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Agenda

Lutte contre la corruption : il suffit d’une étincelle !

La lutte contre la corruption et la récupération de l’argent détourné sont deux des principales exigences du peuple libanais. Au-delà des slogans, la mise en œuvre pratique de ces demandes si légitimes n’est pas toujours simple. Les propositions qui suivent ne sont pas des solutions miracles et elles ne pourraient fonctionner qu’à une condition, déterminante, celle d’une justice intègre et réellement indépendante. Concrètement, et parce qu’il est illusoire de penser que certains des responsables politiques ou des acteurs économiques cesseront du jour au lendemain de tenter d’influencer les magistrats, ou que les brebis galeuses chez les juges vont disparaître soudainement, il faudra s’assurer que les juges qui seront en charge des dossiers de corruption seront choisis parmi les plus intègres (et il y en a pléthore !).

Une autre condition importante est celle de l’engagement réel des plus hautes instances et corps de l’État dans le combat contre la corruption. C’est le fameux « tone at the top » qui se matérialise par une exemplarité dans le comportement et qui, de fait, rejaillira sur les autres échelons de l’administration. Ici encore, certains responsables politiques et hauts fonctionnaires ne vont pas soudainement se transformer en chantres de la probité. Il sera donc important que les citoyens, dont le rôle est absolument crucial, maintiennent une vigilance accrue mais aussi une attitude cohérente, notamment au moment de mettre leur bulletin dans l’urne...

Faire reculer la corruption

Plusieurs mesures peuvent contribuer à combattre la corruption. Premièrement, la mise en place de la Commission nationale de lutte contre la corruption en choisissant ses membres parmi des candidats irréprochables et en lui laissant le champ libre ; les exemples d’autorités anticorruption de certains pays dirigées par des hommes véreux sont légion. Une option pourrait consister à remodeler les pouvoirs de cette commission afin qu’elle puisse, de façon efficace, œuvrer à la détection, à la prévention et à la poursuite des actes de corruption et des infractions d’atteinte à la probité. Il conviendra en tout cas que ses membres, les agents et les enquêteurs qui en dépendent soient spécifiquement formés pour faire face à des montages et des schémas de corruption parfois complexes.

Deuxièmement, la levée du secret bancaire relatif aux présidents, Premiers ministres, ministres, députés et fonctionnaires de première catégorie, actuels et anciens. Si cette mesure est en soi insuffisante, elle est indispensable pour détecter et traquer plus facilement les flux illicites.

Troisièmement, plus de transparence dans les procédures d’appels d’offres publics afin de limiter les collusions et les attributions arrangées de marchés publics.

Quatrièmement, la prévention et le traitement des conflits d’intérêts afin d’éviter que des décideurs publics ayant un intérêt personnel dans un projet puissent prendre part aux décisions de l’État relatives à ce projet. La mesure n’est pas aisée dans un pays où beaucoup de responsables politiques ont, directement ou à travers leurs familles, des intérêts financiers dans des secteurs qui sont attributaires de licences ou de marchés publics. La solution passerait par une déclaration exhaustive des intérêts qu’ils détiennent et par un contrôle strict de ces déclarations.

Cinquièmement, la poursuite de la numérisation des formalités dans l’administration afin de limiter la « petite » corruption quotidienne.

Sixièmement, la formation des fonctionnaires les plus exposés au risque de corruption.

Enfin, un changement dans le comportement des citoyens dont certains prennent eux-mêmes l’initiative de soudoyer tel ou tel responsable pour tenter d’obtenir un passe-droit, et qui voient la corruption comme une simple « chatara » (une bravade) faisant partie de l’ADN national, ou parfois comme un moyen de survie dans un pays où des services publics sont défaillants.

Récupérer les avoirs détournés

Les expériences de pays qui ont tenté de récupérer les avoirs pillés par leurs anciens dirigeants ont révélé que les procédures étaient longues et les biens souvent difficiles à retrouver. En effet, il convient de localiser les avoirs, souvent dissimulés au travers de sociétés-écrans et de prête-noms dans des paradis fiscaux, d’obtenir des décisions de justice dans les différents pays concernés, pour enfin en assurer l’exécution et rapatrier les fonds. Il y a certes des pays comme la France qui reconnaissent désormais la possibilité de traquer les « biens mal acquis ». Ainsi, des dirigeants de pays africains ont été poursuivis et condamnés et leurs biens en France confisqués. Cependant, cette procédure est longue (un appel a d’ailleurs été formé contre le jugement de condamnation) et la restitution des biens au pays d’origine est semée d’embûches. Il en est de même s’agissant de la loi suisse sur les valeurs patrimoniales d’origine illicite qui permet également de confisquer des biens obtenus grâce à la corruption. Il existe aussi la possibilité pour l’Union européenne ou pour le Trésor américain (Office of Foreign Assets Control – OFAC) d’imposer des gels des avoirs de certaines personnes ou organisations. Cette solution est séduisante parce qu’elle peut être efficace, mais elle est aussi dangereuse car les critères de ces autorités non libanaises sont généralement d’ordre politique et leurs décisions pourraient aussi fragiliser encore plus les banques libanaises qui devront appliquer ces mesures.

La situation financière du Liban ne lui permet pas le luxe d’attendre l’issue de procédures longues et compliquées. C’est pourquoi d’autres voies pourraient être envisagées en parallèle.

Premièrement, des transactions avec les personnes poursuivies, inspirées des plea bargaining américains, aux termes desquelles la sanction serait moins sévère à condition que la personne coopère pleinement et remette volontairement les avoirs détournés à la justice libanaise. Pour que cette voie soit envisageable, plusieurs conditions sont nécessaires au-delà des changements législatifs. Tout d’abord, quelle que soit la coopération, il faudrait qu’il y ait une peine pénale prononcée contre toute personne coupable, accompagnée d’une interdiction de se présenter à des élections ou à des emplois publics, faute de quoi elle s’en tirerait sans avoir été sanctionnée, ce qui équivaudrait à une amnistie déguisée et serait inacceptable.

En outre, il conviendrait que la justice libanaise se fasse assister par des experts dans la traque de biens dissimulés afin qu’elle puisse vérifier que la coopération porte sur la totalité des avoirs détournés, y compris ceux qui auraient été par exemple distribués à des proches. Il faut surtout que la pression soit telle sur les personnes soupçonnées, notamment à travers des mandats d’arrêt internationaux lorsque ces personnes ont fui le Liban, qu’elles aient un intérêt à coopérer pleinement. La colère légitime contre ceux qui ont pillé le pays et la tolérance zéro qui doit être appliquée ne doivent cependant pas mener à des simulacres de justice et à des sanctions contre des innocents.

Deuxièmement, encourager et protéger ceux qui apporteront des informations déterminantes permettant de faire condamner des coupables et de récupérer des avoirs détournés. Une loi existe déjà au Liban, et elle permet même de rémunérer les informateurs, mais son application dépend d’autres textes et décisions. L’apport de ces lanceurs d’alerte peut être déterminant, mais il faudra rester vigilant sur deux points. D’une part, protéger réellement les informateurs, y compris leur identité. D’autre part, éviter que cette procédure aboutisse à une campagne de délation et s’assurer de la réalité des informations avant de jeter en pâture à la population tel ou tel nom.

Troisièmement, et ce serait une combinaison des deux premières mesures, réduire les peines, protéger et, le cas échéant, rémunérer des personnes elles-mêmes soupçonnées de corruption qui non seulement coopéreraient avec la justice pour leur propre cas, mais donneraient également des informations déterminantes sur d’autres personnes ayant commis des actes de corruption. Le but serait de pousser les fraudeurs à se dénoncer entre eux, à l’image des programmes pour les repentis de la mafia. Cette mesure serait relativement difficile à mettre en œuvre au Liban compte tenu des risques physiques qu’encourrait le « repenti », mais une protection adéquate pourrait contribuer à faire fonctionner le système.

Ces quelques idées pourraient paraître naïves, voire irréalistes dans un pays comme le Liban. Pourtant, les exigences de la population et des bailleurs de fonds sont telles qu’une évolution est inéluctable. Il suffira d’une étincelle, d’une condamnation par la justice ou de la sanction dans les urnes d’une grande figure de la corruption, du fonctionnement transparent d’un ou deux secteurs emblématiques, pour que l’espoir soit permis. Comme l’écrivait si joliment Saint-Exupéry « chaque sentinelle est responsable de tout l’empire » : la lutte contre la corruption est l’affaire de chacun. C’est au prix d’un tel engagement que ce combat pour la dignité sera gagné.

Avocat associé au sein du cabinet Norton Rose Fulbright à Paris Enseignant à Sciences Po Paris

La lutte contre la corruption et la récupération de l’argent détourné sont deux des principales exigences du peuple libanais. Au-delà des slogans, la mise en œuvre pratique de ces demandes si légitimes n’est pas toujours simple. Les propositions qui suivent ne sont pas des solutions miracles et elles ne pourraient fonctionner qu’à une condition, déterminante, celle...