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Lifestyle - La Mode

Dans le purgatoire d’Ahmed Amer

Déjà, en 2017, avec sa collection « Corruption », Ahmed Amer en qui l’illustrateur et l’architecte d’intérieur bousculent le styliste dénonçait à travers le vêtement la cupidité de la classe politique. Les artistes sont toujours les premiers à voir venir, et le jeune créateur atypique passe aujourd’hui de l’accusation à l’engagement avec « Emotional Purgatory », une capsule sur le thème de la révolution.

Ahmed Amer, « Emotional Purgatory ». Photo DR

La foi et le doute. L’euphorie et la désillusion. La sécurité au sein de la foule et le danger qui guette chaque individu. L’action et l’attente… Les émotions contradictoires que nous font vivre ces temps obscurs inspirent à Ahmed Amer une collection expressive, toujours plus proche du manifeste. L’attente, assimilable à un purgatoire, d’actions et de résultats incertains, se traduit en illustrations minimalistes brodées sur de grands aplats où le vide exprime les fluctuations de l’esprit piégé dans un vortex sans issue. Le créateur, qui voulait au départ créer des vêtements célébrant une vision jeune et contemporaine de la tradition libanaise et de sa diversité culturelle, se retrouve en train de jouer les médiateurs entre la communauté artistique et une société sans cesse en mutation. Il résulte de son travail un tout nouveau patrimoine où s’expriment les multiples couches parfois contradictoires entre sa nature humaine, son engagement citoyen et sa vocation artistique.


À main levée, des images historiques

Désormais iconiques, pour avoir fait le tour de la Toile en immortalisant les moments forts des premières semaines du soulèvement libanais, les illustrations d’Ahmed Amer cristallisent à main levée des images inoubliables : deux femmes d’âge mur portant des fleurs et partageant un drapeau, une mère protégeant un jeune homme que les forces de sécurité tentent d’arrêter, une chaîne humaine d’un seul trait de crayon, et d’un seul trait aussi, deux femmes tapant sur des casseroles ; des foules, des drapeaux, un cri… À travers le vêtement, cette oscillation des sentiments se traduit en pantalons taillés dans des tissus moirés dont les bords francs, finis en galon, suivent la ligne aléatoire d’une arabesque plus proche du gribouillage. Elle se traduit aussi en jacquard, traçant au noir dans la maille d’un pull écru le profil stylisé d’un individu qui, avec d’autres individus, formera une foule virtuelle. Ici ou là, on croisera un escargot, évident symbole de la lenteur et de l’incertitude du temps révolutionnaire. On trouvera un œil en larmes, un poing levé, la silhouette d’une oriflamme ou la silhouette d’un cadavre dont le tracé s’achève en floraison magique. La collection se décline ensuite en découpages et le drap, traité comme un simple papier, se déploie en guirlandes de personnages et de symboles cousus les uns avec les autres, prolongeant une jupe courte, un gilet ou une veste, littéralement et à la fois « basques » et « collés aux basques », aussi vrai qu’au XVIIIe siècle, les basques étaient des bouts de tissu situés en bas d’un pourpoint en dessous de la taille.


De l’art à l’action et inversement

À la croisée du vêtement et de l’illustration, Ahmed Amer s’attache à créer une mode qui fait sens. Lui qui est issu de l’architecture d’intérieur et qui a fait ses armes dans l’engagement social à travers son action dans une ONG, a vu dans l’habit une manière de refléter et de faire parler « l’extérieur ». Ayant vu dans le vêtement une possibilité de garder le message présent, vivant et mouvant, il se décide à intégrer Creative Space Beirut, l’école de mode gratuite fondée par Sarah Hermez en collaboration avec Caroline Simonelli, son propre professeure et mentor de Parsons New York. Trois ans de formation et, dit-il : « Au cours de ces trois années, j’ai appris tout ce qui m’a aidé à devenir la personne que je suis aujourd’hui. J’ai travaillé sur moi-même en tant que personne, développé mes compétences en tant qu’illustrateur et designer, et développé ma marque. » Par la suite, il multiplie les collaborations, tantôt avec des marques établies comme Santiago, tantôt avec d’autres artistes comme le danseur et chorégraphe Ali Chahrour. Précurseur avec d’autres créateurs de sa génération tels Roni Helou ou Eric Ritter (Emergency Room) d’une nouvelle conception du vêtement, il aurait suffi d’observer ses premières collections pour voir la révolution venir.

La collection Emotional Purgatory est présentée depuis le 5 janvier à Salon Beirut, Hamra, jusqu’au 19 janvier.


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