Samedi à l’aube, au centre-ville de Beyrouth, les manifestants dormaient profondément dans les tentes qu’ils avaient aménagées pour l’hiver, lorsque des agents des forces de l’ordre cagoulés et tout de noir vêtus ont entrepris de cisailler les bâches de la plus grande tente dressée à proximité de la place des Martyrs, dans le parking donnant sur le siège du parti Kataëb, et d’en déloger les occupants. Cette tente était mieux connue sous le nom de tente d’Abou Ali, un militant qui n’a pas quitté la place depuis le 17 octobre. Malgré leur tenue civile, les agresseurs ont été identifiés par les contestataires comme faisant partie de la brigade antiémeute, compte tenu du fait qu’ils étaient protégés par des éléments des Forces de sécurité intérieure en treillis militaires postés aux entrées de toutes les autres tentes. Avec pour objectif, probablement, d’empêcher une réaction des contestataires qui passaient la nuit sur place.
L’affaire a suscité la colère des manifestants. Non seulement le mauvais temps sévit et ils doivent bien se protéger des éléments et du froid, plus particulièrement lorsqu’ils dorment sur place. Mais ils ont été pris de court par les agresseurs. « C’était effrayant ! » affirme Rawan Nassif à L’Orient-Le Jour. En même temps, l’activiste observe que la descente de la brigade antiémeute pourrait avoir été décidée après un ultimatum adressé par les FSI aux occupants de la tente. Elle explique à ce propos que les règles d’occupation des places publiques par le mouvement populaire de contestation sont bien établies, au cœur de Beyrouth ou sur les autres places du pays. Pour dresser une tente, les manifestants doivent obtenir l’autorisation des forces de l’ordre et du gérant du terrain squatté. Sauf que les FSI ont donné des consignes claires aux manifestants : ne pas construire des tentes trop grandes, aménager au moins trois ouvertures et garder les tentes ouvertes pour que l’on voie ce qui s’y déroule… « La tente d’Abou Ali avait au départ une dimension normale, souligne Rawan Nassif. Elle a été érigée non loin de la place des Martyrs dès le premier jour de la contestation populaire. Mais ses occupants ont récemment été rejoints par les manifestants du Ring. Après avoir dressé deux tentes, ils se sont regroupés. » Cette vaste tente n’était pas du goût des FSI, par sa taille d’abord, et parce qu’elle n’avait pas suffisamment d’ouvertures. « Les forces de l’ordre ont rapidement donné un ultimatum de 24 heures à Abou Ali, lui demandant de diviser la tente et d’y aménager des ouvertures. Mais ce dernier n’a pas donné suite. Il espérait juste que le mauvais temps cesse pour procéder aux aménagements », poursuit la militante. Il semblerait aussi que d’aucuns soient gênés par la présence de cette tente, comme cette autre militante qui requiert l’anonymat et se demande « pourquoi cette tente était toujours fermée ».
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« Notre tente est ouverte à tous »
Joint par L’OLJ, Dia’ Hochar, mieux connu sous le patronyme d’Abou Ali, tient à rappeler que la tente a été montée et aménagée le 22 décembre dernier « avec l’accord officiel des Forces de sécurité intérieure, en leur présence et sous leur supervision ». « La tente précédente était plus petite, mais pas assez solide pour passer l’hiver, explique-t-il. J’ai donc érigé une tente agricole de 34 m x 8 m, avec une bâche de 350 kg qui a nécessité l’aide d’une trentaine de personnes. » Durant la tempête de Noël, toutes les tentes sont saccagées par les intempéries, sauf celle d’Abou Ali. « Nous avons abrité tous les contestataires, car notre tente est ouverte à tous », assure cet habitant du Metn, originaire du Nord. « Et la nuit du Nouvel An, 85 manifestants ont passé la nuit dans la tente, alors que la tempête sévissait dehors », ajoute-t-il. M. Hochar est conscient qu’il dérange les autorités. Elles tablaient plutôt sur un essoufflement, sur le mauvais temps aussi. « Il est normal que l’État se méfie de la contestation », observe-t-il. Preuve en est, cet officier venu la veille du jour de l’An lui signifier que la tente ne lui plaisait pas, qu’il fallait enlever la bâche et mettre plutôt un revêtement transparent. « Mais je ne pouvais rien faire en pleine tempête », martèle-t-il. D’où « la colère des manifestants après l’agression, qui ont accroché des potences pour faire part de leur désapprobation ». « C’était rien moins qu’une menace sécuritaire et non judiciaire », assure Abou Ali, racontant les cutters pour découper la bâche et les barres de fer démontées. Et à qui persiste à dire qu’on ne savait pas ce qui se passait dans sa tente, il rappelle que toute la contestation était la bienvenue, « même les forces de l’ordre postées sur la place ou les agents des services de renseignements, qui ne se faisaient pas prier pour venir boire un café ou se réchauffer, lorsque dehors il pleuvait des cordes »...
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commentaires (3)
Ne repondait pas aux normes...venant de ces gens au pouvoir qui ne savent même pas le pouvoir!!?? Si le ridicule ne tue pas c'est par malchance...
Wlek Sanferlou
18 h 30, le 06 janvier 2020