pages, le livre traite de nombreux sujets, dont plusieurs sont devenus aujourd’hui l’apanage des penseurs et des artistes du XXIe siècle : l’oppression des femmes, la diaspora et les difficultés de l’exil, l’arrogance du colonialisme, les béances identitaires du multilinguisme, les injustices et la misère liées à l’exploitation des pays de l’ancien tiers-monde… Mais il y a aussi les thèmes propres au peuple libanais, notamment ceux de l’écrasante morale de l’éducation traditionnelle libanaise, de la terre originelle laissée derrière lors de l’émigration ou encore de l’identité multiple entre assimilation et racines ancestrales.


Des mots et un corps
Le dérisoire tremblement des femmes est un roman sans aucun doute crédible et convaincant, ne serait-ce que pour son travail sur la psychologie du sexe féminin et de cette langue française, tant évoquée et chérie par l’auteure, dans son écriture comme dans sa vie personnelle. Salma Kojok, qui a été quatre fois présidente du prix littéraire le Choix Goncourt de l’Orient, organisé par l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) en partenariat avec l’Institut français du Liban, écrit à la page 84 du livre, à travers la bouche de Bintou, la nourrice ivoirienne de Lamia : « Nous aussi, les femmes, nous gardons des histoires, nous leur donnons abri dans nos corps, dans nos ventres. Oui, nous pouvons garder le mutisme longtemps, nous n’avons peur ni de solitude ni de silence, ne l’oublie pas, les femmes savent habiter les temps d’avant la parole. Les hommes sont pressés de parler, ils sont malades de bruits. Nous, les femmes, apprivoisons lentement silence et solitude, pour mieux polir nos mots, les préparer délicatement, cela donne plus grande puissance à nos dires. Nos paroles sont couvées, dans le sein, dans la halte du temps, c’est là qu’elles mijotent pour offrir leurs meilleures saveurs. »

À travers la narration enchevêtrée d’un discours d’une mère pour sa fille et d’une fille pour sa mère, Salma Kojok refait l’histoire d’une généalogie prise dans les événements d’une époque de l’histoire particulièrement mouvementée et marquée par une série d’aspirations à la liberté. Dans une langue tenue et maîtrisée, ponctuée d’envolées poétiques particulièrement réussies, elle incorpore un sensualisme qui convoque en permanence l’olfactif, le kinesthésique et, surtout, le visuel : des séquences descriptives qui donnent à voir, toucher et sentir cette Afrique de l’Ouest dans laquelle l’auteure est née. Après son premier roman La maison d’Afrique (éditions alfAbarre), elle nous fait plonger une nouvelle fois dans cette corporalité omniprésente où mots, ventre et tête fonctionnent à la manière d’un triptyque dont les éléments sont inextricables.

Finalement, voici un roman ouvrant à plusieurs lectures possibles, dont on pourrait dire qu’il emprunte à la fois à la psychanalyse l’idée de la résurgence de symptômes, conséquence d’un refoulement imposé au sexe par la société, à la théorie des races à travers l’idéologie colonialiste, ou à la notion socio-anthropologique de l’intersectionnalité, qui désigne la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de stratification, domination ou de discrimination dans une société.

C’est l’histoire de Dounia, Libanaise vivant à Zrariyé dans les années 1930, qu’on a promise à un certain Farid, jeune commerçant exilé en Côte d’Ivoire. Elle qui n’a jamais quitté les montagnes libanaises et n’a jamais vu cet homme embarque à bord d’un bateau pour le rejoindre en Afrique de l’Ouest et fonder une famille. Malgré sa bonne volonté, elle éprouve dans...

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