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Culture - Exposition

La liberté guidant l’art

À la galerie « Art on 56th », l’accrochage qui réunit 18 artistes, témoins de cette période-clé de l’histoire du Liban, a le mérite de nous rappeler une fois de plus que l’art est incontournable, essentiel et salvateur.

Une œuvre de Dyala Khodary illustrant le sit-in sur le pont Fouad Chehab.

C’est à des créations percutantes et expressives que le visiteur est confronté à la galerie Art on 56th. Des toiles, des photographies, des sculptures ou des installations, qui renvoient d’abord au vécu, ensuite à ce pouvoir puissant que le Libanais, en général, et l’artiste, en particulier, ont à transcender la douleur et la souffrance pour mettre au monde, loin du mensonge et de toute hypocrisie, ce qu’il y a de plus beau, de plus vrai et de plus réel, le cri du peuple en cette nuit du 17 octobre 2019. Un cri qui continue de résonner jusqu’à aujourd’hui dans les œuvres de Georges Bassil, Zeina Kamareddine Badran, Rafik Majzoub, Joanna Hayeck Farès, Siham Ajram, Bettina Khoury Badr, Louna Maalouf, Naïm Doumit, Rita Massoyan, Ahmad el-Bahrani, Mohammad al-Mufti et bien d’autres encore.

Les témoins de demain

Si on avait prédit à Dyala Khodary qu’un jour elle immortaliserait une artère principale de Beyrouth avec, plutôt que les phares des voitures qui la traversent, un canapé, un tapis et des jeunes qui s’y prélassent, elle aurait sûrement cru à une plaisanterie. La scène est surréaliste, mais l’artiste évite ainsi avec brio les images clichés reprises et répétées durant cette période : le drapeau libanais, la place des Martyrs, les masques, l’Œuf, l’église, la mosquée. Habituée à travailler sur les motifs traditionnels libanais tels que l’art du tapis et les textiles, c’est naturellement qu’elle reprend cette pratique pour l’introduire dans son interprétation des sit-ins de manifestants sur le pont Fouad Chéhab/le Ring. Un travail réalisé sur de la tôle oxydée que vient colorer un réalisme surprenant. L’artiste se concentre sur un moment précis, qui fut passager certes mais puissant de par son message. « La rue est à nous, on s’y installe et rien ne nous en délogera », semble dire la jeunesse.Quant à Edgar Mazigi, face à cette génération en ébullition, il semble se poser la question suivante : de quoi se sont-ils libérés et contre qui se sont-ils unifiés ? Deux toiles qu’il a voulues en noir et blanc (lui le magicien de la couleur) pour accentuer l’effet dramatique. Inspiré du polichinelle de Tiepolo, le pouvoir menaçant arbore un chapeau, brandit un bâton et sème la discorde en utilisant la religion, sous le regard fermé du clergé. L’artiste avoue avoir été sidéré par cette jeunesse en sneakers, volontaire et tellement bien informée. Lui qui dit qu’il n’aurait pu tenir un discours de quelques phrases préfère s’exprimer avec l’outil qu’il maîtrise le mieux, le dessin ! Pour illustrer la libération, l’unification, la joie et l’espoir. Le monde burlesque de Ghaylan Safadi est aussi descendu dans la rue pour rejoindre la place des Martyrs, la place du peuple. Ses personnages voilés, masqués ou mis à nu, brandissent le drapeau libanais, tambourinent sur les casseroles et entonnent les hymnes de la révolution. Les jeunes s’embrassent en public (au grand dam des esprits conservateurs qui s’en offusquent), le roi a troqué sa couronne contre un tarbouche libanais et la mariée épouse d’abord la cause. Outre ses personnages, l’artiste parsème ses toiles de quelques objets symbolisant tantôt l’espoir, tantôt le désarroi d’un peuple en mal de justice. L’artiste a souvent l’habitude de cloisonner son monde dans un cadre, sauf qu’à l’heure d’aujourd’hui, la révolution avance et le peuple est prêt à briser tous les cadres. L’effet surprise est toujours au rendez-vous avec Johanna Jonsson Abchee, comme un jeu interactif entre le spectateur et l’œuvre. « Il y a d’abord, dit-elle, l’idée du péché originel, celui du vol organisé et de la corruption. Debout face au miroir créé par l’artiste, par un effet de superposition, les mains appliquées sur la surface en tanin semblent comme par enchantement se superposer sur le visage du regardant, obstruant ainsi le regard et l’ouïe pour appuyer sur le fait que le peuple fut aveugle toutes ces années. C’est la réflexion primordiale, comme une introspection, un retour en soi. Avec Élias Moubarak, artiste photographe, le bâtiment de l’Œuf de la place des Martyrs est une fois de plus à l’honneur. Cette étendue lunaire parsemée de cratères, ce monument architectural atypique que le peuple découvre pour la première fois plus de 30 ans après sa création, sont reconquis, envahis, investis, habités. Élias Moubarak réussit à capter un moment où le peuple ne semble pas être de passage mais bien établi comme s’il y avait élu domicile. Comme une grande famille unie à nouveau. Et l’artiste de poser la question : et vous, ce jour-là, où étiez vous ? Pour cet artiste, la photographie a un grand rôle à jouer, elle est dans l’instantané dans le moment et dans le partage immédiat.

Il y a la rue et l’action qui s’y déroule, mais il y a aussi ceux qui la vivent par procuration devant le poste de télévision, télécommande en main, pour tenter de comprendre et de suivre. Voilà l’image que Wissam Beydoun a voulu aussi retenir. Et voilà ce que la galerie Art on 56th offre au public : une déambulation artistique qui s’ouvre indiscutablement sur les questions actuelles, portant sur le rôle et la fonction de l’art comme témoin des événements qui font ou défont un pays.

Galerie Art on 56th

Jusqu’au 25 janvier 2019.

C’est à des créations percutantes et expressives que le visiteur est confronté à la galerie Art on 56th. Des toiles, des photographies, des sculptures ou des installations, qui renvoient d’abord au vécu, ensuite à ce pouvoir puissant que le Libanais, en général, et l’artiste, en particulier, ont à transcender la douleur et la souffrance pour mettre au monde, loin du...

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