Rechercher
Rechercher

Politique - Témoignages

« Nous manifestons pour nos droits, qu’est-ce qui justifie qu’on nous vise aux yeux ? »

De jeunes manifestants gisent sur les lits d’hôpitaux, un œil arraché par une pierre ou une balle en caoutchouc lors des violents affrontements avec les forces de l’ordre.

Mehdi el-Bourji n’a que 18 ans, et il venait de décrocher son premier emploi à Beyrouth.

Le va-et-vient est incessant dans la chambre d’hôpital d’Ayman Dakdouk. Les visiteurs du jeune homme, atteint à l’œil par une pierre durant les manifestations houleuses du week-end et la violente répression policière qui a suivi, sont principalement des compagnons de combat, des manifestants dans le cadre de la révolution qui a commencé le 17 octobre. Ils donnent l’impression d’une famille réunie autour du jeune homme à l’œil gauche bandé, peut-être cette famille qui lui manque en ces temps difficiles : ils lui témoignent une tendresse infinie, s’informent auprès de l’infirmière des soins qu’il devra poursuivre après sa sortie d’hôpital, le soutiennent par leurs mots et leurs sourires… « Tu m’as reconnu ? Je suis le manifestant qui a été violemment battu devant la caserne Hélou il y a quelques jours, et je viens demander de tes nouvelles », dit un visiteur. D’autres s’enquièrent de son état et sont postés dans les couloirs. Rania Bassil, une pédiatre qui fait partie du Comité des médecins de la révolution, vient prendre des nouvelles du blessé.

Ayman est l’un des jeunes hommes à avoir été admis à l’Hôtel-Dieu de France samedi dernier, suite à de violents affrontements avec la brigade antiémeute des Forces de sécurité intérieure devant l’entrée du Parlement, et au cours desquels des jets d’eau, des bombes lacrymogènes et des balles en caoutchouc ont été utilisés. Trois de ces jeunes manifestants ont perdu l’usage d’un œil, complètement ou en grande partie, comme cela semble être le cas d’Ayman. Leur dure épreuve a suscité une campagne nationale sur les réseaux sociaux, « Arrêtez de viser les yeux », dans le cadre de laquelle de nombreux internautes ont pris des selfies avec un œil caché par une main, pour exprimer leur solidarité et dénoncer l’usage excessif de la force contre les manifestants, notamment les balles en caoutchouc à bout portant. Ces cas de blessures graves, ayant entraîné une infirmité permanente, ont ouvert le débat sur l’usage des armes dans la répression des manifestations.

Ayman, lui, a été atteint par une pierre. C’est son ami d’enfance, Mohammad Noureddine, qui nous le confirme, le blessé étant trop fatigué pour s’exprimer. « Il s’était baissé pour aider une petite fille, et ne lançait aucun projectile vers les forces de l’ordre, affirme le manifestant. En se relevant, il a reçu cette grosse pierre dans l’œil. Il a eu le temps de voir le policier qui l’a lancée. »

Cette épreuve vient assombrir davantage une vie qui ne lui a pas fait de cadeaux. Ayman, qui a 28 ans aujourd’hui, a perdu sa mère à quelques mois à peine. « Il est rentré d’Afrique avec son père, et a pratiquement toujours vécu avec sa grand-mère paternelle, raconte Mohammad. Sa fratrie d’une autre mère l’a toujours traité en étranger. » Ce qui explique probablement l’absence de proches à son chevet.

Le jeune homme, originaire de Nabatiyé, est peintre en bâtiment, et s’est installé à son propre compte il y a quelques années. « Le travail est lent dernièrement, comme partout au Liban », poursuit Mohammad, qui est lui-même au chômage. En fallait-il davantage pour pousser les deux amis à se joindre au mouvement révolutionnaire ? « Nos revendications sont les mêmes que tout le monde, la couverture sociale, l’eau, l’électricité…, explique-t-il. Cela justifie-t-il une telle répression et les yeux crevés ? Mais nous ne sommes pas découragés, ni lui ni moi. Il nous faut décrocher nos droits dans un Liban nouveau. »

Le jeune homme, lui-même originaire de Kfarremane, un village de Nabatiyé connu pour sa contribution à la révolution, est toutefois pudique quand il s’agit de parler des qualités personnelles de son ami. « Il a beaucoup d’humour », finit-il par lâcher, dans un sourire mélancolique. Il avoue que la blessure à l’œil a été un coup très dur pour lui. Et la campagne qui a été lancée en hommage aux victimes de violences ? « Elle lui a mis du baume au cœur, dit-il. Il est très touché par les témoignages de solidarité et le soutien qu’on lui témoigne. » Une sollicitude qui a été jusqu’à pousser ses amis à lui débrouiller un appartement à Beyrouth : le jeune homme, qui a déjà subi une opération, doit en effet poursuivre son traitement. Un traitement qui, le confirment tous ses camarades sur place, est entièrement couvert par le ministère de la Santé.

« Que Dieu leur pardonne pour ce qu’ils ont fait à mon fils »

Un étage plus bas, c’est un très jeune homme qui gît sur un lit d’hôpital, l’œil gauche également bandé. Mehdi el-Bourji n’a que 18 ans, et il est en compagnie de sa mère Lamisse. « Il venait de décrocher un travail de gardien au centre-ville, non loin des affrontements, raconte-t-elle, visiblement affectée. Je lui ai pourtant demandé de faire attention. »

Mais ce qui est arrivé samedi, le jeune homme, originaire de Baalbeck et habitant la capitale, ne pouvait le prévoir. Il raconte qu’il était en compagnie des manifestants, et jure ne pas avoir participé aux actes de vandalisme. « Ce policier, je l’ai vu braquer son arme sur moi, de trop près, raconte-t-il d’une voix à peine audible. En l’espace de quelques secondes, je me suis demandé par quel prodige il ne m’avait pas encore atteint, et s’il allait viser mes jambes… et puis j’ai senti la balle percuter mon œil. Je lui faisais face, si je lui tournais le dos cette balle m’aurait atteint au crâne ou à la nuque. »

Le jeune homme, qui a subi une opération à son arrivée à l’hôpital, doit passer une longue période de convalescence, sa joue ayant été très endommagée par l’impact.

Lamisse ne décolère pas. « C’est une agression en bonne et due forme, lance-t-elle. Que Dieu leur pardonne pour ce qu’ils ont fait à mon fils. » La famille compte-t-elle porter plainte ? « Bien sûr, nous attendons simplement les rapports de l’hôpital », répond-elle. Elle préférerait que son fils n’aille plus aux manifestations, mais lui se déclare « plus enthousiaste que jamais ».

Le va-et-vient est incessant dans la chambre d’hôpital d’Ayman Dakdouk. Les visiteurs du jeune homme, atteint à l’œil par une pierre durant les manifestations houleuses du week-end et la violente répression policière qui a suivi, sont principalement des compagnons de combat, des manifestants dans le cadre de la révolution qui a commencé le 17 octobre. Ils donnent l’impression...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut